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Track by track : “Going to Limoges” de Paul Félix 

En 2024, un quatre titres avant-coureur marquait le retour à la chanson de Paul Félix, voix déployée et magnétique de Gamine (1982-1990). Le présent album, enregistré et produit par Fabien Cahen, confirme le talent mélodique et l’écriture en filigrane du chanteur féru de pop anglo-saxonne à guitares. A la façon de Daniel Darc, le « come-back » ne joue pas la carte de la nostalgie, mais a la fière allure du renouveau. 

Par téléphone, Paul Félix se prête au jeu du track by track de “Going To Limoges”. 


Inspiré par différentes choses. Ma vie et des bouquins comme “La Chute” de Camus. Mes parents bouquinaient et le titre “Pour qui sonne le glas” d’Hemingway se retrouve dans le texte de la chanson. Ça parle de la difficulté de la vie, comment on peut se retrouver dans les tréfonds. Soit on a le sursaut de ne pas se laisser ensevelir par l’avalanche, ou pas. En fait, il faut finalement se laisser un peu ensevelir pour retrouver son souffle. La chanson parle de la découverte de sa propre identité. Trouver ce qui est essentiel et écarter « ce qui laisse à désirer ». Ça dit tout ! Par exemple, on consomme, et il nous en faut toujours plus : ça laisse à désirer (rires). Le cœur de la chanson serait, en filigrane, qu’il s’agit de sortir du marasme de ses émotions et de ses conflits intérieurs. 


C’est une chanson sur les illusions… Les gens ne croient pas forcément en toi, ce qu’il faut c’est croire en soi. Ça raconte à demi-mots l’échec d’une histoire d’amour bidon, basée sur un malentendu. Se projeter dans une relation en cherchant ce que l’on ne peut pas y trouver. Souvent on cherche dans une relation ce que l’on a déjà soi-même. Ça parle aussi de la révolution avortée, de tout ce que l’on va essayer de faire pour changer le monde, mais voué à un certain désarroi. 

« Se pourrait-Il ? », premier single qui marquait le retour de Paul Félix en 2024.

Est-ce le premier morceau que tu as composé quand tu as repris la musique ? 

Non, c’est le premier titre enregistré avec mon nouvel iPad quand je suis arrivé en Dordogne. 
A l’origine, ce morceau est une improvisation au banjo que j’avais intitulée “Believe”. Fabien Cahen a été très aidant au fil des enregistrements, il m’a poussé à faire de nouveaux titres. Certains n’ont pas encore été enregistrés, des maquettes qui datent des dix dernières années.


La chanson a été composée en direct, au téléphone, tandis que j’échangeais avec ma chérie. On venait de se rencontrer. On se connaissait du centre bouddhiste. Enfin bon, parler de ma vie privée, ce n’est pas trop mon truc… Disons que j’ai improvisé une chanson en anglais – une sorte de charabia -, et j’ai fini par la traduire et la peaufiner en français. 

Viennent après deux titres en anglais, “Hello Hello” et “Let’s Pretend (We’d Be Blind)” ?  

Avec Gamine on faisait déjà des chansons en anglais. Fabien Cahen m’a convaincu de les laisser ainsi, et en effet je n’avais pas très envie de les traduire. “Hello Hello” a été composée en repensant justement à l’époque de Gamine, quand on tournait ; des gens que j’ai plus ou moins perdus de vue aujourd’hui. Alors il arrive que tu te poses la question : ce que l’on a fait, ce que l’on a vécu, ça a vraiment existé ou pas ? Il serait peut-être temps de se dire « Hello, comment tu vas ? ». Rien ne dit que l’on ne va pas disparaitre du jour au lendemain. Surtout si l’on considère les guerres environnantes, etc. 

Avec une tonalité très pop… 

Oui, l’occasion d’y aller carrément, façon Beatles (rires). Dans la pop, il y a pas mal de choses que j’aime, des Smiths à R.E.M., en passant par Oasis ou Bon Iver, Damon Alban, etc. En France, plein de choses aussi, comme Bashung, Les Innocents – réécoutés récemment – ou plus récemment Zoé de Sagazan, mais il faut reconnaître qu’il y a moins de place pour l’indé… Côté nouveautés, j’ai décroché pendant pas mal d’années, je n’écoutais quasi plus rien pendant les sept ans passés en retraite dans un centre bouddhiste. La littérature bouddhiste tibétaine avait pris le pas sur la pop. 
Quant à “Let’s Pretend”, ça raconte qu’il faut se distancier un peu des choses qui ne vont pas, de tout le merdier ambiant. Par exemple, l’engagement politique me paraît un attrape-couillons, j’ai du mal à leur faire confiance. Je suis un peu anarchiste sur les bords, mon père était un peu comme ça aussi, avec ce vœu simple de laisser les gens faire ce qu’ils veulent, tout en s’assurant que tout le monde ait à manger…


C’est une lettre à mon papa. Un condensé du bon et du moins bon, inspiré de “Papa Was a Rolling Stone” des Temptations : papa n’a rien laissé, même pas d’adresse. Et sa tendresse ? Tu repasseras (rires). Et en même temps, la tendresse du papa est là… Même s’il n’a pas su la donner. Par contre, j’ai beaucoup de tendresse pour lui. 


Un texte de Paul Verlaine, déjà chanté par Léo Ferré. Il a beaucoup œuvré pour faire connaître la poésie. Comme “Pauvre Rutebeuf” [une adaptation par Ferré du poète du XIIIe siècle Rutebeuf, NDLR], que je chantais déjà avec Gamine. Ça me touche vraiment, pour différentes raisons. Ça m’évoque l’héritage des troubadours maudits, dont mon père faisait partie, quoi. Et il a fini seul. J’espère que je finirais plutôt comme un yogi, en retraite, en conversation avec les êtes éveillés. Mais ma fonction sociale pour le moment, c’est plutôt troubadour. Et je dirais que la conteur et la conteuse, au sens large, sont primordiaux aujourd’hui, par exemple pour se moquer des puissants. Ce ne sont pas forcément des gens sympas, les conteurs, mais ils ont une fonction. 

“Pauvre Ruteeuf” par Gamine en 1990, déjà une connexion avec Léo Ferré.

Peut-on parler d’une double fonction en ce qui te concerne : chanteur et engagé dans le bouddhisme ?   

Pour moi, ça va dans le même sens, c’est pareil. D’ailleurs quand j’étais en retraite, j’avais le sentiment d’être en tournée. On était entre gars, avec une forme d’éternelle jeunesse et partageant les mêmes difficultés. La méditation et la musique, ce ne sont des choses séparées… dans le meilleur des cas (rires). En Afrique, le griot assure à la fois la spiritualité et la distraction. Une société sans transcendance ni spiritualité est vouée à la mort certaine. 


C’est une adaptation en français de la chanson “Fishhead” de Real Atletico [groupe que Paul Félix a formé après Gamine, NDLR]. Je me suis aperçu que je pouvais traduire le premier couplet mot à mot. 

Tu écris : « Que vas-tu faire de toi-même ? / À peu près comme avant ». Tu t’adresses à quelqu’un en particulier ? 

Ouais… Je m’adresse un peu à moi aussi. Ça parle des gens qui sont perdus dans le passé, qui ont perdu le fil. Avec parfois la consommation de drogues dures qui met littéralement les gens par terre… Je ne conseille en aucun cas. Dans la musique, c’est souvent associé à une culture de la frime, tout ces trucs qui ne mènent nulle part…  


Petit interlude musical, encore dédié à mon papa, d’une certaine manière. Le morceau a été enregistré live avec Philippe (batterie) et Alain (basse). Puis Fabien a ajouté de petits trucs. Moi je jouais le piano, très mal d’ailleurs.


Enregistré à la maison… J’ai fait ce petit morceau pour ma chérie. Le titre de la chanson fait référence à un lama tibétain, aujourd’hui décédé, qui est resté en France de 1975 à 2016 environ, et que j’ai côtoyé. Il disait souvent : « Manger c’est bon, sinon craquer ». En somme, un conseil à ceux qui, en retraite, arrêtaient de manger et risquaient, au bout d’un moment, de terminer à l’hôpital psychiatrique de Limoges… « Si pas manger », donc, « Limoges going », disait-il. En gros, se nourrir de lumière divine ne suffit pas ! Il faut rester les pieds sur terre. Par extension, je dirais qu’avec le monde dans lequel on vit, on court le risque de partir en établissement psychiatrique.  

Et est-ce que la musique peut rendre « fou » ? 

(Rires) On peut se rendre fou avec n’importe quoi… Mais c’est surtout la solitude qui peut rendre fou. Ce dont on souffre beaucoup dans le monde actuel, c’est l’isolement. De ce côté, je me sens verni parce que j’ai des connexions avec une grande communauté de gens. Des gens qui pratiquent la méditation. Je ne me sens pas isolé. Et j’ai la communauté des amoureux de la pop et de la musique en général ! Ça fait plaisir de revoir les gens qui m’ont connu à l’époque de Gamine, qui viennent me dire que ça les a marqué à l’époque. 

Comment la communauté bouddhiste reçoit ta musique ? 

Certains trouvent ça bien, oui. 


Je l’ai placée sur l’album pour situer les choses, pour dire un peu « voilà ce que je faisais à l’époque », mais aussi pour faire découvrir la chanson à ceux qui ne la connaissaient pas. Et c’est l’occasion de faire ma version du morceau, un truc un peu plus personnel. 

Tu avais des chansons en plus, que tu n’as pas retenues pour cet album ? 

Oui, plein ! J’ai un gros stock (rires) 


Album : “Going To Limoges” (Hotpuma Records / Musique de Chambre) 


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