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Disques

Les Marquises – Pensée magique

Un mardi pas comme les autres. J’ai une trace de cinq doigts incrustée dans la joue gauche. J’ai reçu un mail qui finissait par « … et Les Marquises ? ».

Les Marquises est un projet musical orchestré par un dépressif heureux, Jean-Sébastien Nouveau. Après un premier album sorti en 2010, « Lost Lost Lost », remarqué et salué par la critique, le compositeur lyonnais est de retour avec sa troupe pour nous pondre une pépite à mettre entre les oreilles de tous ceux qui aiment se mettre en danger.
« Pensée magique » est bien plus qu’un album, qu’un disque, c’est une véritable œuvre d’art qui s’écoute du début jusqu’à la fin, un hommage à Jean Rouch, le réalisateur ethnologue qui écrivait en 1955 dans l’introduction de son documentaire « Les Maîtres fous » : « Et ce jeu violent n’est que le reflet de notre civilisation. »

   

Les Marquises nous tendent un verre en terre cuite rempli d’un liquide sacré, nous proposent un voyage chamanique, transcendantal, dans les forêts primaires d’Acras et d’Iquitos.
Dès les premières notes, la montée est instantanée.
Des esprits maléfiques dansent autour d’un feu au rythme des percussions tribales et des larsens démoniaques tandis que le Mystery Man de « Lost Highway », des asticots plein les poches, nous indique la route d’un crash inévitable.
Ne serait-il pas plus simple de devenir fou pour ne plus avoir à assumer nos travers insupportables d’hommes modernes ?
Avec « Cassette (Hand of Fire) », la terreur fait place à un semblant d’apaisement. Le seigneur de la forêt, Barong, affronte la reine des démons Rangda dans un drame balinais théâtralisé. La lutte du bien contre le mal. Le malaise est toujours palpable mais il semble exister une porte de sortie vers la lumière.
La récompense arrive. L’extase s’empare de nos sens. Nous pouvons à nouveau fermer les yeux sans avoir peur. Les nappes analogiques et la voix d’ange de « The Visitors » sont là pour nous rassurer. C’est le moment de relâcher les épaules, de respirer profondément par le nez, de se laisser envoûter par les cuivres. L’orage est passé, c’est la redescente. « La nuit tombe dans la vallée ».
   
Tu croyais pouvoir t’en sortir comme ça ? Ben non ! T’es toujours en danger !

Les percussions claniques reprennent de plus belle avec « Chasing the Hunter ». Il faut fuir, se mettre à courir pieds nus dans la jungle, traqué par un prédateur invisible, la foulée rapide, vive, légère, sauvage. On se retourne à chaque bruit de craquement, s’enfonçant dans cette voie sans issue, se rapprochant du bord de la falaise. Il n’y a plus d’autre choix que de sauter.
La chute, « Jennie’s Magic Cast-On », est légère, aérienne. Le conte finit en douceur.
  
« Pensée magique » est un projet ambitieux et plus que réussi. Un ovni inclassable, et au fond rassurant, car il laisse penser qu’aujourd’hui la musique n’est finalement pas si aseptisée. C’est un acte de résistance. Au-delà de l’objet sonore, chaque morceau est illustré par un court-métrage mis en ligne sur YouTube. De la confiture pour les esprits déboussolés. Les Marquises font l’énorme effort de ne pas tomber dans la facilité et atteignent aujourd’hui un summum de créativité. Une énergie rock, électronique, rythmique, expérimentale, qui n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celle que dégageait Magma à la bonne époque.

 

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