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Arlt – La Langue

ARLT – La Langue
(Almost Musique / Socadisc) [site]

ARLT - La LangueArlt – comme un raclement de gorge ou un défi à la prononciation – est un duo parisien composé d’Eloïse Decazes et Sing Sing (déjà auteur en 2007 d’un EP solo remarqué, « Ton pire cheval »), couple à la scène comme à la ville. « La Langue » est leur premier album, enregistré par Mocke du groupe Holden qui y joue aussi de la guitare en arrière-plan avec sa finesse habituelle. Autant prévenir tout de suite le lecteur et auditeur potentiel : la musique de Arlt ne ressemble guère à l’ordinaire de la chanson française – bonne ou mauvaise. Tout au plus peut-on rattacher le duo à une veine poétique (mais sans préciosité ou hermétisme) plutôt minoritaire au pays de Bénabar, dans laquelle s’illustrèrent Léo Ferré, Bashung, Murat ou Noir Désir dans leurs bons jours, et que perpétuent aujourd’hui des artistes comme Bertrand Belin, Bastien Lallemant ou JP Nataf – pas de quoi faire une scène, plutôt une nébuleuse amicale qui a ses habitudes à La Java, aux Trois Baudets ou au festival Le Festin dans l’Yonne.

La langue est bien la grande affaire de « La Langue » : concis, coupants et énigmatiques comme des haïkus, les textes, écrits pour la plupart par Sing Sing, préfèrent la puissance évocatoire à la littéralité, le flottement du sens au message asséné. Dans ces histoires de « je », de « tu » et de « nous », on pêche quelques perles (« Partout tous les oiseaux sont tombés au sol, d’un coup d’un seul » ; « Apportez vos dents, nous en ferons bien quelque chose », « Je n’en ai pas l’air mais je jure que je hurle »), rendues plus baroques encore par les ruptures mélodiques qui les traversent et par l’alliance de deux voix a priori antinomiques. A la traditionnelle alternance couplet-refrain, Arlt préfère des constructions libres où la répétition des phrases leur confère un caractère obsessionnel ; principe poussé dans ses derniers retranchements sur « Revoir la mer », où plus de la moitié de la chanson consiste en un « Son corps contre mon corps, c’était comme revoir la mer » psalmodié ad lib par Eloïse.
A cette épure lexicale répond le dépouillement instrumental (deux guitares, un peu de batterie, une prise de son sans effets), qui jette un pont entre un Velvet Underground folk (réminiscences dans le riff de « Après quoi nous avons ri ») et les formes les plus anciennes de la chanson d’ici. La moitié féminine du duo a d’ailleurs enregistré avec le guitariste improvisateur Eric Chenaux des interprétations troublantes d’airs médiévaux, et reprend ici le traditionnel « Je voudrais être mariée », en faisant justement oublier son aspect patrimonial. Tout l’album est à l’image de ce morceau : rarement une musique aussi sèche et austère au premier abord ne nous aura paru aussi vibrante, incarnée, brûlante. Car après tout, comme le chante Eloïse, « Que vaut la vie sans incandescence ? »

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