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Interviews

Field Music – Interview

Les ferères Brewis ne sont peut-être ni riches, ni célèbres, mais ils peuvent se targuer du respect quasi unanime de la critique et de leurs pairs, ce qui n’est déjà pas si mal. Depuis une bonne décennie, ils publient sous le nom de Field Music des disques qui leur valent des comparaisons avec les orfèvres les plus doués et aventureux de la pop britannique. Quatre ans après “Plumb” – une période pendant laquelle ils ont mené à bien divers projets personnels, enregistré une B.O. instrumentale sortie discrètement l’été dernier et, surtout, sont devenus tous les deux papas –, Peter et David reviennent avec un nouvel album de près d’une heure, “Commontime”. On y retrouve ce que l’on aimait sur les précédents : l’extrême clarté du son, les brillantes idées mélodiques, les influences parfaitement digérées, le mélange de modestie et d’extrême intelligence musicale qui se dégage de l’ensemble. Dans un étrange chalet à deux pas de la gare de l’Est (en fait une annexe du Café A, rue des Récollets), ces deux parfaits gentlemen de Sunderland nous ont parlé de leur méthode de travail, de leur évolution et de l’accent cockney – entre autres choses.

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La pochette de l’album rappelle celle du troisième album de Soft Machine, est-ce une coïncidence ?

Peter Brewis : Non, c’est bien un hommage au groupe. J’ai beaucoup écouté Soft Machine ces derniers temps. Mais étrangement, juste les deux premiers albums, pas vraiment le troisième. Nous voulions revenir à quelque chose de plus proche de la pochette de notre premier disque en termes de design, et nous trouvions que le lettrage du troisième album de Soft Machine était une bonne source d’inspiration.

David Brewis : Nous avons souhaité que le nom du groupe soit en découpe sur la pochette extérieure pour laisser entrevoir la pochette intérieure du disque. On peut même s’amuser à la mettre dans le sens que l’on souhaite pour changer les couleurs.

Vous avez mis quatre années pour mener des projets chacun de votre côté et composer une bande originale de film. Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de retourner à Field Music ?

D.B. : Nous n’y avons pas vraiment réfléchi pour la simple raison que si nos agendas nous l’avaient permis, nous serions retournés bien plus tôt en studio. Une fois la promotion de “Plumb” terminée, à aucun moment il n’y a eu de discussion sur la fin de Field Music. Nous avions des projets sur lesquels nous nous étions engagés, et il fallait juste que nous les menions à terme. Ce break nous a été bénéfique car nous avons appris à travailler différemment, que ce soit au niveau de notre démarche où de la recherche d’idées nouvelles. Nous avons également appris à travailler plus rapidement et à une échelle moindre que pour Field Music, qui restera toujours l’entité à laquelle nous consacrons l’essentiel de notre énergie.

Pendant cette période durant laquelle vous avez continué de composer pour différents projets personnels, avez vous commencé à mettre des idées de côté pour ce nouvel album car vous estimiez qu’elles sonnaient trop “Field Music” ?

D.B. : Pas vraiment, car chaque album demandait une direction musicale bien spécifique, différente de ce que nous faisons avec le groupe. L’abum de School Of Language avait par exemple un feeling très r’n’b. La bande originale de “Drifters” a été improvisée, sans aucun overdub. Et puis, ce n’est pas comme si nous étions deux personnes hyper prolifiques (rires).

Pourtant, en un peu plus de dix ans, vous avez sorti 14 albums en groupe ou en solo (y compris deux compilations).

P.B. : Vous en êtes certain ? Ça me paraît énorme ! (nous leur en apportons la preuve). Nous n’avons pas été si fainéants que ça, alors (rires). Vous savez, nous avons notre propre studio, donc nous n’avons jamais l’impression d’aller au travail.

D.B. : Après la naissance de mes enfants, j’ai pourtant eu l’impression de ne rien faire pendant de longues périodes. Pourtant c’est pendant cette période que j’ai terminé le mixage et l’editing de l’album “Frozen by Sight” que j’ai enregistré avec Paul Smith (de Maxïmo Park, originaire de même région, ndlr). Nous avons ensuite fait exactement la même chose pour le disque de nos amis de Slug.

P.B. : Nous avons également changé des milliers de couches, c’est important de le préciser. Car je suis également devenu papa (rires).

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Devenir parent a-t-il eu un impact sur les thèmes abordés sur ce nouvel album ?

D.B. : Nous avons surtout travaillé beaucoup plus rapidement car nous nous sommes beaucoup occupés de nos enfants et ne disposions que de trois jours par semaine pour nous consacrer ensemble à la musique. Nous enregistrons généralement nos albums sur une période de cinq mois. Mais cette fois ci, c’est la façon dont nous avons utilisé cette période qui a été différente. Nous avons passé trois mois à boire de la bière, et deux semaines d’enregistrement super intenses (rires). Plus sérieusement, nous avions une routine pendant ces trois jours de travail hebodmadaires, qui consistait à chercher de nouvelles pistes et jouer à jusqu’à la pause déjeuner, suivie d’enregistrements l’après-midi.

P.B. : Mon fils, même s’il est encore très jeune, adore la pop music. Je ne pense pas qu’il aimerait Soft Machine (rire). Il réclame sans cesse d’écouter des titres comme “Lady Madonna”, “Fame”, ce qui fait que j’ai écouté beaucoup de musique de qualité, de structure classique, et facile d’accès. Ma passion pour toutes ces chansons qui m’ont influencé à une époque a resurgi et ça a eu un impact évident sur le son de “Commontime”. Pour en revenir à notre méthode de travail, et au fait que nous sommes plus efficaces en studio, nous avons plusieurs expériences d’enregistrements derrière nous. Nous sommes beaucoup plus confiants qu’avant pour trancher quant à ce qui peut fonctionner ou pas dans un titre. Nous laissons notre instinct s’exprimer.

Avoir travaillé en improvisant sur la bande originale de “Drifters” (un documentaire datant de 1929), composée uniquement d’instrumentaux, a-t-il joué sur votre approche musicale pour “Commontime” ?

P.B. : Oui, c’est une certitude. C’est surtout grâce à ça que nous sommes plus confiants. Nous n’avons jamais autant improvisé et expérimenté que sur “Commontime”. Notamment avec la batterie. Parfois nous n’avions aucune idée de là où nous allions aller, mais nous nous en moquions. Au contraire, nous appuyions sur la touche “enregistrement” pour être certain de ne pas passer à côté de quelque chose d’intéressant.

D.B. : Notre musique était beaucoup plus réfléchie et complexe par le passé. Même en live, nous ne nous éloignions presque pas de la structure du disque. Nous avons pour la première fois laissé des erreurs sur “Commontime”. Enfin, ce que j’appelle “erreurs”, Brian Eno en a fait une carrière (rires).

P.B. : Il existe énormément de classiques du rock contenant des accidents de studio qui ont été gardés volontairement. “Jean Genie” de Bowie par exemple, où les musiciens ne démarrent pas en même temps au début du morceau.

Une fois de plus, vous avez presque tout joué à deux ?

D.B. : Nous avons eu pas mal d’invités cette fois-ci. Nous avons à nouveau fait appel à un quartette de cordes. Il y a également un joueur de saxo. Notre volonté a été de leur laisser de l’espace afin qu’ils puissent apporter leur savoir-faire. Notre ancien clavier, Andrew Lowther, a pu jouer du piano dans un style qui lui est propre. Là aussi, tout s’est fait très vite. Chaque invité n’a pas eu besoin de plus d’une heure de présence en studio pour sa contribution.

On a beaucoup parlé de références à Talking Heads pour le single “The Noisy Days Are Over”. Qu’en pensez-vous ?

P.B : Nous somems d’accord, même si nous ne nous en sommes aperçus que bien après l’enregistrement. Mais nous ne sommes pas du tout embarrassés par cette ressemblance. De toute façon, la technique que nous avons choisie pour jouer la ligne de basse donnera toujours un son à la Talking Heads. Mais le morceau évolue vers la fin et la comparaison est moins évidente.

Il dure près de 6 mn 30. Avez-vous fait un edit pour les radios ?

D.B. : Oui, nous en avons fait deux en fait. Un pour la vidéo et un pour la radio.

P.B. : Ce n’était pas évident, car nous voulions absolument garder le saxophone.

“It’s a Good Thing” sonne très Neptunes/N.E.R.D., était-ce volontaire ou bien c’est un pur hasard ?

P.B. : Vous avez exactement compris l’esprit du morceau.

D.B. : Nous avons toujours aimé ce genre de productions de la fin des années 90, début des années 2000. Le premier album de Justin Timberlake, les productions de Timbaland et des Neptunes, le single “Frontin’” de Pharrell… Mais nous ne voulions aucun sample sur “It’s A Good Thing”, car nous jouons de la musique avec des guitares, c’est ce que nous aimons faire. Nous avons donc construit le titre autour de ce que nous imaginions être le son des Neptunes s’ils jouaient avec de vrais instruments. Je suis un grand fan de “In Search of”, le premier album de N.E.R.D., en tout cas la version “autorisée” sur laquelle ils jouent avec un groupe qui sonne un peu metal. Même si je ressens toujours une frustration à son écoute car je me demande toujours comment il aurait sonné avec des musiciens un peu plus fins. C’est ce que nous avons essayé de faire, en définitive (rires).

Pour poursuivre sur le thème des influences, sur des morceaux comme “Disappointed” ou “Not for You”, on croit sentir un esprit “blue-eyed soul”, très américain, typique de musiciens comme Hall & Oates. Êtes-vous d’accord avec cette impression ?

P.B. : Oui, et cette influence est là depuis le début. Je me souviens que quand j’ai posté nos premiers titres sur MySpace, j’avais cité comme influences The Left Banke, The Neptunes, et Stax. Elles viennent des disques que nos parents passaient à la maison, Robert Palmer, Steve Winwood… Bref, pas des artistes cools comme les Beatles et les Stones.

D.B. : Ils nous avaient acheté un synthé du début des années 80, un Yamaha si j’ai bonne mémoire, qu’on retrouve sur bon nombre de productions de l’époque. Ses sonorités étaient très lisses, très américaines et ça nous a également influencés. A tel point qu’au début du groupe, on se demandait comment nous allions pouvoir rendre nos chansons cohérentes avec un son aux influences américaines et notre chant que sonnait typiquement du nord de l’Angleterre ! (rires) Mais je me pose moins ce genre de questions maintenant. Regarde le nombre d’accents que David Bowie a adoptés tout au long de sa carrière…

Ou Damon Albarn et son faux accent cockney !

(rire général)

D.B. : Cette remarque est intéressante, car quand Bowie change d’accent, il y a une cohérence, tandis qu’avec Damon Albarn, on dirait plus qu’il l’utilise comme un masque, pour se cacher derrière quelque chose. Que ce soit sur scène, dans ses disques, sur les photos… Mais attention, je ne suis pas en train de dire que c’est un imposteur.

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La musique britannique qui marche le mieux est généralement celle où les émotions sont mises en avant avec une certaine emphase : Adele, Amy Winehouse, Coldplay, “Angel” de Robbie Williams, “We Are the Champions” de Queen… Des choses que l’on peut chanter en chœur à l’heure des “last orders” dans un pub. Vous n’avez pas l’impression d’être totalement à contre-courant, de ce point de vue ?

D.B. : Je ne fais pas de la musique pour me limiter à un seul type de chansons. En tant qu’individu, quand tout va bien, je me demande toujours quand ça va s’arrêter. Et à l’inverse, quand je suis au plus bas, je me force à reprendre le dessus. Nos chansons reflètent plutôt cette ambiguïté.

P.B. : Si tu prends l’exemple de “We Are the Champions”, les paroles cherchent à faire passer un message absolument positif, mais qui n’est basé sur rien ! L’idée d’une telle chanson, avec un thème aussi direct, sans nuance, m’est totalement étrangère. Dave, tu m’imagines arriver un jour et dire : “Hey, comment ça va aujourd’hui ? Au fait j’ai une idée pour une chanson, elle s’appelle ‘We Are the Champions of the World’.” (rires)

En schématisant, on pourrait dire qu’il y a deux écoles, l’une représentée par Oasis (recherche d’efficacité et volonté d’être accessible) et l’autre par Radiohead (plus cérébral et tourmenté), pour prendre deux des groupes les plus populaires des années 90. Ne pensez-vous pas qu’un artiste comme Bowie arrivait dans certains morceaux à faire une synthèse intelligente des deux ?

D.B. : Oui il pouvait être mélodramatique tout en restant brillant. Il ajoutait une dose d’abstraction et de complexité aux émotions.

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