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Mitski – Interview

“Puberty 2” restera sûrement comme l’un des titres d’album les plus étranges de l’histoire. C’est pourtant celui qu’a choisi Mistski pour son quatrième album, le premier sur son nouveau label, l’excellent Dead Oceans. Affable, déterminée et très pro, l’Américaine nous a accordé une interview ou elle se livre sur son passé musical, sa condition de femme musicienne et bien entendu sur cette fameuse puberté.

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Tu as étudié le cinéma à l’université. A l’époque avais tu déjà l’idée en tête de tenter une carrière dans la musique et de sortir des disques ?

J’ai étudié le cinéma la première année. Je voulais travailler dans un domaine créatif qui avait des débouchés. Pour moi la musique n’en avait pas suffisamment. Tout le monde était super motivé par les cours, contrairement à moi qui passais tout mon temps dans le département de musique à jouer avec d’autres étudiants. J’ai donc demandé à être transférée dans une école de musique, car il n’y avait que ça qui me passionnait depuis le plus jeune âge. J’ai ensuite enchaîné avec le conservatoire. C’était une expérience intéressante car j’ai étudié ce que l’on appelle la composition libre. J’ai développé quelques acquis en studio également.

C’est ton quatrième album en cinq ans. A l’heure où les albums sont souvent espacés de deux ans à cause de tournées incessantes, tu sembles aller à contre courant. Pourquoi ce choix ? Es-tu quelqu’un de très productive ? Ecris-tu en permanence ?

Tu me prends par surprise car je n’y ai jamais réellement pensé. Cela parait énorme ! J’ai tellement de chansons à publier. D’un autre côté, ce ne sont que des pop songs. En composer dix-onze pour un album n’est pas insurmontable.  A l’heure où je te parle, “Puberty 2” n’est même pas encore sorti et pourtant le prochain album est déjà écrit et je meure d’envie de commencer à l’enregistrer. Composer n’a jamais été un problème pour moi. C’est quelque part une façon d’assumer mes responsabilités d’adulte dans le sens où la musique assure mes revenus. Par contre trouver le temps d’enregistrer un album et toute la logistique qui va avec est bien plus compliqué et chronophage.

Tu affirmes que, pour la première fois, tu avais une idée précise en tête que tu as réussi à retranscrire complètement avec cet album. D’après toi, qu’est ce qui a fait la différence cette fois-ci ?

Je n’étais pas assez expérimentée sur mes albums précédents. J’avais encore trop à apprendre. Du coup je n’avais pas suffisamment de temps pour expérimenter. Je faisais juste de mon mieux pour tenir le projet à bout de bras. Cette fois, je me sentais familiarisée avec les techniques de studio. J’avais plus de liberté pour le reste.

Pourtant, on retrouve quelques sonorités similaires avec l’album précédent. As-tu préféré te consacrer à d’autres aspects, des détails qui t’avaient échappés sur les disques précédents ?

J’ai composé les deux premiers albums au piano avant de me mettre à la guitare pour le troisième. Ayant continué à la guitare pour “Puberty 2”, il y a un lien évident entre les deux derniers disques. Je n’ai appris à jouer de la guitare que récemment, ma technique n’a pas encore suffisamment évolué. J’ai donc, comme tu l’as remarqué peaufiné les détails et j’ai ajouté quelques nouveaux instruments, comme le saxophone. Il y a quand même une évolution.

Si tu devais choisir entre la guitare et le piano, tes deux instruments de prédilection, lequel serait ton préféré ?

Il m’est impossible de choisir. Je pense par contre m’orienter plus vers le piano pour le prochain album car cela fait tellement longtemps que je n’ai pas composé avec. L’instrument que j’utilise influe énormément sur le style des chansons.

Quel est le titre dont tu es la plus fière sur cet album ?

Ce sont tous mes bébés, comment veux-tu que j’en choisisse un (rire). “Happy” m’a fait ressentir quelque chose de spécial, comme un accomplissement. J’avais une idée très précise du son qu’il fallait à cette chanson et j’ai dû me battre avec le producteur pour qu’il m’écoute. Il doutait de mes choix, notamment de l’utilisation d’un saxophone filtré dans un ampli de guitare. J’étais super fière de m’être imposée, car à l’arrivée, c’est mon idée qui fonctionnait le mieux.

On passe sur le disque d’un titre très brut et court  comme “My Body’s Made Of Crushed Little Star” enchaîné à un titre plus apaisé et plus sophistiqué musicalement comme “Thursday Girl”. Pourrais tu nous dire pourquoi ?

C’est parce que lorsque j’écoute des albums, je m’ennuie souvent après quelques titres car tout est joué dans le même style, sans réel changements ni surprises. Je garde toujours les auditeurs en tête et comme j’ai vraiment envie qu’ils écoutent le disque jusqu’au bout je fais vraiment attention aux enchaînements de chansons.

Tu donnes beaucoup de toi même dans tes chansons. Ajoutes tu une part de fiction dans tes textes pour brouiller les pistes, ou bien te confies tu à 100 % ?

Tout ce que je raconte est 100 % vrai. Par contre, je ne rentre pas toujours dans les détails, je laisse une part de flou que tu peux interpréter librement. Si un texte fonctionne mieux exprimé par des personnages autres que moi, je transmets mes idées et mes émotions par ce biais. C’est le cas pour “Dan The Dancer”. Ça se saurait si j’étais un danseur nommé Dan (rire). Mais attention, je ne raconte pas mon journal intime. Je pars souvent d’un sentiment ou d’une émotion et je développe à partir de là, en utilisant parfois des métaphores.

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Tes textes sont souvent portés aux nues car tu arrives à parler de tes sentiments en tant que femme d’une manière à l’opposé des standards habituels. Les porter sur papier t’es t-il difficile ?

Non car je me moque de ce que les gens vont penser ou dire de mes paroles. La seule chose qui m’importe, c’est que mes textes me paraissent suffisamment clairs et compréhensibles. Je ne me considère absolument pas comme quelqu’un de particulier, il n’y a pas plus normale que moi. Je pense que les personnes qui écoutent mes disques ont forcément ressenti les mêmes émotions que les miennes et que par conséquent, ce que je cherche à exprimer va leur parler. Après je ne m’exprime pas comme une féministe. Je ne fais pas de la musique pour faire de grandes déclarations politiques dans mes textes. Je suis une femme, je m’exprime donc en tant que tel, il n’y a rien d’anormal à ça. Après, si ouvrir tes pensées sur ta vie en tant que femme est considéré comme un acte politique par certains, que veux tu que je leur réponde !

En 2015, ta collaboration avec ton ancien label, Don Giovanni Records, s’est terminée. L’album a t-il été conçu sans la contrainte d’un label ? Quel impact cela a t-il eu sur l’enregistrement ?

L’album était terminé avant d’avoir une maison de disque. L’enregistrement a demandé du temps car il a y eu plusieurs sessions chez des amis différents, en fonction du temps qu’eux et moi avions de disponible. Des voix étaient parfois posées sur des instrumentaux finalisés depuis des mois. Je n’ai pas pu bénéficier du confort d’un vrais studio pour enregistrer l’album en deux trois semaines.

Pourrais-tu nous donner une explication du titre de l’album ? Te considères-tu comme une éternelle adolescente ?

Ce titre est une blague entre moi et le producteur de l’album, Patrick Hayland. Il avait suggéré ce titre pour l’album bien avant la fin de l’enregistrement. Choisir un titre d’album est une grosse décision. Mais voilà, j’ai un problème depuis toujours, je n’arrive pas me décider à prendre des décisions importantes (rire). J’ai repensé à cette blague et je me suis dit : pourquoi pas ! Il n’y a aucun sens profond, ni aucune signification.

On dirait une sorte de titre de suite de film.

Exactement ! C’était un peu l’origine de la blague. Tu n’as aucune idée du temps que j’ai passé à hésiter entre “Puberty 2” et “Puberty n°2”. C’en était complètement ridicule (rire).

Puberty 2 a été enregistré avec Patrick Hayland. Vous avez presque tout joué à vous deux. Pourquoi cette décision ?

Nous avons même joué tous les instruments. J’étais sur la route non stop, entourée de musiciens, de managers etc. Des gens qui s’impliquaient dans mon quotidien Bref, sans réel moment pour me retrouver seule. C’est pourquoi j’ai voulu m’isoler pour enregistrer mes chansons sans rien avoir à négocier avec qui que ce soit. Je connais Patrick depuis longtemps, je savais que nous y arriverions juste tous les deux.

Dans le même état d’esprit, vas-tu jouer en formation restreinte, voir en solo pour la tournée à venir ?

Nous ne serons que trois sur scène. Je vais jouer de la basse et un guitariste et un batteur vont m’accompagner. Le strict minimum.

Tu refuses dorénavant de parler de politique malgré tout l’intérêt que tu y portes. Pourtant la musique et la politique vont souvent de paire. Pourquoi cette décision ?

Parce que les gens finissaient par ne me parler que de ça. Mais le plus grave c’est qu’ils voulaient mon point de vue en tant que femme d’origine asiatique. J’avais l’impression de devenir un personnage qui ne me ressemblait plus car le fait que je sois musicienne devenait accessoire.

Après avoir passé ta jeunesse à travers plusieurs pays et plusieurs continents, tu es maintenant basée à New-York depuis un moment. En tant qu’artiste, penses-tu un jour quitter les US pour trouver l’inspiration ailleurs ?

Je pense oui. Tout est une question de timing et d’argent. Si aujourd’hui on m’offre la possibilité d’habiter Paris pour quelques temps, je dis oui sans même réfléchir. Mais pas particulièrement pour y trouver de l’inspiration, car je n’en ai jamais manqué. C’est plus que j’ai tellement changé de pays dans ma jeunesse que cette envie de vouloir vivre dans des pays différents fait vraiment partie de moi. J’ai tendance à devenir anxieuse après quelques années passées à vivre au même endroit. 

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