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Jef Aérosol – Interview


Interview un peu inhabituelle dans nos colonnes : un peintre qui enchaîne en ce moment les expositions en France et à l’étranger pour des pochoirs qui sont maintenant reconnus internationalement. Le lien avec la musique, me direz-vous ? C’est que Jean-François Perroy, alias Jef Aérosol est, de son propre aveu, un « enfant du rock », et que, toute son œuvre, qu’elle soit picturale ou musicale, porte plus ou moins directement la griffe pop. Jef Aérosol sort un recueil de ses œuvres au pochoir, « VIP : Very Important Pochoirs », aux éditions alternatives, commenté par ses soins. Trois lignes et un regard sur ses œuvres suffisent pour comprendre : l’homme connaît ses classiques. De Donovan aux Flamin Groovies en passant par Romy Schneider et Keith Richards, tout y passe. Entretien à bâtons rompus par une douce après-midi lilloise.

D’où est venue l’idée de cette compilation de ton travail ?
Ce n’est pas du tout une compilation en tant que telle, c’est une galerie de portraits, et plus de la moitié ont été faits spécialement pour le bouquin. La démarche du livre n’a rien à voir avec un livre sur le Street Art, ni sur ma, entre guillemets, « carrière » ; il y a assez peu de choses anciennes, et il s’agissait de trouver une cohérence pour le bouquin et ne pas faire un livre de plus sur les pochoirs ou le Street Art. Étant donné que mon inspiration va chercher dans la musique, dans le cinéma, dans la littérature, et que je fais toujours soit des portraits en pied dans la rue, soit souvent en gros plan sur les toiles, on a décidé, avec Gérard Aymé des éditions Alternatives, de faire une galerie de portraits qui parlerait à plusieurs générations, plusieurs catégories de gens, et qui serait un portrait des personnes qui ont compté pour moi et pour d’autres gens. Le petit texte en plus, c’est histoire d’indiquer que c’est un livre, dans lequel j’écris et je peins. On aurait même quasiment pu sortir le texte sans les images, à la limite ! Ç’aurait peut être été encore plus illisible que ça ne l’est déjà (rires), comme je passe de l’anglais au français et qu’il y a beaucoup de name-dropping. Bref, on peut dire que c’est une sorte de journal de souvenirs que les photos de mes peintures illustrent (ou le contraire) ! (rires !)

Est-ce que ce « journal de souvenirs », tel que tu le qualifies, peut être assimilé à ce que l’on nomme la « culture rock » ?
Je n’aime pas beaucoup le terme de « culture rock », je t’avoue très franchement, parce que dans mon bouquin, si tu prends Moustaki, Lino Ventura, Gandhi ou Lech Walesa, on ne peut pas les assimiler à une « culture rock ». « Culture Pop », à la limite, si l’on s’en tient à l’étymologie du terme « pop ». Ce qui est vrai, c’est que ma génération est née en même temps que le rock. Je suis né en 1957, en même temps que le rock, il est difficile de faire l’impasse. Maintenant, il y a des personnes de ma génération pour qui le rock ne signifie rien. Bien entendu, comme je suis en quelque sorte un « enfant du rock », pour citer (Philippe) Manœuvre, ça apparaît dans le bouquin, mais il n’y a pas que ça. J’ai voulu être le plus honnête possible. J’ai effectivement écouté Yves Simon, Le Forestier, Dick Annegarn et Moustaki. De la même manière, dans le cinéma, j’aime bien les contre-cultures, mais j’aime aussi Serrault ou Romy Schneider. J’adhère bien sûr à des images, à des esthétiques, mais j’ai aussi évité d’avoir trop d’œillères.

Cela fait 25 ans que tu pratiques la peinture au pochoir, comment est venue cette envie d’utiliser cette technique artistique ?
La première fois que j’ai vu des pochoirs, c’était environ 5 ans avant que j’en fasse moi-même. J’ai vu le groupe Clash en 1977, qui avait des pochoirs sur leurs blousons et sur leurs chemises, c’était principalement des lettres et des chiffres, des choses un peu industrielles, il y avait aussi le fameux « I’m a prostitute ». Ce côté « lettrage industriel » m’intéressait, il y avait aussi un petit logo anti-nucléaire, c’était pas grand-chose, mais ça m’avait vraiment marqué, et puis, le pochoir, c’est vieux comme le monde, on en trouve déjà dans certaines images pop, chez Rauschenberg, chez Jasper Jones, chez les pop artistes américains. Il y a une artiste belge, qui est considérée comme LA pop-artiste belge, Evelyne Axel, qui est morte très tôt, et qui pratiquait quelque chose qui était très proche du pochoir. Ce jeu d’opposition blanc / noir m’intéressait déjà, on le trouvait déjà chez Warhol, dans ses sérigraphies, c’était présent aussi dans l’Op-Art, l’art cinétique. C’était enfin très relayé par les pochettes de disques, les posters, les affiches dans les sixties. Cette idée m’intéressait, c’est ce que j’appelais les « photo-graphismes ». Le fait que je m’y mette moi-même, ce sont les aléas de la vie, j’ai dû quitter ma ville natale, Nantes, où j’avais déjà fait quelques expos, à base de bidouillages, de photocopies et de peintures. Arrivé à Tours, je voulais continuer à faire ce que je voulais, travailler pour des groupes de rock, faire des maquettes de pochette de disques, des affiches. Je voulais trouver un moyen pour me faire connaître : comme on était au début des années 80, il fallait aller vite, je collectionnais à l’époque des photomatons, et l’idée d’un autoportrait découpé au pochoir et balancé sur les rues de la ville m’est venue en une nuit, comme ça. Je n’avais pas encore mon pseudo, je signais Jef, et des mots se succédaient, « cliché », « image », « aérosol » et au bout de quelques semaines, « Jef » et « Aérosol » se sont trouvés côte à côte, et je me suis dit, « ça y est, j’ai trouvé mon nom ».

On dit souvent que les actions en disent plus sur les personnes que les personnes n’en ont elles-mêmes conscience. Comment analysais-tu ta démarche ? Un Art de la Rue, un côté post-société industrielle ?
Pour être tout à fait honnête, à cette époque, je conceptualisais relativement peu sur tout ça. On était en 1982, on était encore en pleine effervescence post-punk. Au début des années 80, on était tous des jeunes gens modernes ! (sourire) Tout ça a été très vite. Le punk, c’est 76-77. 78, c’était déjà quasi fini, naissait déjà une sorte de new wave qui renaissait des cendres du pub-rock, un mélange de pop, de punk, de pub-rock. Un an plus tard, on a eu cette espèce de revival ska, avec Madness, les Specials. Et puis en 80, on est arrivé à un moment où il fallait absolument être moderne, futuriste, une fuite des sixties et des seventies vers l’an 2000, il fallait avoir l’air différent. Ça puisait vachement dans les looks des années 60, les Stray Cats ont déboulé, il y avait une sorte de gros mélange. D’un seul coup, il fallait être moderne, c’était plastique, c’était skaï et latex, les musiques devaient être froides, les synthés commençaient à être maîtrisés, des groupes comme les Young Marble Giants, Kraftwerk, The Cure, qui lançaient une imagerie un peu cold wave, le tout donnant un caractère un peu industriel. Mais le punk avait déjà joué avec ça. Bazooka, qui m’a beaucoup influencé, avait déjà utilisé les déchirures, les collages, le scotch visible, le carton ondulé et découpé. Dans les années 60, les affichistes psychédéliques comme Rick Griffin, étaient, finalement, assez classiques dans leur appréhension des choses, c’était très coloré bien sûr, mais aussi très influencé par l’art nouveau, l’Art Déco, Mucha, Klimt et compagnie. Il y a eu une rupture très nette à l’époque du punk, et l’action l’emportait sur la réflexion.

 

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