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Wild Beasts – Interview

A l’heure du cinquième album, Wild Beasts a souhaité opérer un virage au niveau du son du groupe. Après une année entière passée à composer de nouveaux titres, c’est au Texas qu’ils ont enregistré “Boy King”. Les synthés se font plus discrets, les guitares sont mises en avant et les textes sont plus personnels que jamais. Nous avons rencontré Hayden Thorpe et Tom Fleming dans les locaux de leur maison de disques, Domino Records. Les deux leaders du groupe nous parlent de leur nouveau son, de leur rapport à la masculinité, mais aussi des heures de bureaux.

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A l’écoute de “Boy King” ce qui frappe d’entrée de jeux, c’est que si l’on isole vos voix, il n’est pas si évident que ça de reconnaître que l’on est en train d’écouter un album de Wild Beasts. Etait-ce la condition que vous aviez tous en tête avant de commencer à composer ?

Hayden Thorpe : Oui, la route a été longue jusqu’à ce cinquième album. Nous avons composé beaucoup de chansons depuis le début de notre carrière. Il faut savoir se mettre en danger pour en ressortir grandi. En fait nous avons tenté toutes les pistes que nous nous refusions d’emprunter jusqu’à présent. Le disque est plus agressif, il y a des tics de musique américaine. Bref tout ce que nos natures délicates nous dictaient de ne pas faire. Réaliser un disque est un tour de force car tu commences de zéro et tu finis par créer quelque chose d’extravagant. Souvent, plus tu t’approches de la catastrophe et plus ce tour de force est spectaculaire.

Trouver une direction musicale qui vous convenait vous a t-il pris du temps ?

Tom Fleming : Il a surtout fallu du temps pour donner une cohérence à nos idées. Nous avons joué ensemble pendant un an avant de parvenir à ce que musicalement le tout ait un sens.

H.T. : Il y a eu pas mal de négociations. Ce qui est un avantage car pendant ce temps tu fais le tri entre ce qui te paraît important et ce qui ne l’est pas. Il y a eu pas mal d’expérimentations écartées car nous avons réalisé que nous tournions en rond.

Hayden, tu voulais un album teinté de soul music, on est loin de tes attentes !

H.T. : Oui, je trouvais que c’était la piste naturelle à emprunter après le dernier album. Je voulais une musique chargée en émotions sur laquelle tu peux danser. Par contre, contrairement à ce que tu penses, je trouve que nous y sommes parvenus d’une certaine façon.

T.F. : Oui mais ce n’est pas ce qui ressort le plus directement car tu as aussi beaucoup de passages un peu sales et bruyants.

H.T. : “Boy King” sonne comme un disque de soul créé par quatre blancs becs du nord de l’Angleterre. C’est une vision et une approche différente de ce type de musique (rire).

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De “Limbo, Panto” à “Boy King”, en l’espace de huit ans, vous n’avez jamais choisi de jouer la facilité, de répéter une formule qui marche. Est-ce pour vous la condition de survie du groupe ?

T.F. : Plus tu travailles dur et plus tu as de possibilités qui s’ouvrent à toi. Nous sommes très exigeants. Avec “Boy King”, nous avons accompli bien plus que ce que nous pensions être capables de créer. Nous avons pris beaucoup de plaisir à explorer toutes ces pistes. Pour moi le fun reste la base de tout. C’est ce qui nous motive pour nous retrouver et nous mettre au travail. Le jour où nous n’aurons plus cette envie de jouer et d’explorer ensemble, à quoi bon  vouloir continuer avec le groupe ?

Après “Present Tense”, vous continuez dans une veine électronique, même si elle est moins mise en avant. Votre approche est plus sombre, plus agressive. Pourquoi avoir mis les guitares plus en avant et pas d’autres instruments pour arriver à vos fins ?

H.T. : Je pense que nous sommes à nouveau séduits par cet instrument lié à notre jeunesse. Nous avons mis les guitares plus en avant tout en conservant un côté électronique. Par exemple, nous utilisons à nouveau les guitares comme des armes. Quand tu es ado, c’est un moyen de te battre contre les adultes, contre l’école, bref tout ce qui t’énerve. Nous avons redécouvert le pouvoir émotionnel de cet instrument.

T.F. : Jusqu’à présent les seuls sons de guitare qui nous intéressaient étaient plutôt ceux des groupes folks anglais ou des grands classiques de la soul. Des gens comme John Martyn ou Curtis Mayfield. Mais sur “Boy King” nous sommes plus proches de Van Halen avec des distorsions bien crades. C’est arrivé à tous les musiciens de se frotter à des sonorités un peu limites au cours de leur carrière. A tel point que tu te demandes ce que tu es en train de faire. Chacun d’entre nous a pu exprimer ses envies et je trouve que ça s’entend sur le disque.

H.T. : Concernant la partie électronique, je trouve que chaque instrument qui te permet d’aller au plus vite entre le moment où tu as une idée et celui où tu la concrétises est un atout pour toi. C’est pourquoi je compose beaucoup sur mon Ipad. C’est ce qu’il y a de plus pratique pour accoucher des idées qui te passent par la tête. C’est la raison pour laquelle tu trouves encore des sonorités électroniques sur l’album. Parce que c’est pratique et que je suis un gros fainéant. (rire).

Les guitares sont utilisées différemment, je pense notamment à “Tough Guy”, deuxième titre de l’album, qui a une ligne très rock.

T.F. : C’est marrant de voir à quel point ce titre surprend les gens. Ce n’est pourtant pas la première fois que l’on tente des trucs un peu fous. Mais oui, tu as raison, on peut considérer ce titre comme du rock. La ligne de guitare est un peu rentre dedans et assez souple à la fois. Je ne pense pas que ça soit insupportable à écouter même s’il y a un côté légèrement crispant.

H.T. : On l’a joué comme nous le sentions à l’époque pour bien marquer le personnage du gros dur (“Tough Guy” ndlr) de la chanson. Il fallait quelque chose de tranchant.

Ce titre surprend d’ailleurs, il arrive en deuxième sur “Boy King”, juste après “Big Cat” qui n’a rien à voir. Avez-vous cherché à déstabiliser les auditeurs ?

H.T. : Nous avons longtemps hésité entre ces deux titres pour la première chanson. Mais nous trouvions la première phrase de “Tough Guy” un peu trop rentre dedans pour ouvrir l’album : “No more fucked up”. “Big Cat” est le premier titre qui a réellement émergé des sessions pour poser l’esthétique de l’album à venir. C’est pourquoi nous voulions débuter le disque avec ce morceau.

Les sessions d’écriture se déroulaient aux horaires de bureau, de 9h à 17h. Aviez-vous besoin d’un cadre et de contraintes pour atteindre vos objectifs ?

T.F. : Aux périodes où nous le pouvons, nous essayons de consacrer un maximum temps à notre vie privée. Car dès que la promo de l’album est lancée, nous nous consacrons au groupe à 100%. Mais au delà de ça je pense qu’une certaine discipline ne peut pas faire de mal quand tu composes de la musique. Ça apporte une concentration supplémentaire. Tu peux glander jour et nuit à trouver des idées, mais quand tu es enfermé dans une pièce pour une durée déterminée, tu te mets réellement au boulot. Si une idée ne marche pas, tu passes à la suivante le jour d’après. La musique est une vocation, il faut être productif et travailler dur pour pouvoir te considérer comme un musicien. Ça ne vient pas naturellement.

H.T. : Cela fait maintenant un moment que le groupe existe, et l’on a vu des artistes bien plus talentueux et audacieux musicalement que nous tomber dans une impasse par manque de rigueur. Nous sommes toujours présents aux répétitions. Quand les idées coulent à flot, tant mieux, mais quand nous rencontrons des périodes où rien ne vient et que nous sommes submergés par le doute et la frustration, nous venons quand même au studio et nous persévérons. Quand nous avions 18-19 ans et que tous nos amis de Leeds s’éclataient dans des soirées et profitaient de ce qui restera sans doute comme la meilleure période de leur vie, nous étions déjà enfermés dans une pièce glaciale et minuscule à répéter. Les gens nous prenaient pour des fous et nous disaient que ça ne nous mènerait nulle part. C’est marrant car au fond de moi j’ai toujours l’impression d’être cet ado, avec la même passion sauf que la vie est moins difficile pour nous aujourd’hui. Je profite de tous les plaisirs que nous avons sacrifiés à l’époque, mais en différé.

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Au delà de son CV impressionnant, pourquoi vous être arrêtés sur John Congleton pour produire l’album ?

T.F. : C’est lui qui est venu vers nous en nous disant qu’il avait une idée de comment il voulait faire sonner Wild Beasts. C’était très courageux de sa part. Mais nous avons tout de même contacté d’autres producteurs car l’étape du cinquième album étant importante pour nous, nous ne pouvions pas nous planter. Mais surtout nous voulions un album en rupture avec nos disques précédents. Au final c’est John qui nous a paru le plus apte pour différentes raisons. Son ouverture d’esprit, mais également parce qu’il a su nous convaincre de sa vision. Nous avons enregistré le disque dans son studio à Dallas. Un studio super bien équipé mais pas glamour du tout.

H.T. : John est un maître dans l’art de la négociation. Je le comparerais à un avocat spécialisé dans les divorces lorsqu’il négocie les termes de séparation. Il doit ne pas se laisser influencer par les notions d’affect pour obtenir ce qu’il y a de mieux pour son client. Il nous fallait quelqu’un qui nous bouscule et nous sorte de l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvions après un an de travail ayant abouti sur des idées très détaillées. Il nous a fait prendre du recul et nous a donné le déclic pour nous libérer de cette période intense de travail et en tirer le meilleur.

Pourriez-vous nous donner un exemple ?

H.T. : Son approche était du style : “allez, tout le monde va dans cette pièce et vous jouez ce titre immédiatement. Si vous n’y arrivez pas ou si vous avez des doutes, dites-moi pourquoi, mais on en parle tout de suite. Ne laissez pas traîner les choses”. Il nous forçait de cette manière à aller au plus profond de nous même.

T.F. : Il ne te lâche pas. Il est impossible de le baratiner. Le mot sortant de sa bouche que j’ai entendu le plus pendant les session était “pourquoi”. Il nous provoquait gentiment en nous donnant des ordres du style “faites-le”. Mais toujours en sachant ce qu’il faisait.

Et pourquoi être partis enregistrer à Dallas ?

T.F. : Pour le changement de cadre, et parce que le point de vue d’un producteur américain pouvait apporter un angle différent à notre musique. Notre son est froid et typiquement anglais. C’est sans doute pour ça que le groupe marche bien chez nous et pas du tout aux États-Unis. John Congleton avait ce regard complètement nouveau sur notre musique. Avec son expérience passée, tu ne peux que l’écouter et lui faire confiance car ce type sait vraiment de quoi il parle.

H.T. : J’arrive à déterminer une frontière musicale liée cette aventure. Jusqu’à un certain stade l’énergie liée au lieu où nous nous trouvions se ressent sur l’album.

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Pensez-vous que “Boy King” aura plus de chance de percer que vos autres disques de l’autre côté de l’Atlantique.

T.F. : On l’a espéré avec chaque disque, mais pas en termes de succès commercial. Notre plus grande récompense serait qu’un maximum de gens puissent avoir accès à notre musique là bas, mais surtout qu’ils accrochent à ce que nous faisons. Nous avons peut être nos chances car je considère ce disque comme du “Wild Beasts aux Etats-Unis”. “Boy King” est plus casse-cou, on se lâche plus qu’à l’habitude. On y donne plus notre opinion, il y a de la distorsion. On y sent vraiment l’influence de notre séjour au Texas. Mais c’est un pays énorme, avec ses propres règles. Beaucoup de groupes anglais pensent que ça va être facile pour eux de percer là bas car il n’y a pas de barrage de langage. Ils ne réalisent pas à quels point ces deux pays sont différents car ils n’y ont jamais mis les pieds.

Hayden, la fin de l’enregistrement tu as eu un mini breakdown en pensant aux paroles. Est-ce la première fois que tu te révélais autant ?

H.T. : Quand j’ai écouté le résultat final, j’ai réalisé à quel point les paroles étaient sombres et parfois dégoûtantes. Mais je pense que ça vient du fait que le seul moyen de garder foi et satisfaction dans mon travail est de livrer toujours plus de moi même. En studio tu es dans ta bulle, c’est quand tu reprends contact avec le monde extérieur que tu commences à vraiment avoir du recul. Je n’avais pas pris réellement conscience du poids de mes textes pendant l’enregistrement.

Pourriez-vous nous expliquer le titre de l’album, “Boy King” ?

H.T. : Il contient une notion de pouvoir et de dualité. Tu as d’un côté le pouvoir, et de l’autre un garçon qui n’arrive pas à savoir comment le gérer. C’est un peu un résumé de la situation du groupe en tant qu’adultes. Nous sommes un peu des rois sur scène, les gens viennent nous voir, mais ce n’est pas pour autant que nous avons une force émotionnelle suffisante pour gérer cette situation.

T.F. : Beaucoup de notre travail parle de nos échecs et de notre fragilité en tant qu’hommes. Nous sommes loin des clichés de ce que doivent être des musiciens. C’est à dire des adultes et des vrais durs alors qu’en fait nous ne sommes que des gamins qui prolongeons notre adolescence. Je pense qu’on fond de chaque adulte se cache un gamin effrayé, c’est un peu ce dont parle l’album d’ailleurs.

H.T. : Quand tu es gamin tu te dis qu’une fois adulte, tu vas te battre pour trouver ta place dans la société et être quelqu’un de brave. Le problème, c’est que même à 30 ans passés, tu te demandes toujours comment faire pour y arriver.

Je trouve que le nom du groupe se marie parfaitement avec le titre de l’album, comme une sorte de slogan : Wild Beasts – “Boy King”.

T.F. : Tu as tout à fait raison, c’est également une des raisons du choix de ce titre. C’est une sorte de façon d’afficher un tout cohérent pour présenter l’album.

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La pochette du disque, le nouveau logo du groupe nous projettent presque dans un monde de super héros. Nous sommes à l’opposé de la sobriété qui caractérise souvent votre artwork. Pourriez-vous nous en dire plus sur celui-ci ?

T.F. : La pochette de l’album ressemble au contenu du disque. On y retrouve un élément de menace. Je l’aime beaucoup car je la trouve fidèle au son du disque.

H.T. : Elle est inspirée du film Metropolis. Nous avons voulu en donner une version plus moderne, adaptée aux crises existentielles et à la technologie.

Elle me rappelle également la pochette d’un single de Queen, “We Are The Champions”.

T.F. : Oui exactement ! On s’en est aperçu aussi. Mais ça ne nous dérange pas car elle est aussi un hommage aux pochettes du rock progressif de cette époque qui étaient souvent des illustrations.  

 

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