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Pulp, une histoire de “Common People”

Revenu cette année avec ”More.”, Pulp est l’une des têtes d’affiche de la Route du rock cet été pour son unique date française. On ira pour entendre les morceaux du nouvel album, mais aussi et surtout les anciens dont le tube “Common People”. L’un des hymnes de la Britpop qui consacrait Jarvis Cocker comme l’un des meilleurs paroliers de sa génération. Depuis sa création à Reading en 1994, avant même sa publication sur disque, la chanson a été le point culminant (et souvent l’ultime morceau) des concerts du groupe de Sheffield. On rembobine, vidéos à l’appui.

Reading, sud de l’Angleterre, 27 août 1994. En ce deuxième des trois jours du festival – le plus important du Royaume-Uni avec celui de Glastonbury, qui a lieu fin juin –, le soleil brille et l’on se presse dans les allées poussiéreuses, entre les portants des friperies et devant les stands de garlic bread ou de plats indiens végétariens. Les festivaliers qui ne sont pas en train de cuver les excès de la veille sous leur tente – ou de chercher ladite tente dans l’immense champ qui tient lieu de camping – se partagent entre la scène principale et le chapiteau parrainé par le “Melody Maker”, frère ennemi du “New Musical Express” avec lequel il se tire la bourre toutes les semaines chez les marchands de journaux – une autre époque… Les têtes d’affiche de cette année-là (Cypress Hill, Primal Scream, Ice Cube, Red Hot Chili Peppers…) jouent bien sûr le soir sur la grande scène, tandis que celle du “Maker” affiche une programmation plus centrée sur le rock indépendant (ou indie pour les Britanniques, les Américains préférant généralement le terme alternative).

Mais un groupe appartenant à cette catégorie et qui ne vend pas (encore) des millions de disques peut avoir la chance de se retrouver sur la grande scène, l’après-midi bien sûr. Ce jour-là, c’est le cas d’une formation d’Oxford qui va bientôt connaître un immense succès. Son nom : Radiohead.
C’est aussi le cas de Pulp, formés à l’origine en 1978 par un Jarvis Cocker encore adolescent et pour lesquels les années 80 ont été une longue période de vaches maigres, de disques ignorés par le public et de concerts joués devant une assistance peu fournie. Au début des années 90, la signature sur un sous-label d’Island et la sortie de trois maxis remarqués, dont le génial “Babies”, inverse enfin la tendance. Suit l’album “His’n’Hers” qui paraît le 18 avril 1994 et atteint la 9e place des charts en Angleterre. Bientôt, ces éternels outsiders seront emportés dans le tourbillon de la Britpop (bien qu’ils n’aient pas forcément grand-chose en commun avec les autres représentants du mouvement) et Jarvis manquera de s’y perdre.
En août 1994, Pulp – que nous avions vu quelques mois plus tôt en concert dans un cinéma de Riom, dans le Puy-de-Dôme – est encore dans une période de transition. Et de grande activité créatrice, visiblement : alors que le nouvel album n’a que quelques mois, des morceaux encore inédits figurent dans la setlist. L’un d’eux est longuement présenté par Jarvis, assis au bord de la scène. Un speech qui se termine par ces mots : « This song is called Common People and it’s about common people… and I am one. » Paroles et musique n’ont pas encore tout à fait trouvé leur forme définitive, mais le morceau, construit sur un irrésistible crescendo, est déjà une bombe.

L’année suivante, ce groupe qui a longtemps connu la mouise bénéficie d’un énorme coup de bol : têtes d’affiche de Glastonbury, les Stone Roses sont contraints d’annuler à la dernière minute, et Pulp les remplace, pour une performance qui deviendra mythique et qu’on peut considérer comme le sommet scénique de leur carrière (et l’un des plus grands moments du festival). “Different Class”, l’album de la consécration, ne sera dans les bacs qu’en octobre, mais “Common People” est sorti en single en mai et a atteint la 2e place des meilleures ventes. La chanson clôt le concert (une habitude que le groupe a gardée jusqu’à aujourd’hui), et il suffit de comparer les deux vidéos pour constater combien le statut de Pulp a changé : le groupe ne joue plus en plein soleil mais de nuit et, surtout, le public chante avec Jarvis la plupart des paroles de ce qui est devenu un hymne. Galvanisé par la foule, le chanteur, après une longue introduction, se déchaîne. Assurément l’un des plus grands showmen de sa génération.

En 2001, Pulp joue pour la première fois à la Route du rock. “Different Class” a été suivi de deux albums : “This Is Hardcore » (celui de la gueule de bois), en 1998, et “We Love Life” (celui de la mise au vert) sorti cette année-là. La formation a perdu un membre de longue date, le violoniste Russell Seinor, et est proche de la fin. Fait étonnant, et peut-être révélateur, elle joue l’anticlimax en plaçant “Common People” en début de concert. S’appuyant sur une sorte de drone au synthétiseur, la version s’éloigne de celle du disque et peine à décoller… jusqu’au premier saut de Jarvis. Un concert moins survolté qu’à la grande époque (seuls trois morceaux de “Different Class” sont joués, le groupe ne remontant pas plus loin), mais même si Jarvis ne retirera son pull moulant qu’à trois morceaux de la fin, il reste un performer électrisant, à l’humour so british.
L’année suivante, Pulp se sépare.

2025, retour à Glastonbury. A quelques jours du festival, il apparaît quasi certain que c’est Pulp qui, trente ans après son triomphe, va jouer le traditionnel « secret show » sur la Pyramid Stage. L’affiche annonçait un groupe inconnu, Patchwork, et Jarvis s’en amuse en faisant son entrée sur scène : « Sorry for people who were expecting Patchwork. How did you know we were going to play?” Désormais sexagénaire, il est un peu essoufflé au moment de présenter sur le pont instrumental les musiciens, anciens ou nouveaux (le bassiste Stece Mackey nous a hélas quittés en mars 2023 à l’âge de 56 ans), mais s’offre quand même un petit saut depuis les amplis avant de chanter les « la la la… » finaux avec les spectateurs. Parmi eux, il y en a certainement qui étaient là il y a trente ans et qui sont venus avec leurs enfants. Après tout, c’est le propre des grandes chansons que de parler à toutes les générations. Et on est déjà impatient de vivre de nouveau ce moment, le 15 août au Fort de Saint-Père.



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