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Disques

Sarah Amsellem – Miracles

Sarah Amsellem - Miracles

Sarah Amsellem est-elle cette « fille au regard perdu » qui nous parle de ses failles, de ses doutes et de ses errances dès l’incipit de son premier album ? « Les mots sont doux en bouche, comme un fruit mûr d’été », dit-elle dans ce morceau introductif. Les siens sont moelleux à l’oreille, mais comme ces fruits à la maturité avancée, ils contiennent en eux leur propre déchéance, leur pourriture annoncée… « Vue de l’intérieur », chanson-charnière de l’album, orchestre ainsi un va-et-vient entre ces choses de la vie vues de l’extérieur, où « tout est parfait, ordonné, maîtrisé », puis de l’intérieur où « tout est laid, chaud, du lait chaud, du sang chaud ». Le regard de Sarah Amsellem embrasse de fait la complexité, la beauté et la noirceur du monde tout à la fois, avec acuité et subtilité.

Porté par un mélange d’instrumentations classiques et de touches electro, de chœurs au souffle oriental et de voix délicatement croisées évoquant une tapisserie du XVIe siècle aux fils d’or et d’argent entremêlés, Miracles se déploie dans une atmosphère cotonneuse, spatiale, mais toujours formidablement chaude et réconfortante, sur un tapis de paroles précises, lettrées, souvent mélancoliques (« Je perds les eaux, je rends ma veste, le vent de l’ouest balaie le reste/Fragile ma corde casse et plie, fais-moi marcher sous la pluie » in “Le Silence”), parfois lumineuses et optimistes (« J’entraînerai ton bonheur dans ma joie » in “La Couleur de ma foi” : plus qu’une prière, une ode volontariste à la vie).

Dans cette modernité d’écriture contenant en son sein quelque chose de fondamentalement suranné, Sarah Amsellem fait parfois penser à la Keren Ann première période. Comme elle, elle passe facilement du français à l’anglais, ou à l’hébreu, souvent au sein d’une même chanson (“Longer Time”).

“Miracles” est un album tout en contradictions, en paradoxes, à la fois cérébral et organique, empreint de spiritualité et ultra-lucide, d’une douceur exquise et d’un tempérament offensif (“Console-moi”, déchirante supplique appelant à renaître au monde par l’amour, contient tout cela), un disque profondément naturaliste, voire panthéiste (la nature est très présente, minérale ou charnelle), qui sait aussi descendre en rappel dans les noirceurs de l’âme humaine.

Durant neuf morceaux aux couleurs changeantes et aux inspirations omniprésentes, on partage avec Sarah Amsellem cette mélancolie prégnante (“L’Âme innocente”, celle de l’enfance, à retrouver), cette nostalgie d’un monde perdu miltonien, sauvé par l’innocence, qui pourrait être le nôtre, demain (elle arrive à nous le faire croire), un monde babélien que l’on voudrait construire avec elle dans l’intelligence, l’élégance, l’empathie et l’espérance. Sarah Amsellem n’est sûrement pas une « fille au regard perdu ». Mais elle est possiblement un ange déchu, que ne renierait pas Peter Handke, venu (r)apporter la beauté sur la Terre. Un vrai « miracle ».

David Guérin

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