JUSTIN RUTLEGE & THE JUNCTION FORTY – No Never Alone
(Shady Lane / Import) – achetez ce disque
L’histoire de Justin Rutledge ressemble à ces contes qu’on récite à la veillée pour encourager les musiciens amateurs. Barman dans sa ville natale de Toronto, Justin Rutledge glissa un jour une démo de ses chansons dans la poche d’un client aviné qui prétendait connaître Neil Halstead et Rachel Goswell. Quelques temps plus tard, le duo de Mojave 3, qui montait précisément son label, lui en demanda d’autres et c’est ainsi que "No Never Alone" fut la première sortie de Shady Lane records au printemps 2004, suscitant des critiques suffisamment louangeuses (NME et Uncut pour une fois d’accord) pour qu’il bénéficie aujourd’hui d’une distribution acceptable dans le reste de l’Europe. Et on ne remerciera jamais assez cet enchaînement d’évènements contingents, pour ce qu’il nous donne aujourd’hui : un très beau disque. Pour situer la musique de l’oiseau, disons que l’écriture country-pop spatiale rappelle justement Mojave 3, que les intonations vocales évoquent le Granfaloon Bus, et que les orchestrations éveillent le souvenir du Large Band de Lyle Lovett (période "Joshua Judges Ruth", ce magnifique album d’alt-country au sens propre du terme) – où comment mettre une technique instrumentale irréprochable au service d’une musique qui respire et non qui étouffe. Sans ressasser le cliché sur les complaintes des grands espaces, ceux qui ont un jour éprouvé ce que Bruce Chatwin appelait "l’horreur du domicile" se retrouveront dans les trois premiers titres de l’album ("Too Sober to Sleep", "A Letter to Heather" et "1855"), autant d’invitations au voyage sans certitude de retour. Le dernier en particulier permet au Junction Forty (assemblage hétéroclite de copains de bistrot de Justin Rutledge et de requins barbotant dans les aquariums country de Toronto) de donner sa pleine mesure : le passage de témoin entre la pedal-steel et le dialogue piano-fiddle au milieu du morceau est aussi beau et fluide qu’une attaque grand côté qui va derrière la ligne. Un instrumental traditionnel gaillardement enlevé marque la césure du disque. Sa deuxième partie, plus intimiste et introspective, montre que Justin Rutledge n’est pas qu’un voyageur au long cours et ramène parfois ses chansons, à la différence de ses histoires sentimentales, à la maison : que ce soit pour "Federal Mail", magnifique pop-love-song au gimmick de piano irrésistible, "The Suffering of Pepe O’Malley (part III)", pétillant jamboree à quatre voix rehaussé de quelques gouttes de mandoline et d’un trait de pedal-steel ou "The Blackest Crow", traditionnel interprété avec dévotion mais sans componction, ceux que le Canadien a entraînés chez lui n’ont plus aucune envie d’en sortir. Une première révélation pour 2005 ? Cela tombe bien, on vient juste de la trouver.
Jean-Christophe Mauger
Too Sober to Sleep
A Letter to Heather
1855
Lay me down, Sweet Jesus
Sleeveless in Vancouver
Year of Jubilo
Federal Mail
Special
The Suffering of Pepe O’Malley (part III)
The Blackest Crow