Disque après disque, Alpine Decline affirme sa singularité. Là où bien des groupes choisissent un style et s’y tiennent, le duo américain exilé en Chine semble toujours quelque peu fuyant. Fuyant donc, insaisissable même, mais le plaisir à les suivre est chaque fois plus grand. “Go Big Shadow City” est un grand disque, c’est aussi simple que ça. En onze titres, on croise bien des fantômes, mais ceux-ci restent flous. Il y a de la pop, indéniablement : les mélodies sont implacablement accrocheuses (“Pity the Pacified”, “Visions Run Dry”, “My Smokestack Only Burns at Night” ou “Fearless in the Face of Fate” aux riffs foudroyants), ce qu’il faut de rock pour muscler le jeu (une production râpeuse, une urgence dans l’atmosphère), mais aussi une ambiance. Alpine Decline a une capacité d’évocation très forte, en tout cas sur moi : j’ai l’impression d’être au milieu d’un chaos urbain, fracas des forces en mouvement mais entouré de paysages indistincts, menaçants. “Walk With Mask” (au titre évocateur) creuse, au même titre que “Hang Around the Creases” ou “Don’t Ask Questions”, le sillon d’une musique qui prend le parti de ne pas apparaître toujours en pleine lumière, de garder un voile de mystère. La beauté qui surgit garde ainsi toute sa force, renforce le sentiment de grandeur de la musique d’Alpine Decline. Le duo n’a pas son pareil pour se rendre autant accessible au travers de ses chansons que mystéreux dans ce qu’il dégage par ailleurs. Sans pose aucune, le duo est devenu un groupe terriblement précieux, que l’on hésiterait presque à partager, mais ce disque est trop beau pour rester dans l’ombre qu’évoque son titre.