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Track by track – “N’être qu’humaine” de Watine

On avait suivi Catherine Watine ces dernières années, fascinés par des albums explorant des galaxies musicales lointaines, aux confins de la musique contemporaine et de l’ambient, méditations métaphysiques abordant les mystères de l’univers, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. La musicienne n’a rien perdu de sa curiosité pour les arcanes de la vie, mais c’est sur un mode intimiste, sur le ton de la confidence, qu’elle partage ses expériences introspectives sur ce N’être qu’humaine. Retournant à ce sillon de la chanson en français déjà exploré sur le splendide Atalaye en 2016, Watine creuse encore plus profond, façonne neuf gemmes à la poésie étincelante, parfois ironique, dans des textes où elle se livre sans autre filtre que ces jeux de mots, avec les mots, qui sont sa seule pudeur. Sur des orchestrations réduites au minimum (un piano, le violon de Gaëlle Deblonde, quelques touches légères de textures diverses), c’est Barbara jouant Glass, Ferré interprétant Olafur Arnalds que l’on entend, des univers d’une richesse infinie sous un vernis d’une simplicité absolue, une offrande accessible à tous, où Catherine Watine, en racontant sa vie, ses fêlures et ses espoirs, ouvre un accès à des questions universelles, et parle à chacun.e. Pour POPnews, elle donne, titre par titre, les clés de leur genèse, et sillonne à nouveau les chemins, souvent de traverse, toujours libres, ayant abouti à leur création. (photo © Éric Samson)


“En préambule, si je devais poser très peu de mots sur cet album, je dirais : le rapport au temps, l’état de la planète, les tréfonds de la conscience, l’amour, l’absolu, n’être qu’humaine… tout ce qui me traverse. J’ai attendu longtemps avant cette mise à nu, sans doute il me fallait du temps, longtemps, des épreuves, des chagrins, mais toujours l’espoir et toujours l’envie d’exister.”


Au début de l’été 2016, nous avions décidé avec mon mari d’aller nous installer dans les Landes. Nous allions tous les jours au bord de l’océan pour nous remplir de beauté comme un antidote au malheur : le mouvement perpétuel de la mer, l’écume des vagues se soulevant en permanence, les voiles de kite-surf au-dessus de nos têtes, dans un ballet étrange, et les couchers de soleil avec les rayons d’argent qui dardaient… Nous restions silencieux, car nous savions qu’il ne lui restait plus grand temps à vivre et de son hospitalisation très proche il ne sortirait plus – atteint d’un très mauvais cancer qui avait métastasé.
Tu avais voulu que l’on aille s’asseoir,
 juste pour voir la force la vie,
nous la mettre en mémoire pour les jours engourdis… 
Quand viennent par milliers sous le soleil tombant,
ces poignards d’acier comme autant,
autant de jours d’avant, autant en emporte le temps …

Face à mon âme solitaire, j’ai dû m’asseoir pour mieux voir
La force de la vie, me la mettre en mémoire…”
À la fin du mois d’août, je suis allée un soir, à la nuit, déposer un peu de ses cendres dans l’océan que nous aimions tant.


J’aime Albert Einstein, j’aime sa facétie quand il tire la langue sur une photo devenue mythique, j’aime qu’il ait été musicien, violoniste, pacifiste, militant, humble, et solitaire toute sa vie – un curieux sentiment d’étrangeté, d’éloignement, d’incompréhension dont il parlait souvent, et qui me relie aussi à lui. Il a essayé toute sa vie de pénétrer les secrets de la nature, se posant la question de la place de la science vis-à-vis de l’humanité… Alors, j’ai eu l’envie de l’interpeller sur l’état de notre planète, et les désordres que nous lui causons. Je voulais un thème musical très simple, pour que le questionnement écologique prenne toute sa place

“Tu disais, Albert
Au compas à l’équerre
Rien n’est absolu
Tout est relatif
Mais rien n’est résolu Albert
À qui la faute et pour quel motif
Le monde ne sait plus quoi faire
Pour traverser notre univers
Le monde s’use quand on le perd
Quand les ruisseaux ne vont plus à la mer
Il pleut Albert
Il pleut des vers dans la pomme
Dans le monde que l’on forme
Le monde que l’on borne
Et toi tu t’étonnes
Albert on déconne


Je parle très souvent du ciel, de la mer, et plus généralement de la nature. Elle est inspirante et j’y puise de grandes réflexions sur la vie et le temps. Quels sont les échappatoires ? Peut-on prolonger indéfiniment ce temps que l’on dépense sans compter, ou vivre selon son rythme, sans angoisse existentielle, en découvrant pour finir qu’il est un allié précieux nous permettant d’acquérir une forme de sagesse en lieu et place d’une résignation non consentie.

Dessine-moi la mer et les cimes de verdure
Qu’on décime sans savoir que ça sert à toucher le soleil
Dessine-moi la terre et les rayons de lune
Qui épèlent l’univers en lettres majuscules
Ça me gêne, ça me peine
Cette vie souterraine que l’on mène
Cette course au bonheur, ce mythe qui fait fureur
Comme un antidote à notre peur…”


Une posture de guerrière, je ne vois pas d’autre explication… Mais surtout le plaisir indicible de jouer avec les mots et d’appeler certaines références littéraires. Le sujet et l’action n’ont plus beaucoup d’importance ! Juste la danse des mots et la puissance des images qu’ils évoquent.

“Les risques de la nuit sont qu’on ne voit pas le jour
Ce qui ressemblait la nuit à de l’amour
Nous fûmes fulgurants objets de nos désirs

Mais ton futur n’est pas dans mon avenir…
je ne suis qu’un bûcher pour tes vanités…

Une écume des jours journellement quittée…
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin je me casse… »


J’avais prévu un concert en appartement, avec l’ami Quentin Rollet au saxophone, pour montrer ce nouvel album en session piano/voix. Il était venu quelques jours avant pour voir ce qu’il pourrait improviser sur mon piano. Il me demanda sur le titre Le Cours de ma vie (d’un précédent album) de prévoir une petite intro au piano, ce que j’improvisai le soir même. Après le concert, j’ai eu envie de développer ces deux premières phrases musicales, et j’en ai fait ce nouveau titre. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire ! Pour d’autres concerts où je voulais inviter la violoniste Gaelle Deblonde à jouer avec moi, je lui ai envoyé ce titre au piano pour qu’elle puisse aussi travailler sa partition. Elle m’appelle et me dit : ce que tu m’as envoyé, c’est la Chaconne de Bach… Je ne connaissais ni cette œuvre, ni le mot de chaconne… Elle m’a apporté la partition au violon, c’était saisissant ! Je crois profondément à la transmission inconsciente… mais là, j’étais bouche bée.
 

Dans une valse lente qui vient de loin
Dans ce demi-monde où l’on s’appartient
Où l’on se refonde au crépuscule de nos songes
Moi à toi contenu
Dans ce tout de toi que je n’ai que perçu
Toi pour qui je me garde vierge et nue
Aux autres encore abstenue
Tout ici m’est permis
En attendant que cet amour t’inonde
J’erre sur cette terre
Même tu me dirais je t’aime
Il te faudrait rajouter les éclairs
Leurs zébrures guerrières
Et le chant de mon piano dans la mer


Ou comment dire autrement certains jours de pagaille, des jours comme ça !

“On a des signes avant-coureurs
Des drôles d’états dans son humeur …
On n’arrive pas jusqu’au sommet

Sans traverser des avalanches
Moi qui redoute dans l’univers
DE n’être qu’une forme passagère
Est-ce pour cela que j’entasse
Une foule de sentiments qui me dépassent…


Je me rends compte très souvent que je suis une romantique invétérée, et que seules les routes du cœur conduisent mon écriture. Rien n’est autobiographique mais j’aime baigner dans l’amour absolu, celui que l’on cherche tous sans pouvoir le nommer. Et dans ce parcours, souffrir, c’est encore aimer, aimer, c’est rêver.

Pour ouvrir des chemins par-dessus les tempêtes
Au milieu des déserts que je traverse encore

Pour tracer d’absolu ma vie et mon sort
Pour qu’enfin tu entendes dans tout ce qui est vivant
La muette prière qui me bat dans le sang
J’attacherai mon cri
J’attacherai mon cri au firmament
La vie est un pays étrange
Il y a plein de routes où l’on se range
Mais quand l’amour nous dérange
Le temps que l’on se mélange
Dans nos recoins étranges
Nous voulons des anges


”Watine glisse contre la nuit qui frémit. On pense à Rimbaud qui poursuit l’aube. Watine est taquine, amoureuse, visionnaire à sa façon, riant et pleurant à la fois, interrogeant encore une fois le sens même de l’existence à travers une balade enivrée et nocturne” (copié d’une chronique à propos de ce titre). À nouveau la nuit et ses errances, une forme d’allégorie sur les questionnements majeurs de l’existence et de la relation amoureuse.

C’est un fait que l’on frôle
Le renversement des rôles
Mais les hommes que j’enlace ailleurs
Pleurent sur mon épaule
Et je ne nomme pas les routes où je déraille
Ma boussole au corps mais où que j’aille
Faut-il que je laisse dehors
Tous les héros de mes cavales
Pour aller dans ton port
Comme un bateau qui se met en cale
(…) Pourquoi faut-il que j’aie si peur
De perdre les aiguilles et l’heure
(…) Que savons-nous du temps qui passe
Sous le vol des rapaces
Que savons-nous de nos voltefaces
Quand nous perdons nos traces
Pourquoi les bars ferment si tard
Pourquoi je perds tous tes regards


Ce dernier titre de l’album a pris cette position pour fermer la boucle, fermer l’immense mélancolie qui m’étreint chaque fois que je pense à mon fils que je ne verrai plus, disparu tragiquement dans un accident de moto en novembre 2019. Je regarde très souvent le ciel comme pour interroger le mystère de l’univers. J’aime l’idée que mon fils soit dans une dimension ailleurs, et qu’il me protège de sa bienveillance éternelle.
Il me raconte
Les rayons verts
Et les soleils rouges
Qu’il voit plonger au bout de la terre
Comme ces ballons ronds
Que les enfants lâchent
Pour voir où ils vont
Il me raconte
Son Himalaya
Et les drapeaux qu’il plante
Au sommet de mes combats
Je lui raconte
Mon imaginaire
Et les chemins perdus
Où tombent mes colères
Il me raconte
Son dernier convoi
Dans les étoiles, sur un radeau de balsa
Il est si haut, si loin de moi
Mais l’absence n’a jamais fait loi…

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