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Nicolas Ungemuth – Interview

NICOLAS UNGEMUTH

Histoire d’un tube, d’une trouvaille mélodique, ou d’un riff inoubliable. Mais aussi parfois influences majeures des plus grands, chefs-d’œuvre oubliés ou méconnus du grand public. "Garageland" évoque ces groupes pop sixties que l’histoire a délaissés au profit des Beatles, Stones et Who. C’est avec beaucoup d’humour et de légèreté que Nicolas Ungemuth répare cette injustice mémorielle. Riche en précieuses anecdotes et superbement illustré de pochettes de 45 tours vintage, "Garageland" dresse ainsi le portrait de ces groupes de séries B (à quelques rares exceptions près puisqu’on y trouve aussi The Kinks, Small Faces et Donovan). POPnews a donc décidé de rencontrer le chroniqueur de la rubrique "Rééditions" de l’infatigable Rock & Folk. L’occasion de revenir sur une époque unique pour la pop. Mais aussi de discuter avec une personnalité qui, à coup sûr, ne laisse pas indifférent et qui a eu le mérite de redonner un bon coup de fouet aux fesses mollassonnes de la critique rock française.

Nicolas Ungemuth, par Julien Bourgeois

"Garageland" est une compilation de tes articles pour Rock & Folk sur les groupes Mod, Freakbeat et Pop des sixties. Peux-tu nous dire comment est née l’idée de cette rubrique atypique de Rock & Folk ?
En fait j’avais envie de parler de groupes amusants, sur un ton amusant, au moment où sont sortis les premiers disques des Strokes, des White Stripes et tout ça. Et en fait, ce que je dis dans la préface c’est que quand on vieillit, on a l’impression que tout le monde a la même connaissance que soi alors qu’en fait non. Et donc je pensais que tout le monde connaissait des groupes comme Chocolate Watchband. Et donc Manœuvre m’a dit : "mais pas du tout, il y a des gens qu’ont quatorze ans, ils connaissent un peu les Kinks, un peu les Small Faces mais pas tout le reste !". Et donc je me suis dit, je vais en parler chaque mois mais d’une manière anti Jukebox magazine ; c’est-à-dire surtout pas un truc pour collectionneurs avec les numéros de séries de chaque quarante-cinq tours et surtout pas en expliquant que ces mecs sont des génies. Mais en expliquant que, des fois, on peut découvrir des choses passionnantes dans des chemins de traverses qui sont moins connus que tout ce qu’on peut trouver. Et en fait, comme à l’époque tout devenait disponible en cd – puis c’était aussi le début du téléchargement – eh bien je me suis dit : "allons-y quoi !"… Ça convergeait aussi avec l’émergence d’une nouvelle scène française (qui n’a pas duré longtemps d’ailleurs) mais qui montrait très bien qu’elle avait un goût pour cette esthétique. Et voilà, c’est né comme ça en fait.

Alors, il y a d’abord eu la rubrique "Garageland", qui traitait des groupes garage américain. Et puis, ensuite, il y a eu la rubrique "Swinging London", avec les groupes mod, freakbeat et pop anglais. Pourquoi les avoir réunis dans un même livre ? Et surtout, quels rapprochements y-a-t-il, selon toi, entre la pop américaine et la pop anglaise de cette époque ?
Le rapprochement c’est déjà la décennie. La rubrique garage, je l’ai faite parce qu’à l’époque c’était la mode du garage et… bon j’aime beaucoup hein mais mes goûts personnels vont plus vers l’Angleterre. Et, je trouvais que c’était bien d’avoir les deux côtés de l’Atlantique. D’ailleurs la chronique dans le journal était un peu biaisée parce que c’étaient d’abord les Anglais qui avaient commencé et, ensuite, les Américains qui ont suivi. Mais en termes de progression, ce sont les Anglais qui sont allés le plus loin. Donc le point commun entre les deux, c’est qu’entre 62 et 68 on passe de "Surfin’ USA" à "Pet Sounds" et on passe de "Twist and Shout" à "Revolver", à "Rain". Et donc, dans le sillage de ces deux dinosaures, il y a plein de petits groupes qui ont explosé partout. C’est l’ère du single. L’album arrive vers 66-67. Et comme un single ça ne coûtait pas cher à faire, il y a eu des centaines et des centaines de groupes plus ou moins repérés, qui en ont fait et, parmi ces singles, il y en a certains qui sont grandioses. C’est l’époque de la chanson et des pas de géant. Tous les six mois il y a un nouveau pas de géant qui est avalé, et voilà.

Il y a donc ce changement à partir de 1967…
Bah à partir de 67, euh…

Enfin, à partir de "Pet Sounds" en fait…
À partir de "Pet Sounds" et de "Revolver", et ensuite en 67, on commence à faire des albums avec des face A et des faces B, un vrai sequencing. Et là, le public se met en masse à acheter des albums alors qu’avant il achetait en masse des singles, et de la culture trash, c’est-à-dire qu’on écoute son single jusqu’à l’usure, on le jette et on passe à un autre single. Et puis tout d’un coup, on s’aperçoit que c’est comme si on passait de la nouvelle au roman. Et à partir de ce moment là, c’est le moment où ça devient hors-sujet pour le livre (enfin j’adore aussi cette période hein). Mais, en fait, la rubrique c’était l’occasion pour moi de dire qu’il y a des chansons fabuleuses, qui ne sont pas forcément sur des albums fabuleux, pas forcément faites par des groupes fabuleux, pas forcément faites par des compositeurs fabuleux et pas forcément faites par des gens qui savent faire des albums. Donc c’était une époque où on faisait une chanson géniale et puis après on pouvait se planter pendant trois ans, et puis on disparaissait.

À ton avis, comment se fait-il que les sixties fascinent toujours autant ?
Bah j’ai un avis radical là-dessus, c’est qu’on n’a jamais fait mieux ! En musique hein… Tout le monde dit que l’après-guerre anglais s’est terminé avec le début des Beatles. C’est-à-dire que, comme on dit que le XXème siècle a commencé avec la fin de la guerre de 1914, l’après-guerre – en tout cas en Angleterre – a réellement commencé fin 50 début 60, parce que les gens étaient encore rationnés. Les Stones, tout ça, ce sont des enfants qui sont nés pendant le Blitz. Et, donc il y a eu l’émergence du principe de jeunesse, parce qu’avant, ça n’existait même pas. Ce n’était même pas un marché d’ailleurs, commercialement parlant. On ne misait pas sur les 501. Il n’y avait même pas de fringues pour les jeunes ! Et, tout d’un coup, avec les Beatles et 62, il y a une espèce d’explosion imprévisible qui arrive, où tout le monde a envie de faire la fête. Et ce qui s’est passé en l’espace de six/sept ans, c’est un truc qu’on n’a pas connu, je pense, culturellement depuis. C’est comme la Renaissance en peinture. J’ai une vision de l’Histoire où je pense qu’il y a des périodes, plus ou moins courtes d’ailleurs. Il y en a qui peuvent durer un siècle, d’autres cinq ans. Il y a des avancées qui sont fascinantes. Mais si on compare à la musique classique, entre le baroque et le début du XXème siècle, il y a deux siècles et demi. Si on parle de l’âge d’or du jazz, c’est du début des années 40 à la fin des années 50. C’est à peine vingt ans. Donc moi je suis persuadé qu’il y a des périodes d’avancées artistiques qui sont fascinantes. Pour plein de facteurs différents… En général c’est souvent des après-guerres d’ailleurs. Si on pense aux après-guerres de la Première et de la Deuxième, si on pense, en France, à ce qui s’est passé à Saint-Germain – qu’on aime ou qu’on n’aime pas – il y a des concordances entre l’Histoire. Le Baby-Boom par exemple. Le fait qu’il y ait tout d’un coup plein de jeunes alors qu’avant il y avait des saignées, c’est-à-dire que les guerres faisaient qu’il y avait plein de jeunes en moins et donc des trouées démographiques. Et puis, dans les années 60, il y a eu les baby-boomers, il y a eu tout d’un coup une espèce d’espoir. Tout est allé très vite. Hier soir, j’étais chez des amis – bon c’est vraiment un truc qu’on connaît tous par cœur – il y avait un bouquin de photographie des Stones que je ne connaissais pas qui s’appelle "The Early Stones" par un photographe danois, enfin c’est pas du tout quelqu’un de célèbre. Ce n’est pas David Bailey. Et donc il les a suivis entre 62 et 66. Et puis, après il est revenu faire des photos d’un concert d’eux en 69. Et on voit même dans le look, la différence qu’il y a entre 62 et 69 c’est la même différence qu’il y a entre un bébé et un adulte. Si on pense, nous à notre évolution, à ce qui s’est passé les huit ou neuf dernières années, c’est pas comparable. Donc je pense que si ça fascine encore, c’est parce que, d’abord, c’était porteur d’optimisme. C’était une époque qui était globalement très gaie ! Et dans laquelle il y a eu des changements en littérature, dans le cinéma, en peinture peut-être un peu moins. Il n’y a que cette période et peut-être la période punk et post-punk qui soient comparables. Le reste ? Bon, il y a toujours de très bonnes choses mais là il y a une espèce d’accélération qui est incroyable !

Et cette accélération, on ne la retrouve pas aujourd’hui selon toi ?
Bah, depuis huit ans il y a eu le premier album des White Stripes et le dernier album des White Stripes… Donc bon, c’est bien mais pas exactement la même chose !

 

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