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The House of Love

The House of Love - The House of Love

Comme si tout devait avoir été écrit avant même une première publication. Une veine créatrice épuisée en quelques singles, un album aux ambitions démesurées pour lequel on donne tout, et puis la chute avec pertes et fracas. L’histoire est remplie de parcours musicaux de ce type : y laisser sa jeunesse et ses espoirs de succès durable (seulement frôlé ici par celui en trompe l’oeil de « Shine on« ), mordre la poussière et sombrer dans l’anonymat. Cette histoire aurait pu être celle de Guy Chadwick et des hommes de House of Love, si le leader n’avait pas été détenteur d’un art supérieur du songwriting. Car même les miettes ultérieures apparaîtront à nos yeux comme d’inestimables perles (« Feel » ou « The Girl with the `lonelinest Eyes » sur « Babe Rainbow » en 1992).

Et c’est un peu ce sentiment qui nous habite en réécoutant l’impressionnante réédition sortie il y a quelques semaines dans un anonymat relatif – sont rassemblés sur 3 volumes, en plus du premier disque de House of Love, le « German Album », compilation des premiers enregistrements indisponible depuis des années, ainsi que de nombreux inédits, demos, live et versions alternatives. Guy Chadwick y a laissé beaucoup au regard de l’ensemble de son œuvre, sans calcul ou rente possibles. Et à quelques exceptions les plus beaux titres du groupe toutes époques confondues figurent sur cette réédition. Ainsi le fameux album papillon s’offre pour une part (et ce n’est pas le moindre des paradoxes) comme la chute miraculeuse de ce disque d’ouverture qui le précède de 2 ans (« Shine on », « Blind », « I don’t Know Why I love You » sont présentes ici dans des versions plus ou moins abouties, mais toujours très émouvantes). The House of Love est bien l’histoire d’une énergie créatrice entièrement concentrée sur quelques années tout au plus, bien après l’entrée dans l’âge adulte (son leader approche les 30 ans à la sortie de ce premier album), puis sa lente évaporation, jusqu’à une mort évidemment programmée au milieu des années 90 ; si l’on oublie la reformation – seulement honorable, taillée pour la route et la nostalgie ? – avec le line up originel, Terry Bickers compris (lui qui quitta le groupe dès 1989), en 2005.

Reprenons les choses dans leur ordre. Disque charnière à l’aube des années 90, solitaire, sans descendance immédiate (les mouvements baggy, le shoegazing sous la haute influence de My Bloody Valentine -l’autre grand groupe du label Creation – orienteront le rock anglais vers d’autres territoires) The House of Love reste malgré le poids des âges un chef d’oeuvre paradoxal, entre violence sourde de certaines de ses guitares et délicatesse infinie de ses parties vocales. Une suite de classiques instantanés qui, au fil des écoutes, renforcent leur pouvoir d’attraction. Equilibre parfait entre ces titres qui dans leur enchaînement semblent s’éclairer l’un l’autre. D’entrée, « Christine » apparaît comme une chanson pop parfaite, avec ce quelque chose en plus, une fêlure adolescente parfaitement mise en scène par la voix tantôt détachée tantôt chuchotée de Chadwick. Suivent « Hope » et « Road ». comme extraits du monde, laissant les guitares dessiner de vastes entrelacs que les voix attrapent au vol. « Man to Child » et sa mélodie déchirante ne tiennent qu’à un fil (vocal). L’émotion est forte. Plus loin « Salomé » apparaît comme une chevauchée pop qui emporte tout sur son passage. En fin de disque « Love in a Car » éblouit encore aujourd’hui, avec son texte ciselé sur un fond mélodique imparable. Puis « Touch me » et ses guitares en rupture nous offre un final étourdissant.

Les deux autres disques cousus d’inédits permettent de réévaluer encore l’album sorti en 1988. Le visage tourné vers l’Amérique (Leonard Cohen, le Velvet Underground, Destroy the heart oblige, et même les Stooges, comme le rappelle une reprise live assez sauvage de l’antédiluvien I Wanna be your dog), The House of Love aura été aussi typiquement anglais, développant ici un psychédélisme vaporeux, là une émotion acoustique à fleur de peau, vaguement lennonienne, comme sur le magnifique Loneliness is a gun présent sur le deuxième disque. Comme peu d’autres à son époque le groupe fait la part belle aux guitares, tant que celles-ci servent les mots. Car Guy Chadwick possède un sens rare de la formule, les mots claquent et reviennent, un style élégant et fulgurant à la fois qui nous émeut encore presque un quart de siècle plus tard.

Il n’aura au final eu qu’un seul défaut : ne pas avoir fait partie des générations gagnantes, coincé entre le sillage des Smiths et la vague brit pop. La maison reste intacte. Promesse d’émerveillements, il suffit d’ouvrir la porte.

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