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Owen Pallett – Heartland

OWEN PALLETT – Heartland
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OWEN PALLETT - HeartlandAprès des écoutes solennelles et prolongées des précédents EP, je ne m’attendais à rien de moins avec Heartland qu’à une grande oeuvre pour ainsi dire annoncée, promise, jurée, harmonieuse comme une statue de Léonidas, bouleversante comme un quator de Brahms, spirituelle comme une cantate de Bach. Oui, je voyais loin, je visais haut et tout autre résultat aurait été un échec, sans pour autant altérer la qualité de virtuose désormais attachée à jamais à Pallett. Il est, depuis, pour ainsi dire aux nues, et quoi qu’il fasse, ne pourra pas aller plus haut, quand bien même il réaliserait dix albums de suite de la trempe d’"Heartland". Ainsi, je savais d’avance que le second LP de Pallett devait être a minima d’une inestimable valeur pour ne pas être une cruelle trahison, tant j’en espérais des merveilles, dont se droguer jusqu’à l’overdose. Ceci étant acquis, le revers de la médaille d’or est qu’ainsi préparé, dans ce délicieux jus de longs mois mariné, "Heartland", à première et suivantes écoutes uniquement, est moins époustouflant que rêvé. Les premières impressions, sans surprise, sont pourtant incroyablement positives : la virtuosité de Pallett transparaît violemment à chaque suite d’accords qu’il semble composer avec une facilité déconcertante, le disque n’est pas difficile d’accès et doté d’un humour tordu mais bien réel, presque toutes les chansons sont renversantes d’audace et belles en diable. Extravagant, comme nombre de compatriotes musiciens, Pallett l’est assurément, et, cependant, se différenciant nettement de ces derniers, il parvient à infuser dans l’ensemble de son oeuvre une étrange et étonnante simplicité, une transparence telle qu’on la prend, une fois devenue intime, comme elle est, sans chercher à la comparer avec quoi que ce soit ou tenter de l’arranger mentalement, en comblant d’éventuelles faiblesses par le travail de l’imagination.

De son propre aveu, Pallett désirait emplir la partition de tellement de notes qu’elle en deviendrait presque indéchiffrable, la noircir jusqu’à l’inflation sonore, et pourtant, miracle du disque, beauté suprême, chacune semble avoir été polie pour qu’on puisse la distinguer sans effort parmi cette effarante masse. Oui, on entend tout, sans pouvoir, certes, ingérer l’ensemble du premier coup, et c’est une rareté qui ne peut être que l’oeuvre d’un travail minutieux et d’une maîtrise absolue de la part de son créateur.

D’abord impressionné par la matière, on est vite happé par le sentiment. "Heartland" n’a rien d’un monument froid et pompeux et s’il est divin, il n’en reste pas moins proche des hommes. Aussi complexe et audacieux qu’il soit, le disque est d’une extraordinaire limpidité : en dépit d’une multitude de chausse-trappes s’évanouissant au bout de quelques secondes alors qu’ils semblaient être le squelette de la chanson, de portes vite refermées, de sentiers dégagés puis changeant de cap jusqu’à se perdre dans les broussailles, d’arrangements s’emboîtant les uns dans les autres comme des poupées russes, d’une succession de thèmes principaux et secondaires dont les positions dans la hiérarchie musicale s’intervertissent en permanence, la mélodie, toujours belle, toujours magique, toujours riche, n’a pas besoin d’être guettée et traquée. Si elle est métamorphe, en perpétuelle modulation, elle est comme rivée à l’oreille et ne s’enlise jamais dans les innombrables strates de chaque titre. Il n’y a pas de moments figés, l’ensemble est constamment en mouvement, poursuivant une fin souvent impossible à prévoir, que l’on ne cherche bientôt plus à vainement anticiper, mais qui déboule comme un train lancé à pleine vitesse et dont la lumière éblouit sans blesser les yeux. Les contours sont nets,la voix de Pallett chaleureuse, et, aussi curieux que cela paraisse, la progression de la plupart des titres a une intensité que seuls quelques groupes de rock peuvent se permettre d’avoir sans tomber dans l’emphase. Le fond, certes, les textes en l’occurrence, sont agressifs, explicitement violents, la musique s’en fait parfois l’écho ainsi que sur l’immense et furieuse "Lewis Takes Off His Shirt".

"Heartland" est une tourbillonante valse qui plonge l’auditeur dans un état proche du rêve éveillé, un good trip sans opiacés, lui faisant d’abord perdre tout repère pour le remettre soudainement sur la piste, étonné d’avoir un sol sous les pieds, mais l’esprit encore vaporeux, calme, détendu. Derrière les pédales d’effets de boucles, les puissantes et subtiles cordes de l’Orchestre de Prague, on reconnaît toujours l’omniprésence de l’humain Owen Pallett, démiurge farouche, inclassable, constamment en première ligne, sans masques et sans aucune timidité. Ainsi que le personnage de Lewis, qui finira par se lever et se montrer, simple et nu..

Julian Flacelière

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