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Disques

Robert Wyatt – For the Ghosts Within

ROBERT WYATT – For The Ghosts Within
(Domino / PIAS) [site] – acheter ce disque

ROBERT WYATT - For The Ghosts WithinJe suis content. Non, vraiment. Il ne s’agit pas d’un vague coup de coeur que l’on peut avoir de temps à autre, et dont on essaye à tout prix de gommer les faiblesses pour l’enthousiasme qu’il suscite. Il y a, au contraire, quelque chose de beaucoup plus grand qui s’opère à l’écoute du dernier disque de Robert Wyatt. Non pas qu’il s’agisse d’un album de jazz, en collaboration avec plusieurs invités prestigieux (le jazzman Gilad Atzmon et la violoniste Ros Stephen), le sexagénaire s’y est déjà essayé avec brio encore très récemment (Around Robert Wyatt en 2009, avec Yael Naim, Arno ou encore Daniel Darc). Pour son nouvel album, tout est différent, au contraire. Le choix du trio, formation très réduite et traditionnelle pour ce genre musical trop souvent aseptisé, est ici plongé dans une atmosphère songeuse qui évoque le jazz des premières décennies. Celui qui, il y a trente ans, s’essayait aux joies des musiques du monde avec Brian Eno (« Ruth Is Stranger » en 1975) signe là un album à la candeur enfantine, nostalgique, mais pas encore totalement désabusé. Il faut assister à la rencontre entre la fragilité du violon de Itzhak Perlman et le saxophone bebop du New York de Taxi Driver ( »Lush Life »), bercé par la voix tendre de cet érudit qui continue à transmettre toute sa sagesse musicale.

Les deux premiers morceaux distillent un parfum rétro agréable, violons mélancoliques et saxophone en extase à l’appui. Mais dès  »The Ghosts Within », Wyatt renoue déjà avec ses amours pour la musique du monde, à l’équilibre incroyable et pourtant improbable, d’un Paris en plein désert du Sahara. L’amorce de l’album se fait véritablement au quatrième morceau ( »Where Are They Now ») à l’élan totalement inattendu, entre charleston et swing pour rapidement s’envoler vers… un hip hop aux traits orientaux des plus marqués. Wyatt passe alors au second plan, fait virevolter son thème de départ avec humour, comme pour compenser l’énergie avec laquelle se déchaîne sa chanteuse invitée (il s’agit de la rappeuse britannique Shadia Mansour, qui chante en arabe). L’album continue sa progression par un bref retour à l’atmosphère apaisante de départ, mais avec une aisance plus affirmée, spontanée pour le trio qui prend le temps d’éclore, à chaque fois. « For The Ghosts Whithin » est évidemment un album sur le passé, le temps qui est derrière soi mais avec cette volonté marquée de sans cesse repartir de zéro, non de recréer un souvenir embelli avec les années (Sa réinterprétation de  »Round Midnight » de Thelonious Monk, que le vieux bougre avait déjà repris en 1982, présente davantage de relief, portée par un sifflement de western et d’arrangements bien plus complexes). La réappropriation du jazz traditionnel, formé selon un assemblage de thèmes simples imbriqués entre eux et déroulés de manière intimiste, tient du miracle. La superposition de morceaux et de sons qui sonnent comme presque maladroitement collés entre eux à la première écoute, donnent à l’album une perspective unique, loin des constructions sur quelques accords habituellement pratiquées. Si la performance est exemplaire, le trio n’essaie à aucun moment de séduire. Le tout suit son cours, assume son parcours vertigineux, ne renie pas ce qui a été fait. La fin de l’album s’essaie encore à quelques expérimentations légères avant de conclure ( »In a Sentimental Mood » et son solo de clarinette, entre Abou Khalil et le « Inner Light » de Eric Dolphy ;  »At Last I’m Free » où la voix apeurée de Wyatt se répète, se superpose jusqu’à trouver le repos) : une reprise de  »What A Wonderful World », plus inquiétée qu’Armstrong, plus pragmatique aussi sans doute.  »You haven’t changed a bit, lovely as ever I must admit » chante Wyatt, avec la même sincérité que Sinatra en son temps ( »What’s New ? »). C’est peut-être ça le secret de la longévité…

Pierre Gourvès

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A lire également, sur Robert Wyatt :
la chronique de « Comicopera » (2007)
la chronique de « Theatre Royal Drury Lane » (2005)

Laura
Lullaby For Irena
The Ghosts Within
Where Are They Now ?
Maryan
Round Midnight
Lush Life
What’s New ?
In a Sentimental Mood
At Last I’m Free
What A Wonderful World

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