Loading...
Disques

Maissiat – Grand Amour

Avec Grand Amour, son second album, Maissiat démontre avec une belle délicatesse l’émergence d’une grande grande artiste qui hésite entre le classicisme d’une certaine variété et l’envie d’innovation.

Pendant que d’autres n’en finissent pas de beugler à s’en casser la voix une Barbara lisse et indigeste avec la suavité d’un pachyderme dans une fabrique de porcelaine, ceux-là conjuguent l’inventivité de la dame à l’aigle noir au présent et au futur toujours.

A ceux qui vous diront qu’il n’y a pas de scène féminine par chez nous, renvoyez-les à leurs réductions sexistes car de Pauline Croze en passant par Jeanne Cherhal, il est des créatrices qui osent, qui tentent et qui réussissent. On pensera bien sûr au charme d’Alma Forrer, à Claire Redor, à Daphné, à Pauline Drand ou encore Léonore Boulanger. Ces belles dames qui construisent des œuvres, qui déconstruisent aussi.

On avait découvert le travail d’Amandine Maissiat en 2013 avec son premier album, « Tropiques », réalisé par une certaine Katel. Katel, la chanteuse, proche parmi les proches de la petite dame au chapeau. Cette même Katel qui revient avec un album aventureux, hasardeux, « Elégie » sorti en même temps que ce « Grand Amour ». La preuve d’un trait d’union évident entre les deux artistes. Katel semble insuffler chez Maissiat cette folie douce ce que Maissiat lui offre de maîtrise, quelque part la rencontre entre Shara Worden et Reggiani.

 

Du premier album, on avait conservé cette impression de signifiance, d’écriture à la fois ample, sophistiquée mais pleinement accessible. Une identité pleine de promesses, à laisser mûrir. « Grand huit » qui débute « Grand amour » nous place immédiatement en apesanteur et vient annoncer à grands chuchotements l’émergence d’une immense artiste. Ce culot tranquille, cette assurance sans orgueil de commencer un disque par sa voix seule comme pour faire taire le brouhaha autour, nous imposer de faire silence pour écouter les mots de celle qui dit peu mais le dit mieux. Construit autour de son seul piano, « Grand huit » est (osons le cliché) le « Un Homme heureux » de la petite dame. Commencer un disque par un tel titre est dangereux car par peur d’être déçu, on met du temps à pousser son exploration de « Grand Amour », on aurait bien tort.

Maissiat a plus d’un charme à répandre, elle qui dialogue avec les distances entre nous comme sur cet Avril bouleversant. Se dégage de ces titres un étrange mélange de force et de suggestion. Point d’affèteries ni de minaudage chez la dame. Bien sûr, l’on pensera à Françoise Hardy pour cette même exigence dans la peinture de nos sentiments, Maissiat ne s’en cache pas, elle qui reprend son ainée sur scène. On connaît aussi les goûts de la chanteuse pour le travail d’Etienne Daho que vient encore confirmer la présence de Jean-Louis Piérot à la réalisation ou la sonorité volontairement Eighties de « Swing Sahara » comme un tube de l’été enfin digeste.

Parler de Maissiat, c’est forcément à un moment évoquer la force, la pertinence de ses textes qui ont ce sens de l’économie de moyens, une concision qui intime les points de suspension. Confusément, c’est à Christophe que l’on pense à la lecture de « La Traque » ou d’ »Hypnos » qui logent l’irréel quelque part à l’arrière de nous-mêmes. Là, les frissons des courbes d’un amants qui repeint les murs au Tipp-Ex, là une fille de l’azur qui flaire le maléfice.

Parler de Maissiat, c’est aussi évoquer ces moments à l’orée d’autres moments, ces anticipations des grandes peurs et des petites déceptions, ces petites cabossures qui viennent maltraiter nos carrosseries, ce bleu sentimental tout en minimalisme délicat.

Le piège de la délicatesse en musique, c’est la linéarité. Maissiat évite avec maestria cette possibilité d’échec car elle est non seulement délicate mais elle peut aussi s’affirmer dialoguiste d’un film imaginaire, personnage et metteuse en scène d’un film sans images. L’instant d’avant, évanescente, l’instant d’après qui glisse entre nos doigts comme du sable, une seconde plus tard, affirmée et posée dans son rythme. D’un « Bilitis » sublime comme la mise au jour de ce que l’on est, de ce qui nous fait femme. Un aveu sans travestissement, la certitude d’être enfin complet à la merveille de nuances qu’est « Grand Amour » qui rapproche encore Maissiat d’une combinaison évidente entre Barbara et Françoise Hardy. « La Beauté du geste » vient conclure ce disque comme il a commencé, avec une science du tout petit, du détail, avec cette simplicité mélodique presque naïve qui rappelle Angelo Badalamenti.

Maissiat n’est pas une artiste de la révolution, elle ne veut pas bousculer. Elle veut faire bien plus que cela. Elle souhaite parvenir à allier un certain respect du patrimoine de la grande chanson française mais y faire intégrer par petites touches subtiles de vrais traits d’innovation. Un pied dans le passé, un autre dans le présent et un regard apaisé vers un avenir radieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *