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Disques

Jessica Pratt – On Your Own Love Again

Jessica Pratt - On Your Own Love Again

Bien sûr, il eût été tentant de se montrer plus que méfiant. Après tout, avons-nous encore besoin d’une nouvelle chanteuse d’obédience folk, cette espèce de malédiction nouveau siècle ? A priori également valable à l’encontre de la gente masculine aux vertus boisées. Et pourtant, depuis combien d’années n’avions-nous entendu un album aussi splendide ? Depuis combien d’années n’avions-nous ressenti cette évidence dans un registre n’offrant habituellement guère de surprises ?

Le cas Jessica Pratt relève à la fois du mystère — une voix sans âge et un jeu de guitare classique pour une jeune fille d’à peine vingt-sept ans — et du conte de fée : après avoir quitté Los Angeles pour San Francisco, ces premières démos sont tombées dans les mains de Tim Presley, guitariste de Darker My Love, plus connu sous alias White Fence et intime de Ty Segall.

Résultat : un premier lp, publié en 2012, pressé à 500 copies sur Birth Records, étiquette indépendante, et aussitôt épuisé, ouvrant la voie à une artiste au-delà de son temps et de son époque. Preuve du caractère de la demoiselle, il aura fallu attendre trois ans pour connaître la suite, « On Your Own Love Again », signé chez Drag City, maison de qualité s’il en est. Un choix fort judicieux, plaçant la Californienne entre Bonnie “Prince” Billy et Bill Callahan.

Ce deuxième effort, concis à souhait (32 minutes) et ramassé en neuf titres, dégage immédiatement un je-ne-sais-quoi d’intemporel à cent lieues des navrants palimpsestes à la mode. Au petit jeu des comparaisons, certaines figures s’imposent d’elles-mêmes : Joni Mitchell, Sibylle Baier, Linda Perhacs, Vashti Bunyan, Joan Baez, Karen Dalton… Tandis que d’autres avancent masquées : Gordon Lightfoot sur « Greycedes », en écho au mythique « Beautiful » ; le fantôme de Jefferson Airplane, période « Comin’ Back To Me », sur « I’ve Got A Feeling » ; la country psyché du merveilleux « Moon Dude ».

Toutefois, si ce disque emprunte quelque costume d’apparat délicieusement suranné (le mellotron ouvrant « Wrong Hand »), il ne s’abreuve bêtement au « vintage » pour faire genre. On imagine plutôt son interprète peaufiner ses compositions et réduire avec une science consommée de l’économie l’orchestration comme les arrangements au profit de voix d’enfant se jouant des écueils (la deuxième partie de « Game That I Play » sous haute influence Brian Wilson).

En fait, on aura beau de ratiociner, « On Your Own Love Again » est une œuvre dont l’intimité se dévoile insidieusement, poussant encore et toujours à l’écoute — le genre d’album que l’on devine intuitivement appelé à habiter nos nuits et nos journées, nos petits matins et nos heures entre chien et loup, nos bonnes et nos mauvaises humeurs, notre allégresse comme notre besoin de consolation.

Peut-être que réside ici le secret, au plus profond de cette poignée de chansons d’hier et d’aujourd’hui. Les vertus domestiques au profit d’une vision, l’intime devenu universel. Le cœur, c’est là qu’il faut viser.

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