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Disques

Jérôme Minière – Une Clairière

Jérôme Minière - Une Clairière

On était impatient d’entendre le LP « Une Clairière », pendant du CD « Dans La Forêt Numérique » paru l’an passé, annoncé comme plus expérimental. Le malin Minière a glissé des petits cailloux pour ne pas nous perdre dans sa forêt de titres en nous proposant en ouverture une relecture de « La vérité est une espèce menacée » avec un clairière mix, avec une attention particulière portée aux cordes qui surgissent comme autant de délicatesses et autres mignardises de Michel Legrand. Est-ce ce subtil décalage qui me fait remarquer ce choral d’église à l’orgue, lointain écho de Bach en boucle mais aussi des sixties lettrées, qui m’avait totalement échappé? Il est en tout cas toujours autant question de souvenirs et de traces musicales, et de l’analogique côtoyant le numérique. Ce qui est étonnant c’est qu’ »Une Clairière » est plus centrée sur la numérisation de la vie que « Dans La Forêt Numérique » qui faisait aussi émerger des chansons et des souvenirs d’enfance comme une sorte de réaction épidermique (cf la pochette avec la photo du jeune Minière devant des fenêtres plus ou moins opaques) et comme si le numéro 2 était en fait le numéro 1, retrouvant sens dans l’enchaînement des titres des albums.

Les textes semblent ici plus que sur le précédent porter la musique sans (trop forcer la) mélancolie ni (déchaîner trop) le pathos (on se contentera de suggérer tout ça avec une petit basse bien New Orderienne sur le plutôt léger « Cascades ») et nous laissent une lueur d’espoir puisqu’une panne d’électricité suffit à dissiper réseaux sociaux et autres clouds trompeurs.

Le beau vide évoque le « Beau Bizarre » de Christophe sur un canevas à la Sheller et avec « La Beauté », Jérôme Minière offre un appendice numérique à « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » de Walter Benjamin tout en revisitant la révélation proustienne et finale du « Temps Retrouvé » (« aujourd’hui la beauté, ça n’a pas changé : ça prend toujours l’éternité »), le tout sur un beat et des claviers à la Kraftwerk pour 9mn25 de voyage sur une autobahn de l’information poétique.

C’est l’occasion de croiser un autre perdant (enfin plutôt perdu… de vue) autrefois magnifique, Beck, sur « La Somme des jours » même si les traces de temps musicaux (ici les années 90) cherchent toujours à être soulignées pour mieux être effacées ou recouvertes par d’autres. Tout y est collages, recollages, décollages ; tout ce qui était devant passe en dessous (Vaste, énorme boulot de production).

Au final, cette « Clairière » est plus lumineuse, paradoxalement, plus touffue et plus concentrée autour de très jolis textes qui achèvent de nous convaincre du bien qui nous a pris de laisser mourir à petit feu un compte facebook et de ne pas s’être laissé attirer vers d’autres sirènes faussement sociales. Je ne pense pas que cet album soit pour autant un appel à déserter mais il peut y aider. Nous vous encourageons donc, à défaut de rejoindre Walden, ou une commune anar, à fermer incessamment cette fenêtre de votre navigateur espion mercantile et à retourner votre exemplaire vinyle d’ « Une Clairière » sur votre lecteur portatif installé dans votre forêt familiale et/ou amicale. On espère que ce sera aussi beau qu’un clair de « Lune », un tableau de George de la Tour, une cassette déglinguée de Daniel Johnston ou un CD de DJ Shadow.

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