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Thomas Cohen – Interview

Thomas Cohen à beau être une célébrité en Angleterre pour bien autre chose que sa musique, nous avons la chance de l’autre côté de la Manche de pouvoir découvrir son premier album solo sans aucun à priori. “Bloom Forever” résume en neuf titres teintés de folk et de country deux années difficiles de sa vie. De très bonne facture, le disque s’apparente à un ovni aux influences bien digérées, avec un style et une vision très personnels. Thomas Cohen revient pour nous avec humour et sincérité sur l’élaboration de cet album et sa passion sans limite pour la country.

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Pourquoi avoir quitté S.C.U.M. ton précédent groupe après le premier album, avais-tu déjà des aspirations pour jouer en solo ?

J’avais déjà deux titres de composés, “Honeymoon” et “Bloom Forever”. Nous avons essayé de travailler la première avec le groupe, mais sans résultat. Nous en étions au point où il était difficile de nous supporter les uns les autres. Nous avions débuté six ans auparavant et nous n’avons réussi qu’à sortir un seul album. Les tensions nous empêchaient de progresser. C’est marrant car depuis que le groupe a splitté, nous sommes à nouveau devenus proches. Nous sortons ensemble très souvent. Je m’éloignais de toute façon d’eux musicalement, il était temps que je tente quelque chose en solo.

Avais-tu une idée de la direction musicale et d’où venait-elle ?

Oui, nous étions à Zurich, en tournée avec The Kills lorsque l’on nous a annoncé que la date suivante était annulée. Pour passer le temps, un des membres du groupe a sorti une compilation de ce que l’on appelle la “Cosmic Country” avec des titres de Gene Clark, The Flying Burrito Bros, Townes Van Zandt etc. J’étais déjà familier avec ce genre de musique, mais j’ai eu une révélation. Je voulais emprunter cette direction, en y ajoutant des influences de bandes originales de films.

A la maison tes parents écoutaient-ils de la country ?

Très peu. Surtout du Patti Smith et du Velvet Underground. Mes premiers contacts avec des disques de songwriters ont été des albums de Scott Walker (le quatrième) et de Lee Hazlewood. Avec du recul mes parents n’avaient pas mauvais goût ! (rire). Ils ont posé les graines de ma carrière solo.

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“Honeymoon”, qui ouvre l’album est la première que tu ais jamais composée. Quel sentiment as tu éprouvé lorsque son écriture était enfin terminée ?

J’étais vraiment fier. Il m’a fallu cinq mois pour qu’elle soit parfaite. “Honeymoon” ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu enregistrer avant. J’étais soulagé lorsque j’ai entendu le mix final car le son était fidèle à ce que j’avais en tête.

Ce titre a un côté un peu rêveur au niveau du son, sa structure n’est pas celle d’un titre classique, le solo de saxo est très étrange, un peu distordu. Cherchais-tu à te démarquer des standards d’une façon ou d’une autre ?

J’ai beaucoup réfléchi à la structure d’”Honeymoon”. J’ai composé cette chanson dans un studio qui est plutôt destiné aux musiciens de la scène électro, des gens assis devant leur ordinateur à longueur de journée avec un casque sur les oreilles. Rien à voir avec un studio dans lequel tu enregistres en live. Les lignes de guitares et de basse étaient prêtes, toutes avec un son très clair. Ne manquait plus que la batterie que je voulais d’inspiration très jazz, mais il n’y en avait pas dans le studio, juste quelques cymbales et une caisse claire. Nous étions vraiment limités en termes d’instruments, il fallait se débrouiller avec ce qu’il y avait sur place pour donner une structure au morceau. Nous avons par la suite été obligés de continuer l’enregistrement dans un studio plus grand, pour enregistrer avec une vraie batterie (rire). J’en ai profité pour ajouter un solo de saxo. Le résultat m’a tellement plu que nous avons rajouté un solo de guitare, des breaks etc. Je suis conscient que le résultat final sonne comme le titre de quelqu’un qui aurait dû enregistrer plusieurs chansons avant de publier sa première. Il y a beaucoup d’idées et d’instruments. J’étais un peu comme dans un magasin de jouets. Mais j’aime beaucoup le résultat final, et mon style évolue tout au long des neufs titres de l’album. Les chansons sont présentées dans l’ordre chronologique de composition car “Bloom Forever” parle de périodes de ma vie.

Le second titre de l’album, “Bloom Forever”, a été composé le jour de la naissance de ton fils. Du temps s’était-il écoulé entre l’écriture du premier morceau et celui-ci ?

Oui, mais je n’avais que 22 ans, et j’ai mis un peu de temps à réaliser que je ne pouvais écrire que sur des sujets personnels, des choses qui m’affectent réellement. Je ne sortais pas beaucoup à cette époque. Plus de soirées, plus de concerts, j’étais dans une relation amoureuse stable mais tourmentée. J’ai compris que mes textes devaient être les plus honnêtes possible. Ils m’ont aidé à mieux comprendre ce qui se passait dans ma vie. Ce titre en particulier a été motivé par cette joie immense procurée par la naissance de mon fils.

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Ta façon de chanter est vraiment personnelle, as-tu mis du temps à trouver la bonne formule ?

Dans S.CU.M je ne chantais pas, j’émettais des bruits sans penser à la mélodie. Pourtant lors de l’enregistrement de l’unique album du groupe, le producteur m’a dit que j’avais vraiment une belle voix et que je devrais tenter d’en tirer quelque chose. C’était la première fois qu’on me le disait. Jusque là, tous mes efforts se portaient sur la musique. Dans une moindre mesure, c’est encore le cas aujourd’hui car je passe des heures entières sur les arrangements. Je laisse par contre une grande place à l’instinct pour le placement de ma voix. Je ne veux pas trop y penser sinon je ne prendrais pas autant de plaisir à chanter.

Plus on avance dans l’album, plus les influences country se ressentent. Cela correspond-il à ce que tu écoutais à l’époque ?

Tu es le premier à le remarquer, personne ne m’en avais parlé avant. C’était une volonté de ma part. Je me suis encore plus immergé dans la country à la suite de mon mariage et de la naissance de mes enfants. J’ai ensuite commencé à prendre le songwriting très au sérieux à une étape douloureuse de ma vie (suite au décès de sa femme ndlr). J’apprécie particulièrement l’émotion et la tragédie qui se dégage de ce style. Intégrer toutes ces influences (George Jones, Townes Van Zandt, presque uniquement des disques de la fin des années 60 ou du début des années 70), était le meilleur moyen d’accompagner mes textes pour leur donner du sens. J’aime aussi le côté décalé de la chose. Le fait que je sois un gars issu de la banlieue de Londres qui essaie de faire de la country. Il y a un aspect un peu pitoyable (rire). J’adore les groupes et les artistes un peu dupes dans leur grandeur. Un peu comme Suicide qui se prend pour Elvis (rire). J’ai joué là-dessus à fond dans la vidéo d’ »Hazy Shades”.

Tu as enregistré une partie du disque en Islande. Quel impact ton séjour là-bas a=t-il eu sur l’album ?

J’ai réalisé l’album sur une période de deux ans. Les six premières chansons ont été enregistrées à Reykjavik, les trois autres à Londres. Les musiciens n’étaient donc pas les mêmes vers la fin de l’album, et ça se ressent un peu au niveau du style. Enregistrer là-bas m’a surtout permis de prendre du recul par rapport à mes problèmes personnels en me permettant de ne plus être qu’un musicien. Enfin, à part le batteur qui est Anglais et deux invités australiens, tous les musiciens ayant joué sur le disque sont Islandais. Nous n’avions jamais eu l’occasion de répéter ensemble. Ce n’était pas bien grave car je savais précisément quel son je voulais obtenir pour chaque instrument, et surtout le style dans lequel il devait être joué. Je donnais les directions et je les laissais improviser sur mes paroles et ma partie de guitare. Il y avait une relation de confiance. A aucun moment je n’ai eu à leur expliquer trop longtemps où je voulais en venir car ils étaient tous d’excellents musiciens. J’ai appris quelques temps après la fin de l’enregistrement de l’album que c’était également le mode de fonctionnement de Van Morrison. J’ai réécouté « Astral Weeks » après l’avoir appris, ça m’a paru tellement évident. Je suis un grand fan de son travail, même de ses albums plus récents.

L’album ne comporte que neuf titres. Quand as-tu su que le disque était terminé ?

Quand j’ai terminé la longue partie instrumentale à la fin de “Mother Mary”, j’ai su que c’était terminé. Ça sonnait vraiment comme un dernier morceau d’album. J’avais le sentiment d’avoir donné tout ce que pouvais pour ce disque. C’est marrant car le soir de la fin de l’enregistrement j’ai trouvé un super riff de guitare et j’ai regretté de ne pas pouvoir en tirer un morceau dans la foulée (rire). Mais je n’ai que 25 ans, j’ai du temps devant moi. Je suis hyper productif en ce moment, j’ai hâte de donner une suite à “Bloom Forever”.

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Le dernier titre met les synthés en avant par rapport au reste de l’album, pourquoi cette décision ?

J’avais cette mélodie qui ne fonctionnait pas trop à la guitare. J’ai donc tenté un bidouillage avec un synthé analogique pour trouver un son qui pourrait faire penser à une section de cordes qui sonne légèrement désaccordée pour apporter un côté vivant. J’écoutais pas mal Portishead à cette période, c’est ce qui m’a donné envie de tenter une piste différente.

Aucune chanson n’est vraiment “radio friendly”, même dans un sens “indie”. On sent une réelle honnêteté qui se dégage des titres, sans aucun compromis.

J’écrivais des chansons sur un sujet tellement extrême qu’à aucun moment je n’avais les auditeurs en tête. Je n’avais de toute façon, ni fans, ni maison de disque, juste un manager qui a joué un rôle de soutien très important. S.C.U.M. était encore plus radical, pourtant nous réalisions des édits pour que nos singles passent en radio. Ça me brisait le cœur. De nos jours, même si tu as une chanson avec un potentiel, tu n’as aucune garantie qu’elle passera à la radio, alors pourquoi s’embêter ? Je n’en ferais pas une maladie si mon titre n’est joué sur aucune station. Je n’ai absolument rien contre la pop music, j’en écoute beaucoup. Elle a juste évolué car les moyens de diffusion sont différents de nos jours. Quand j’étais gamin, tu entendais des groupes comme Black Rebel Motorcycle Club ou les Yeah Yeah Yeahs sur les grandes radios. C’était absolument génial. Aujourd’hui, personne n’aurait diffusé leurs singles.

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La pochette ne fait pas vraiment moderne. Ta pose y est vraiment particulière avec un côté un peu tête à claque. Pourrais-tu nous parler du choix de cette photo ?

C’est Victor Gutierrez qui réalise également mes vidéos qui s’est occupé de la pochette. C’est un ami très proche. Je voulais que la pochette soit bleue car c’est une couleur que l’on retrouve dans beaucoup de mes albums favoris. L’inspiration vient de la pochette d’un disque d’Emmylou Harris qui s’appelle “Evangeline”. Nous avons peint un mur en bleu dans une maison de bord de mer, mis un album sur la platine et il a commencé à me photographier. Au moment où la photo de la pochette a été prise, il me disait qu’il ne m’avait jamais vu en concert. La seule fois où il m’a entendu chanter devant du monde était à un enterrement. Et là, nous nous retrouvions à travailler sur la pochette d’un album et j’étais figé devant lui, pas très à l’aise devant l’objectif. Il me demandait sans cesse de paraître plus naturel. Pourtant c’est cette photo qui m’a séduite, même si j’y apparais un peu gauche. 

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