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Track by track – “The Minutes Hours | Les heures secondes” de Half Asleep

Retrouver la plume de Valérie Leclercq, alias Half Asleep, est l’une des réjouissances de cette année 2025. La musicienne belge, que l’on a découverte en solo, mais qui est aussi accompagnatrice de Midget! ou Matt Elliott, vient de sortir son sixième disque, « The Minutes Hours | Les heures secondes », nouvelle étape dans une discographie toujours sensible, profonde et passionnante.

Passionnante car toujours à la croisée de diverses influences, plus ou moins palpables, entre folk crépusculaire, classique et musique sacrée (pour les plus évidentes). Sensible ensuite, par la délicatesse de l’instrumentation et ses discrets arrangements, et enfin profonde, car ces dix titres semblent à chaque écoute se révéler un peu plus.

L’autrice nous fait le plaisir de nous en dire plus sur chacune de ces dix pièces.


Il y a eu un moment au début de ma vie adulte où je collectionnais les Stabat Mater. Ce texte a donné lieu à tellement de bouleversantes mises en musique, par Scarlatti, Sances, Vivaldi, Boccherini, Poulenc, Penderecki, Vladimir Godár, etc. Quand j’ai écrit la première partie du morceau, je ne sais pas pourquoi – et c’est embarrassant de l’avouer ici – mais ces notes m’ont évoqué les univers musicaux de ces Stabat Mater.

Les trois premières lignes du texte du Stabat Mater – la mère au pied de la croix – me serrent toujours la gorge. Pas besoin d’être croyant·e pour ressentir les émotions très humaines de ce moment : l’impuissance insupportable et l’amour infini d’une mère pour son fils qu’on est en train de tuer. C’est un thème éternel, malheureusement.

Dans mon propre texte, trois enfants adultes observent leur mère en train de jardiner depuis le cadre d’une porte ; iels l’appellent pour lui signaler que la pluie approche. C’est l’amour infini qui coule dans l’autre sens – des enfants à la mère.  

En écrivant ce morceau, j’ai pensé à ma propre mère, bien sûr, qui détesterait être mêlée symboliquement à l’histoire de Marie et de Jésus, ha ha.


Un jour, il y a bien quinze ans, un couple d’ami·es et moi étions parti·es nous promener sur un haut plateau boisé du Cantal. Il y avait une brume si épaisse que, marchant à quelques mètres les un·es des autres, on ne se voyait pas entre nous. L’environnement tout autour se révélait petit à petit puis disparaissait dans notre dos. En longeant un pâturage sylvestre, on a vu des têtes de vaches émerger de la brume, elles semblaient flotter seules, avant qu’on voie apparaître les corps qui y étaient attachés. Plus loin, on a entendu un son léger, continu, mécanique, ou peut-être un buzz électrique ? Bizarre. On était en pleine forêt. On a fini par arriver au pied d’une éolienne dont on ne voyait même pas les pales qui étaient enfoncées dans le brouillard au-dessus de nous.


J’ai parfois du mal à arrêter d’ajouter des parties à un morceau. 


Ici, il faut que je cite Emily Dickinson :

« This World is not Conclusion.

A Species stands beyond – 

Invisible, as Music –

But positive, as Sound – »


Quand je faisais des recherches dans l’État de New York sur l’histoire d’un hôpital psychiatrique homéopathique de la fin du XIXe siècle, je suis tombée sur un article scientifique écrit par le premier directeur de l’institution, intitulé “Insanity is a Blood Disorder”. C’était l’époque du tout début des analyses sanguines modernes, alors le sang semblait soudainement avoir réponse à tout.

”The Sun” est une chanson sur la naissance du soleil. Je crois.“The Sun est une chanson sur la naissance du soleil, je crois.


Comme la musique, cette « espèce » de l’au-delà (voir plus haut) est invisible mais on pourra un jour la mesurer scientifiquement – comme on mesure le son – si on arrive à construire les bons instruments. 

Une clarinette basse pour incarner le poids de l’approche scientifique, ça me semblait cohérent.


C’est le plus long morceau de l’album et il réunit tous les musicien·nes qui y ont contribué, à l’exception de deux de mes trois trompettistes. Le chœur du milieu a été difficile à mixer, en partie à cause de mes prises de son approximatives, et parce que nos voix et les trompettes se disputent les mêmes fréquences. Le souffle métallique et effrayant à la fin, juste avant que le piano prenne un virage « bachien », c’est Mathieu Lilin, le saxophoniste, qui souffle dans son sax baryton dont il a enlevé le bec. J’adore les couinements du même instrument qu’on entend en parallèle, on dirait une petite bestiole perdue dans le noir, paniquée. Ça tombe bien, parce que c’est la chanson du milieu de la nuit, quand on est seul·e éveillé·e dans une maison qui dort et qu’on se retrouve soudainement hanté·e par sa propre vie. 


Mon gros chat de gouttière, Maatje, avait l’habitude de s’asseoir dans l’évier de la cuisine des heures durant, en fixant des yeux le trou du drain. On avait l’impression qu’il s’attendait à ce que quelque chose surgisse de la tuyauterie à tout moment. Ça me faisait rire parce que je pensais toujours au film de Bergman “À travers le miroir”. Dans ce film, Karin, la protagoniste, monte toutes les nuits dans son grenier pour fixer des yeux une fente dans un mur depuis laquelle elle pense que Dieu va lui apparaître. Finalement, ce n’est pas Dieu qui lui apparaît mais une araignée géante. 


Plusieurs personnes m’ont demandé ce que cette simple chanson guitare-voix faisait dans le disque. Mais je m’accroche à ce titre, parce qu’il a été écrit en même temps que tous les autres et habite le même univers. J’aime bien l’idée de montrer qu’il existe une continuité entre une chanson tout simple comme celle-ci et ces autres morceaux de l’album en huit parties avec chœur, cuivres, violoncelle, etc. 

En parlant de violoncelle (joué, sur tout le disque, par la talentueuse Gwen Sainte-Rose), il est ici inspiré par les arrangements de cordes d’Angela Morley pour la chanson ”It’s Raining Today” de Scott Walker, une chanson de crooner chantée sur un arrière-plan quasi continu de trémolos aigus dissonants. Le contraste est saisissant. J’adore les expériences musicales extrêmes de Scott Walker. J’ai beaucoup réécouté ses disques lorsque j’imaginais les arrangements de l’album. 


J’ai emprunté, pour ce petit morceau de clôture au piano, deux très brefs extraits du texte de The Dream of Gerontius de John Henry Newman. C’est le moment où l’âme se réveille après la mort. Je trouve la façon très simple dont le texte décrit la sensation nouvelle de ce « repos profond » vraiment bouleversante. Un morceau de fin, donc. Mais de début aussi. Je le chante avec Claire Vailler (du groupe Midget!), ma collaboratrice de longue date. Sa voix est partout sur le disque, discrète. Mais ici, on l’entend limpide comme il se doit. Je voulais qu’on ait un moment à deux sur l’album. C’est quelqu’un d’important pour moi.


“The Minutes Hours | Les heures secondes” est sorti le 4 avril sur le label Humpty Dumpty.

Merci à Valérie Leclercq pour ses réponses, ainsi qu’à Adrien.

Photo : Thomas Jean Henri.





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