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Disques

Dominique A – La Fragilité

 Dominique A - La Fragilité

Entre Dominique A et “La Chanson Française”, l’histoire a longtemps été compliquée, tissée de malentendus et de légères incompréhensions. Comme d’autres musiciens qui ont démarré à peu près en même temps que lui (Katerine, Silvain Vanot, Miossec…), le Nantais chantait certes dans notre langue, mais ne venait pas vraiment de là. A ses débuts, il prenait un malin plaisir à reprendre des artistes anglo-saxons obscurs (Craig Davies, The Silos…) ou jetait son dévolu sur “Chiqué chiqué”, morceau génial mais limite variétoche de Christophe, pas encore devenu icône branchée. “La Mémoire neuve” (1995), album moins bricolé que les précédents, aurait pu l’introniser dans la famille, mais Dominique A ne semblait pas en avoir très envie : qu’on se souvienne de son discret coup d’éclat aux Victoires de la musique et du radical “Remué”, son disque suivant… Puis ses défenses sont peu à peu tombées, l’auteur acceptant (notamment sur “Vers les lueurs” et “Eléor”) de s’inscrire dans une tradition, mais sans déférence excessive à l’égard des “grands anciens”.

“La Fragilité”, seconde livraison de l’année après “Toute latitude” en mars, serait-il l’album de la réconciliation définitive avec une certaine idée “classique” de la chanson française ? Il est en tout cas né du dépoussiérage d’une guitare acoustique utilisée par Dominique A dans les années 90, quand l’autre avait pour origine une machine plus moderne et à la musicalité moins évidente, une boîte à rythmes. Si chacun des deux disques ne peut évidemment s’y résumer, ce choix instrumental fonde un contraste fort, en plus de l’opposition “enregistrement en groupe/en solo”. Là où “Toute latitude” convoquait des fantômes new wave et pouvait se révéler brutal, froid et sombre, cette nouvelle collection de douze chansons apparaît au contraire placide et sereine. Comme la décantation ultime de son style.

Judicieusement placée en ouverture, “La Poésie” (qui par son titre évoque fatalement “La Musique” sur l’album du même nom) a quelque chose de programmatique : à leur manière, fragile donc, ces chansons où il est beaucoup question de havres de paix vont donc tenter de repoétiser le monde. Celle-ci a été écrite juste après la mort de Leonard Cohen, et l’hommage est d’autant plus réussi que le Français ne cherche pas à décalquer le style du regretté Canadien, au-delà d’une base sur deux notes qui rappelle “The Partisan”. On y entend, comme ailleurs sur l’album, un peu de la langueur méditerranéenne de Moustaki ou Rezvani (né à Téhéran, certes, mais amoureux de la Provence et de la Corse), que l’enfant de Provins avait déjà touchée du doigt quand il avait repris “Les Enfants du Pirée” (Hydra, l’île où Cohen avait une maison, est d’ailleurs juste en face du port athénien).

“La Fragilité” se contente de peu : outre cette guitare amoureusement caressée, un peu de basse et de boîte à rythmes parfois, quelques notes d’orgue fantomatique comme sur les premiers Tindersticks, et c’est à peu près tout. Ce dépouillement pourrait renvoyer au minimalisme un peu claustrophobe des débuts, mais c’est au contraire une impression d’ampleur et de plénitude qui domine ici. La voix de Dominique A n’a sans doute jamais été aussi belle et apaisée, ses mélodies aussi limpides et immédiates, les sonorités aussi aérées. Ce disque que sa modestie aurait pu condamner à la monotonie est une merveille d’équilibre, campé sur deux piliers solides, de ces pop songs qui, même si elles ne sont pas une spécialité de la maison, parsèment l’œuvre “anéenne” (“Dans un camion”, “Vers le bleu”…). Elles s’intitulent ici “Le Grand Silence des campagnes” (un terrain déjà plusieurs fois labouré, notamment sur le terrible “Corps de ferme à l’abandon” du disque précédent, et ici regardé avec une acuité qui n’exclut pas le tendresse) et surtout “Le Temps qui passe sans moi”, qui a tout pour devenir un futur classique.

“La Fragilité” est sorti à quelques jours des 50 ans de son auteur. C’est à la fois anecdotique et signifiant. Ce disque, Dominique A n’aurait évidemment pas pu le faire il y a vingt-cinq ans, ou en tout cas pas comme ça. On y entend cette maîtrise tranquille qui ne vient qu’avec l’âge. Mais aussi, et malgré les apparences, le refus de livrer une musique trop confortable et “installée”. La Chanson Française va donc devoir attendre encore un peu pour se trouver un nouveau notable.

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