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Disques

Katel – Mutants merveilles

Sur un quatrième album à la fois intime et engagé, la Parisienne élargit encore sa palette musicale et évoque les corps mutants, meurtris, confinés ou libérés (parfois tout à la fois) dans un monde lui-même en mutation. Lumière et ombre y cohabitent en harmonie, mais à la fin, c’est la lumière, et l’amour, qui emportent tout…

Katel évolue mais ne change pas. On pourrait presque dire que le titre de son quatrième album, “Mutants merveilles”, la qualifie parfaitement. Depuis une quinzaine d’années, la musicienne, mais aussi productrice (pour Robi, Maissiat, Angèle Osinski ou Superbravo) et fondatrice de son label FRACA !!!, en compagnie de Robi et Émilie Marsh, trace un chemin à la fois rectiligne et aventureux, fondé sur des valeurs et une exigence humanistes et artistiques inaltérables. Posant pour un instant ses multiples casquettes plutôt chronophages, la Parisienne a profité du premier confinement imposé au printemps dernier pour écrire de nouvelles chansons, qui ont finalement donné naissance à son premier album depuis le poignant “Élégie” de 2016.

“Mutants merveilles” débute par “Sauf qu’on l’arrête”, un morceau musicalement aérien qui rappelle les entrelacs délicats d’Holden, période “Pedrolira”, ce qui n’a rien d’un hasard, la merveilleuse Armelle Pioline, chanteuse d’iceux, menant la barque de Superbravo, produit donc par Katel (Julie Gasnier, autre membre de Superbravo, est d’ailleurs présente ici au chant sur le titre “Par la place”…) Connexions naturelles entre artistes libres, curieuses et persévérantes, si précieuses dans le paysage musical de France. On retrouve même un peu d’Armelle Pioline dans la façon qu’à Katel de chanter ici, tout en apesanteur et en détachement. Mais cette légèreté apparente ne saurait cacher le fond offensif du texte, dénonçant les violences policières, mais aussi la désinformation (les platistes en prennent pour leur grade) et appelant à la résistance. “Mutants merveilles”, disque de confinement, disque qui raconte son époque, disque de réflexion, mais pas que, loin de là… Disque éminemment sensuel et charnel, aussi.

En 2021, les corps et les esprits sont mutants (du moins certains), et c’est tant mieux. Mais dans cette période de mutation, le vieux monde se recroqueville, se rebelle et frappe fort (avant de mourir ?). Ce questionnement du corps différent, qui s’émancipe mais crispe les conservateurs, traverse tout l’album. À commencer par la pop-song sautillante placée en piste 2 (celle du tube, généralement, enfin ce serait le cas pour ce morceau si l’on vivait dans un monde plus éveillé), “Rosechou”, un “appel à la joie militante”, dit son autrice. Dans ce manifeste queer disant l’euphorie d’être un corps fluide, Katel se réjouit, joue sur les mots, danse et évoque ce “vieux monde tout mort”, ou du moins agonisant, qui dans ses derniers sursauts cherche la bagarre, mais la chanteuse se veut sans rancune : “Mais on vous emm… ène”, sourit-elle, invitation généreuse envoyée à l’attention des réacs de tous bords effrayés par… la liberté ?

À la fois léger et grave, intime et engagé, “Mutants merveilles” avance entre références pop sixties, trip-hop à la Massive Attack, électro cotonneuse, musique de film 70’s façon François de Roubaix ou musique contemporaine (on pense à Steve Reich) et même maloya réunionnais (“Je t’aime déjà”, avec le groupe Bonbon Vodou)… Cet éclectisme pourtant ne laisse pas d’impression de dispersion tous azimuts tant le propos reste cohérent, la voix virevoltante et inspirée de Katel liant le tout de façon particulièrement onctueuse.

Dans la première partie de l’album, aussi lumineuse et déliée que la seconde est sombre et abrasive (c’est ainsi qu’il a été conceptualisé), on retiendra encore une reprise d’un titre méconnu chanté en 1965 par France Gall et écrit par Gainsbourg (“Attends ou vas-t-en”, repris également en son temps par Mikado), avec Lucie Antunes au vibraphone, ou encore “Par la place”, morceau d’une tendresse infinie, où l’amour est défini comme une force de résistance dans un monde où règne la violence.

La mélancolie l’emporte sur la fin du disque, tout aussi passionnante, où une électro trip-hop aux basses profondes est trouée par la voix comme ouatée de Katel. Une poésie métaphysique vibre dans le doux “Comme vivre comme ivre”, tandis que deux morceaux évoquent la nuit, de façon différente : comme un lieu de danger dans “En chasse”, qui fait froid dans le dos (“Il paraît qu’il y a des hommes en chasse dans la ville”, raconte Katel, presque incrédule), et dans “La nuit est mon arène” comme un refuge, un endroit de liberté où l’on rencontre ces “gens de nuit”, si singuliers, et qu’on ne retrouve pas le jour. “La nuit est mon arène, j’ai son bruit dans le sang”, se confie ainsi Katel pour conclure cet album… Une nuit interdite depuis plusieurs mois, qu’il lui tarde, comme à beaucoup d’entre nous, de retrouver…

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