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Disques

Islands – A Sleep & A Forgetting

Islands - A Sleep & A Forgetting

Avouons une sympathie particulière pour les disques qui citent sans ostentation des vers tronqués ou non de grands poètes. Ainsi le sublime « paradis dans une fleur sauvage » de William Blake inscrit en devanture d’une capitale compilation de Nick Drake (« Heaven In A Wild Flover »). Et aujourd’hui, le magnifique « A Sleep & A Forgetting » de Islands via William Wordsworth (en voici le vers original, « notre naissance n’est que sommeil et oubli » qu’on ne trouvera pas, au hasard, dans le dernier Die Antwoord). Les lettrés sont devenus si rares qu’il faut les cultiver, surtout quand ils changent leurs habitudes musicales sans prévenir. Principale incarnation de ces Islands à géométrie variable, le Canadien Nick Thorburn abandonne la tambouille psyché-tropicale de ces disques précédents pour un songwriting plus classique au piano sur un mode lennonien coeur brisé (l’album fait suite à une rupture et sort le jour de la Saint-Valentin, symbole). Le résultat est tout simplement désarçonnant de classe. La production minimale – pas d’overdub – fait la part belle à la brillance retenue des chansons qui se dévoilent d’écoute en écoute et deviennent quasiment addictives. « Never Go Solo » avance quelques notes calquées sur une intro d’Arcade Fire (« We Used to Wait ») avant de prendre des chemins de traverse seventies, comme ont pu le faire récemment, et avec un succès similaire, « Last Summer » de Eleanor Friedberger et « Wit’s End » de Cass McCombs. Les tempos rapides sont irrésistibles : « Hallways » avec son piano débridé, l’orgue plein de morgue de « Can’t Feel My Face » sur lequel Horburn tutoie l’alacrité de Davey Henderson des trop méconnus Nectarine n°9. Et schizophrénie vocale, le morceau suivant, « Lonely Love » le montre aussi suave que Alasdair MacLean de The Clientele sur leur meilleur enregistrement à ce jour, le EP « That Night, A Forest Grew ». Le plus merveilleux dans « A Sleep & A Forgetting », c’est tout simplement sa profonde humanité, et derrière son unité de façade, l’exploration de facettes contradictoires que la voix de Thorburn rend d’autant plus palpable qu’elle n’a jamais été aussi bien mise en valeur. Presque seul à la barre, le chanteur-compositeur parle d’échec, de souffrance, de renouveau, toutes choses qui nous concernent et pas qu’à priori. Le cliché de la catharsis pourrait pointer le bout de son nez, mais ses chansons résistent aux clichés : elles sont vivantes et comme à la fin des « Visiteurs du Soir », leur coeur bat dans la nuit (les beats désolés de « Same Thing », seule touche électronique du disque). Terminons sur une note négative qui, au fond, n’en est pas une : deux des meilleurs titres de « A Sleep & A Forgetting », « Swallows » et « Comes To Light » ne figurent que dans son édition Deluxe, ce qui est à la fois un sommeil de la raison et un oubli de l’auditeur particulièrement dommageable. Mais vous savez toutefois quel support privilégier maintenant, donc « all’s well… » (Shakespeare – on commence par un poète, on finit par un autre…)

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