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Disques

Owen Pallett – In Conflict

Owen Pallett - In Conflict

Après deux premières livraisons acclamées, « Heartland« , sorti en 2010, était le premier album à abandonner la dénomination geek Final Fantasy, afin de laisser apparaître son auteur sous un jour nouveau. Owen Pallett, l’homme-orchestre, l’arrangeur de l’ombre ayant collaboré aux œuvres de tant de génies de la pop indé ces dernières années (Arcade Fire, Grizzly Bear…), se révèle encore davantage dans sa plus récente livraison, « In Conflict ».

Ce quatrième opus est en effet le premier dans lequel Owen Pallett laisse au placard sa panoplie de démiurge, créateur d’albums-concept autour, en vrac, des jeux et romans de fantasy, des limites du monde réel, ou encore de l’histoire d’un fermier vivant dans un monde imaginaire. Partant de nouveau de la fiction pendant son processus d’écriture (30 démos réduites à 13 morceaux sur CD), Pallett a mis au jour des sentiments plus intimes, les siens ou ceux de ses proches : « In Conflict » correspond aux différents états d’esprit que connaît un individu à divers stades de sa vie, et qui entrent en conflit entre eux, qui s’entrechoquent. Ses chansons évoquent en filigrane la maladie mentale, la question du genre, l’alcoolisme ou les relations amoureuses à l’aune de la différence d’âge. La mise à nu est toujours dissimulée (à l’image de la tâche d’encre qui oblitère une partie des paroles, jamais au même endroit selon les formats sous lequel l’album a été publié ?) par une écriture imagée, à la langue riche et à la narration se rapprochant davantage de la nouvelle que de la chanson. Owen se livre donc, mais ne recherche pas la compassion ; il s’exprime, mais ce disque est loin de l’exutoire personnel : au contraire, il va jusqu’à filer à l’auditeur son numéro de téléphone dans le livret, afin que ce dernier l’appelle en cas de besoin…

 

Côté musique, Owen Pallett renoue avec la mélodie, à laquelle nous avait habitués le morceau de bravoure « This is the dream of Win and Régine » (« Has a good home »), et quelque peu perdue dans son projet pour quatuor à cordes (« He poos clouds ») ou dans les méandres des orchestrations complexes de « Heartland ».

« In Conflict » est pourtant loin de contenir de simples poèmes récités par le violon magique de Pallett, fût-il capable des mêmes boucles miraculeuses que sur scène : l’artiste enfile toujours les couches d’instruments comme les perles d’un collier à plusieurs rangs, ne laissant jamais le côté pop disparaître derrière l’exigence. Souvent présent, le violon est enrichi de synthés, d’effets électroniques ou de percussions, parfois rejoints par un invité de choix aux chœurs et aux claviers, en la personne de Brian Eno.

« I am not afraid » contient certainement parmi les paroles les plus directes : Owen Pallett, sur le frémissement du violon toujours en suspens et quelques touches d’un piano mineur, affirme qu’il n’a plus peur, malgré la trentaine galopante. Il comprend ceux (lui inclus ?) qui, par choix ou pour des raisons biologiques, optent pour un avenir sans enfants : « Je n’aurai jamais d’enfants […] La vérité ne nous terrifie pas. » Un thème qu’il poursuit plus loin dans le magnifiquement intense « The riverbed » : « On the day that you found your thirties have left you childless/Remember when you meet your coupled friends with unease/The world will forget all the good they have done ». Sur le morceau éponyme de l’album, des sonorités électroniques, mystérieuses, coulent doucement, rejointes par la voix sourde de Pallett, puis une basse ronde intervient avant que le violon ne vienne soutenir cette cavalcade pop. « On a path » commence par un intermède au violon languissant, rappelant les arrangements de « The Suburbs » d’Arcade Fire : on le retrouvera après chaque refrain comme un motif récurrent, créant pour notre oreille des repères après les nombreuses ruptures de ton.

Mais s’il fallait choisir un single parmi cette collection, ce serait sans doute l’élégiaque « Song for five and six », dans lequel la voix de ténor d’Owen Pallett joue aux montagnes russes pour livrer un constat à l’évidence tranchante : « There’s a gap between what a man wants and what a man will receive ». Dans la deuxième partie du morceau, un violon sautillant, puis un tourbillon 80’s s’emparent de cette mélancolie latente, dont les percussions inventives et le pont tout en rebondissements secs sont des bijoux.

 

S’amorce alors un passage plus lent sur le disque : « Chorale », avec ses arrangements de cuivres (ressemblant fortement au « Hip Hop » de Mos Def, lui-même samplé d’un titre de David Axelrod), est plus solennelle, ornée de quelques beats et grattements dignes des arrangements de Mark Bell sur « Homogenic » de Björk, tandis que « The passions » et « The sky behind the flag » paraissent languides et ternes en comparaison avec les parures chatoyantes présentées en début d’album. La tension est heureusement de nouveau au rendez-vous dans « The riverbed » qui voit la section rythmique s’emballer à mesure que les violons déferlent comme un nuage d’orage. Un grand bazar électronique rythmé par les chœurs scandés de Brian Eno (« Infernal fantasy ») et une ballade tout en bips de Minimoog et cordes pincées sur laquelle l’emportent finalement la voix et l’alto (« Soldier’s rock ») permettent de refermer complètement le rideau sur ces inventions folles, proches des productions barrées d’un Sufjan Stevens. Owen Pallett, compositeur précieux et exigeant, a façonné pour « In Conflict » autant d’ouvrages de musique de chambre sous perfusion électronique que de philharmonies luxuriantes ouvrant sur les multiples tiroirs de l’âme. 

Sandrine Lesage

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