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Disques

Sharp Pins – Balloon Balloon Balloon

Pour son troisième album sous le nom de Sharp Pins, le jeune Américain Kai Slater voyage au pays des Beatles et des Byrds, dans une démarche lo-fi qui ne laisse pas indifférent.

Serions-nous en présence d’un nouveau génie de la pop ? Malgré le caractère éminemment présomptueux de la question, celle-ci mérite d’être posée tellement l’artiste dont il est question ne cesse de montrer des qualités réellement épatantes. Figure centrale de la jeune scène de Chicago (dont fait notamment partie Horsegirl) existant, en particulier, autour du fanzine “Hallogallo” (eh oui, comme le morceau de Neu!) qu’il a lui-même fondé, Kai Slater se montre en effet particulièrement actif depuis quelques années, cherchant à profiter de sa jeunesse (il est aujourd’hui âgé de 21 ans) pour multiplier projets et initiatives. Passionné de musique depuis son plus jeune âge, il a déjà fait partie de plusieurs groupes, se concentrant ces dernières années sur Lifeguard qui a d’ailleurs sorti son premier album “Ripped and Torn” en juin dernier.

Mais en solo, sous le nom de Sharp Pins, il se révèle encore plus productif, sortant un album par an depuis 2023. Après un premier “Turtle Rock” qui, cette année-là, proposait une power pop lo-fi où perçait déjà un vrai talent mélodique, il s’est surtout fait remarquer avec le second “Radio DDR” l’année suivante, avec ses compositions plus solides et affirmées à l’inclinaison déjà plus pop et mélodieuse. Par la suite, après la sortie de ce disque, entre deux tournées avec Lifeguard, il a composé et enregistré seul chez lui la majeure partie des chansons du nouvel album, quelques autres étant enregistrées avec ses musiciens (le bassiste Joe Glass et le batteur Peter Cimbalo) et le producteur Hayes Waring dans le studio que possède ce dernier à Olympia dans l’État de Washington.

A l’écoute de ce nouvel opus intitulé “Balloon Balloon Balloon”, on est alors frappé à la fois par la grande qualité des mélodies directement héritées des années 60 et par le son pour le moins lo-fi et troublé de l’ensemble. Il faut dire que son auteur l’a cherché en privilégiant l’enregistrement sur du vieux matériel, le Tascam Porta One, le premier quatre-pistes au monde, étant son préféré. La plupart des chansons du disque consistant ainsi en des prises directes sans le moindre montage a posteriori. Cela donne alors l’impression d’entendre un admirable décalque des tubes pop sixties des Beatles ou des Byrds mais enregistrés au fin fond d’une cave obscure, comme s’il voulait mélanger les belles mélodies pop des années 60 avec le côté lo-fi et bricolé des années 80.

Pourtant, avec “Popafangout”, morceau inaugural qui, avec ses guitares carillonnantes et ses chœurs angéliques, fait irrémédiablement penser aux Byrds ou avec le suivant “I Don’t Have the Heart” qui, en contenant tous les gimmicks de cette époque, donne réellement l’impression d’entendre un inédit des Beatles de 1965, nous sommes en présence de grandes et belles mélodies, preuve du grand talent de songwriting de Kai Slater. Mais déjà, le son ne s’avère pas très net, le jeune Américain semblant vouloir déjouer les références qu’il met lui-même en avant. Ensuite, avec “I Could Find Out” ou “Talking in Your Sleep”, nous avons encore droit à de belles ballades très mélodieuses, la seconde frappant vraiment par son impeccable classicisme. Mais aussi, sur d’autres titres tels que “I Don’t Adore-Youo” et “Ex-Priest/In a Hole of a Home”, c’est plutôt la cacophonie qui domine, dans une sorte d’amateurisme entretenu.

En réalité, malgré un indéniable ancrage sixties, l’album fait preuve d’une grande variété, disséminant ici une ballade mélancolique à la Beach Boys (“Gonna Learn to Crawl”) ou là une power pop énergique comme à la charnière des années 70 et 80 (“Takes So Long”), évoquant par ailleurs Big Star (les harmonies de “(I Wanna) Be Your Girl“, une des vraies perles de l’album) ou les Who (les power chords de “(In a While) You’ll be Mine”). Surtout, en son sein, le disque contient deux authentiques pépites qui émerveillent systématiquement à chaque écoute. D’abord, il y a “Queen of Globes and Mirrors”, très belle mélodie admirablement arrangée qui, encore une fois, fait beaucoup penser aux Byrds et donne l’impression d’entendre un trésor déniché dans un grenier qui n’aurait pas été visité depuis 1966. Plus loin, vers la fin de l’album, c’est “Maria Don’t” qui nous fait succomber par sa touchante fragilité et qui, il faut bien l’avouer, n’aurait vraiment pas dépareillé sur le Double Blanc des Beatles.

Sur cet album contenant en tout vingt et un titres (dont trois courts intermèdes expérimentaux), conclu avec lenteur et lassitude par “Crown of Thorns”, comme éreinté par les montagnes russes émotionnelles vécues tout du long, on a donc vécu une sorte de voyage dans le temps et l’espace – circulant des deux côtés de l’Atlantique entre les années 60 (jusque dans les paroles des chansons, bluettes vraiment charmantes au romantisme échevelé) et les années 80 – qui nous a souvent profondément captivé. Par-dessus tout, sur ce disque, sous le nom de Sharp Pins, le jeune Kai Slater, à son meilleur, a prouvé qu’il pouvait rivaliser avec les grands songwriters des années 60, que ce soit Gene Clark, Roger McGuinn ou même l’intouchable duo Lennon–McCartney. Bien sûr, il est encore trop tôt pour répondre par l’affirmative à la question posée au début de cet article, mais il est évident qu’il faudra compter avec ce jeune homme dans l’avenir.


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