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Festivals

Rock en Seine – Domaine national de Saint-Cloud, du 25 au 27 août

D’accord, Rock en Seine est un mastodonte du divertissement aux allures de foire aux sponsors (fourme d’Ambert, anyone ?), dont le caractère commercial commence à faire débat. Mais si l’on se concentre sur la musique – soit l’essentiel –, il faut reconnaître que le rendez-vous clodoaldien parvient chaque année à aligner un casting alléchant, grâce à ses scènes de tailles diverses permettant de programmer aussi bien des stars que des nouveaux venus ou des talents locaux. Et malgré sa taille, le domaine national de Saint-Cloud reste un lieu agréable et accueillant.

L’édition 2017, sur terrain un peu boueux mais avec une météo optimale (il n’aura plu que le vendredi matin), aura une fois de plus offert un plateau relevé. En proposant trois têtes d’affiche qui furent lancées à trois époques différentes par des labels indépendants (Franz Ferdinand, PJ Harvey, The XX – et on pourrait ajouter The Kills), le festival entérinait aussi l’intégration du rock indépendant dans le mainstream. Retour sur trois jours de musique qui ont rassemblé quelque 110 000 spectateurs avec une pointe le samedi, complet.

public

Vendredi 25 août

Travail oblige, cette première journée ne commence pour nous qu’à 19h, avec At the Drive-In sur la grande scène. Visuellement, les cinq musiciens, vêtus de noir et de bleu pétrole, nous renvoient aux seventies, entre le MC5 et un jeune Carlos Santana. Musicalement, c’est plutôt l’an 2000, date de sortie de l’excellent “Relationship of Command” – les quelque nouveaux morceaux n’étant pas très différents. Entre le son franchement moyen, les guignolades d’un Cedric Bixler pas vraiment à fond et la brièveté frustrante du set (45 minutes alors qu’ils étaient censés jouer une heure), il y a de quoi regretter le concert bien meilleur du Trianon quelques mois plus tôt, malgré un “One-armed scissor” final toujours efficace.

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Pas de déception en revanche avec The Jesus and Mary Chain (qui avaient déjà joué à Rock en Seine en 2007), sur la scène de la Cascade. Si ce n’est peut-être l’absence de Bobby Gillespie qui s’était mis à la batterie (minimale) la veille au Portugal pour trois morceaux de “Psychocandy”. Set un peu plus court qu’à la Route du rock, avec quelques variations (on a droit cette fois-ci à “Taste of Cindy”, et “I Hate Rock’n’roll” en clôture), et un groupe toujours en forme. On a particulièrement apprécié les chœurs un peu stoniens du bassiste et du deuxième guitariste, donnant à l’ensemble un côté feelgood contrastant avec l’image ténébreuse que se traîne le groupe depuis près de 35 ans. Et si on nous avait dit il y a quelques années qu’on les verrait trois fois en 2017, on n’y aurait pas forcément cru…

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Sur la grande scène, c’est le retour d’autres Ecossais, Franz Ferdinand, avant un nouvel album dont on aura la primeur de quelques titres. Ce sont toutefois les deux premiers qui forment l’essentiel de la setlist, avec une fin en apothéose sur “Take Me Out” et “This Fire”. Un ultime morceau considérablement rallongé et à moitié chanté par les fans, auxquels Alex Kapranos s’adresse dans un français aussi charmant qu’approximatif. Autant que ses morceaux efficaces, c’est ce lien indéfectible avec le public, que le groupe a su conserver depuis ses tout premiers concerts dans des petites salles, qui fait la force de la bande des quatre.

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Après les derniers morceaux du concert des Allah-Las (bonnes vibes sans trop forcer, comme d’hab), notre soirée se termine avec The Shins… et une très bonne surprise. C’est la troisième venue du groupe, et curieusement la scène est à chaque fois plus petite – finiront-ils en showcase sur la scène Ile-de-France ? Ce n’est pas plus mal, au fond, car la formation de James Mercer n’est pas franchement taillée pour les stades. Et même si son leader surjoue un brin l’enthousiasme, lui et ses cinq musiciens semblent prendre pendant une heure autant de plaisir que les spectateurs. Intelligemment, la setlist ne pioche que modérément dans les deux derniers albums, faisant la part belle aux merveilles des trois premiers, dans des interprétations énergiques. Un véritable collier de perles pop rappelant que le peu productif Mercer fut sans doute l’une des plus fines plumes de la décennie 2000.

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Samedi 26 août

Particulièrement chargée, la journée commence pour nous avec Ulrika Spacek, Anglais réfugiés à Berlin qu’on avait découverts l’an dernier à la Route du rock. Depuis, le quintette a sorti un deuxième album, “Modern English Decoration”, sur lequel il parfait sa formule : guitares planantes (il y en a trois), structures souvent libres, batterie métronomique façon krautrock. On pense au trop méconnu Phantom Band, mais aussi par moments à Radiohead – chose peu étonnante dans la mesure où le chanteur Rhys Edwards ne cache pas sa passion pour “OK Computer”. Un concert très prenant, sans un gramme de frime, par un groupe qu’on verrait bien évoluer encore. A suivre, donc.

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On attrape ensuite des petits bouts des concerts de Band of Horses sur la grande scène et de Girls in Hawaii à la Cascade (les deux aussi bien que d’habitude), avant de se poser scène de l’Industrie pour Timber Timbre. On n’était pas certain qu’un concert en plein air et en pleine lumière soit l’idéal pour apprécier la musique d’inspiration nocturne des Canadiens, mais ils s’en sortent bien, en mettant à profit le relâchement typique des groupes qui écument les gros festivals d’été et y prennent goût peu à peu. D’autant qu’un saxophoniste vient ajouter une ambiance délicieusement moite sur plusieurs morceaux, dont bien sûr “Hot Dreams” et son génial finale à suspense.

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Suit sur la scène du Bosquet (anciennement Pression Live) ce qui restera sans doute comme l’un des moments les plus émouvants de Rock en Seine. Quelques jours après la mort de Simon Carpentier, l’un des deux membres du duo originel, le groupe français Her honore sa mémoire et ses engagements en jouant comme prévu à Rock en Seine. Victor Solf évoque son ami avec une grande dignité, on le sent souvent au bord des larmes. Mais même en faisant abstraction de ces circonstances tragiques, le concert est remarquable, la pop-soul sophistiquée de Her passant très bien l’épreuve de la scène. Victor se risque même à reprendre “A Change Is Gonna Come” de Sam Cooke, l’une des plus belles chansons du monde, et un morceau très important pour Simon et lui. Her jouera au Bataclan le 5 décembre.

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L’esprit de la soul souffle également sur la scène de la Cascade, dans un genre assez différent. Second couteau de la black music, quelque part entre Al Green et James Brown, qui connaît un retour en grâce aussi tardif que mérité, Lee Fields offre un grand show à l’ancienne avec ses Expressions (cinq jeunes blancs-becs au groove impeccable, guitare, basse, batterie, trompette et saxophone). Les costards sont aussi vintage (jaune à paillettes pour lui…) que la musique, sur laquelle le chanteur pose sa voix puissante. Le public exulte, et il a bien raison.

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PJ Harvey est de ces artistes que l’ont peut voir une deuxième fois quelques jours après la première sans risquer l’ennui. Une semaine après la Route du rock, la voici donc à Saint-Cloud, sur une scène un peu plus grande. Le concert est aussi beau, aussi fort, et un peu plus long : l’Anglaise, qui a un créneau de 90 minutes, ajoute un rappel composé d’une vigoureuse reprise du “Highway 61 Revisited” de Dylan (qui figurait sur son deuxième album “Rid of Me”) et de “The River”, extrait de “Is This Desire ?” Le lendemain, les avis sont unanimes quant aux hauteurs stratosphériques qu’a atteintes le concert, dont le point d’orgue fut sans conteste, vers la fin, l’enchaînement terrassant “Down by the Water”/“To Bring You My Love”.

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Musique totalement différente mais belle intensité là aussi avec le dernier concert de la journée, celui des Sleaford Mods sur la scène du Bosquet. Round midnight, une heure d’absolu minimalisme : Andrew Fearn lance les prods en appuyant sur une touche de son laptop (posé sur des caisses de Kro…) puis se contente d’agiter la tête et la bière qu’il tient à la main, tandis que Jason Williamson éructe avec l’accent des Midlands ses harangues bilieuses et en grande partie incompréhensibles, en se foutant gentiment de la gueule du public. Et le miracle, c’est que c’est totalement captivant.

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Dimanche 27 août

Comme PJ Harvey et quelques autres, Mac DeMarco s’offre un doublé RdR/ReS. Autant dire qu’on connaît déjà les conneries qu’il va faire et dire, bien qu’il offre un peu d’inédit : un baiser avec la langue au clavier de son groupe dont c’est l’anniversaire (« Il a 14 ans aujourd’hui ! »), une discussion sur l’avant-scène avec un fan aux cheveux mauves, qu’il finit par prendre sur ses épaules, et pour finir un strip-tease qui se limitera heureusement à sa chemise. Pour ce qui est de la musique, on navigue comme toujours entre traits de génie et facilités, ses musiciens assurant quand même un certain niveau de jeu. On t’aime bien, Mac, mais va falloir faire un peu de ménage (et de lessive).

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Si l’album des Lemon Twigs ne nous a pas totalement convaincu malgré ses évidentes qualités d’écriture, on était curieux de découvrir enfin les frangins D’Addario en live. Et on n’a pas été déçu : ce que leur musique perd parfois en justesse sur scène, elle le gagne assurément en énergie débridée. Un clavier et une bassiste accompagnent Brian (l’aîné) et Michael, mais ces virtuoses pourraient sans doute tout jouer eux-mêmes s’ils avaient un ou deux bras de plus. Il suffit de voir comment chacun passe avec aisance de la batterie à la guitare et aux claviers, assure les chœurs, court dans tous les sens… Fougue adolescente et maturité artistique ont rarement aussi bien cohabité. Et quand les Lemon Twigs jouent des reprises, on sent que ce n’est pas juste pour rallonger la sauce de la setlist. Le choix peut d’ailleurs surprendre : alors qu’on se serait attendu à du Todd Rundgren ou à la B.O. de “Phantom of the Paradise”, les voici qui s’attaquent à “You Can’t Talk to the Dude” de Jonathan Richman, “Fish and Whistle” de John Prine et “I Walked with a Zombie” de Roky Erickson. On peut prédire sans trop risquer de se tromper un bel avenir à ces deux surdoués (également acteurs, d’ailleurs).

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En comparaison, le concert de Slowdive offre peu de surprises et est nettement plus statique, mais leur dreampop-shoegaze s’avère parfaitement délectable une fois passés les premiers morceaux, aux voix pas assez audibles. En dix titres, les Anglais ne peuvent que survoler leur discographie, faisant la part belle comme on pouvait s’y attendre au magnifique “Souvlaki” et au dernier album. Alors que le set se termine comme d’habitude par une longue reprise du “Golden Hair” de Syd Barrett (sur un poème de James Joyce), on regarde le public et on a le plaisir de voir des jeunes gens peut-être même pas nés quand Slowdive enregistrait ses premières chansons brumeuses. Injustement méprisé ou incompris dans les années 90, ce groupe attachant tiendrait-il enfin sa revanche ?

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La grande scène paraît un peu trop vaste pour leurs trois compatriotes de The XX, qui clôturent cette édition 2017. Mais on apprécie la fidélité à leur style, entre pop dépouillée et electro élégamment dansante (où le cerveau Jamie XX fait des merveilles), quand d’autres se contenteraient d’envoyer du gros son. Dans une jolie adresse au public, le discret Oliver Sim fait part de l’importance qu’ont pour lui les festivals de musique, et de l’évasion qu’ils procurent dans un quotidien pas toujours rose. Des mots qui auraient pu être les nôtres, parfaite conclusion à ces trois belles et riches journées.

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