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Disques

Yann Tiersen – Eusa

Yann Tiersen - Eusa

Comme disait en son temps Ryuichi Sakamoto, “back to basics” pour Yann Tiersen avec un hommage à son île entre field recordings, errances et dérives pianistiques.

De toutes les îles bretonnes, Belle-Île en Mer est la plus charmante, la plus pernicieuse aussi. La plus sauvage, c’est sans aucun doute Ouessant. Il suffit d’avoir pris une fois ces bateaux qui partent du Conquet avec une mer d’huile à l’embarcadère puis avoir traversé ce sale courant, le Fromveur, pour comprendre combien Eusa se mérite.

N’avez-vous jamais remarqué que de partir pour une île, ce n’est pas tout à fait un voyage comme les autres ? On reste silencieux pendant tout le parcours, bercé par les vagues et la houle. Un peu comme si l’on se préparait à entrer dans un nouvel état, une nouvelle manière d’être en vie.

Ces moments-là auront désormais une musique, celle de Yann Tiersen. On connaît depuis longtemps à travers ses disques son attirance pour le monde marin, ses îles. Que ce soit disséminé tout au long de sa discographie, des « Bras de mer » ou encore « L’Arrivée sur l’île » à la B.O. de « Tabarly », on est bien loin des imageries couleur locale, des cartes postales. Il n’est pas question d’identité ou de celtitude, de régionalisme ou de repli sur soi. 

Non, tout au long d' »Eusa », ce qui semble intéresser le Brestois, c’est de recréer des paysages, de les laisser vivre dans les silences, de laisser le granit transpirer des perles de sel, le chant de la mouette au ras de la vague. Il y a bien çà et là ces quelques ponctuations d’humanité chuchotées dans ce breton guttural, comme un guide timide, un peu sauvage qui d’une voix fuyante vous dessine les traits d’une carte musicale.

Toujours sur le fil de l’improvisation et du lâcher-prise, Yann Tiersen maîtrise de bout en bout un jeu minimal mais tout en subtiles brisures mélancoliques. Il faudra être bien de bois ou pas encore assez tendre pour résister à la beauté de « Porz Goret ». 

Sa musique a les mêmes coordonnées géographiques que celle de Dustin O’Halloran. On se plait à retrouver les mêmes failles dans la terre battue par le vent, de celles que l’on trouve chez les voisins Sigur Rós. Caché dans la brume, il y a l’ami Michael Nyman qui préfère rester dans l’ombre.

On y croise un animisme sans dieu, on y trouve une redécouverte de la puissance d’un lieu, les détails qui façonnent un être dans un instant, les minuscules impressions que laissent un paysage en nous.

Ouessant, de toutes les îles bretonnes, est la plus lointaine. Après elle, il n’y a plus rien. Elle est le bout du monde et de la terre. Elle a désormais une suite de notes, une symphonie modeste, une musique de peu. Il suffit de se laisser capter par « Penn Ar Roc’h » pour sentir le vent sur sa joue, l’odeur de la laine des moutons noirs d’Ouessant, les longues montées d’iode à fleur d’eau.

De tous les éléments, le plus impalpable, le plus intraduisible reste l’océan, la pleine mer. Il n’y a peut-être que Debussy à avoir su retranscrire la force douce d’un ressac. Tiersen, lui, parvient à restituer ce moment précis où quand vous vous trouvez sur la ligne d’horizon au centre d’une île, vous êtes à la fois entouré de toutes parts  par la mer mais aussi par une forme d’angoisse tranquille, un sentiment de solitude  preque complet. 

Mais finalement, vous n’êtes pas vraiment seul, le vent secoue vos cheveux et claque contre votre visage. Vous vous ressaisissez. Il va être bientôt temps de rejoindre les quais… « Roc’h Ar vugale » et son piano cristallin quelque part dans le creux de vos oreilles. La mélancolie sourde, le ciel plombé du Finistère, la tendresse taciturne, pudique et économe de la musique de Yann Tiersen.

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