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Concerts

The Apartments en France – Récit des concerts de Nantes et Bordeaux

(Matthieu Chauveau à Nantes)

C’est une soirée très spéciale que nous propose Stereolux ce mercredi. Spéciale tout d’abord de par le statut du groupe invité. The Apartments, la formation à géométrie variable emmenée par Peter Milton Walsh est un groupe culte. Un groupe culte mais un groupe maudit, aussi (les deux étant sans doute un peu liés) : succès commercial jamais entrevu depuis l’inépuisable premier album « The Evening Visits » (1985), discographie en dents de scie (4 albums dans les années 90 puis plus rien).
 
Spéciale, la soirée à Stereolux l’est aussi parce qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une idée originale, lancée par Emmanuel Tellier, (ex-)journaliste musical de renom (les Inrocks, Télérama) et désormais musicien avant tout : organiser une petite tournée française pour son groupe australien fétiche et décidément trop rare, the Apartments (dont une date parisienne aux Bouffes du Nord) financée en partie par les dons des fidèles fans du groupe. C’est donc logiquement le groupe d’Emmanuel Tellier, 49 Swimming Pools, qui ouvre pour les concerts de Peter Milton Walsh et de sa troupe.

49 Swimming Pools

D’ores et déjà, avant même que le groupe français ne monte sur scène, on se dit qu’on a beaucoup de respect pour la personne d’Emmanuel Tellier : pour le journaliste, évidemment, dont on a longtemps lu les articles, mais aussi et surtout pour le tourneur, l’organisateur de la tournée des Australiens. On l’en remercie encore et encore. Alors, musicalement, on n’attend pas forcément grand chose de son groupe et on se dit que de toute façon, quoi qu’il arrive, on sera très indulgent. Autant être clair, les garçons prenant possession de la scène de Stereolux n’ont pas 20 ans. Ils lorgnent plutôt vers la cinquantaine, comme le public qui lui fait face. En ça, rien de choquant évidemment. Mais, connaissant le background journalistique de Tellier, on ne peut s’empêcher de penser que tous les membres du groupe sont sans doute des musiciens pas exactement professionnels. Des fans de musique évidemment. Esthètes probablement. Mais bon, est-ce que cela suffit ? Bref, former un groupe sur le tard, pour un journaliste rock bien établi, pourrait facilement être interprété comme un petit caprice de nanti.

Eh bien, le concert commence à peine qu’on a honte d’avoir eu ces idées en tête. Tout est impressionnant dans 49 Swimming Pools. Certes, on sent que le groupe est ultra-référencé, mais ces références justement, ce sont aussi nos références. Il y a du Mark Linkous (Sparklehorse) dans la voix fragile et haut perchée de Tellier. La mise en son panoramique, cinématographique (idéalement soutenue par une imagerie impeccable projetée en fond de scène, à l’esthétique rétro américaine paradoxalement très moderne – comme peut l’être un épisode de la série Mad Men) rappelle le Mercury Rev de la grande époque. L’écriture musicale éminemment pop, ciselée, classieuse, convoque pêle-mêle les Byrds, les Zombies, le REM des débuts ou les Go-Betweens. Que du beau monde.

Et le miracle, c’est que tout ça fonctionne diablement bien. N’y allons pas par quatre chemins, « Automatic Love », « You’re So Sentimental » ou « A Notebook at Random », toutes trois issues du dernier album en date du groupe, sont des pop-songs tubesques et élégantes comme on n’en entend que trop rarement ces temps-ci, même chez les jeunes pousses de la pop pourtant vantés ici ou là (par Pitchfork notamment). Pour couronner le tout, Tellier réussit à insuffler à ses chansons une réelle émotion, à fleur de peau (magnifique « Tim Lester Zimbo’s Friends »). Un supplément d’âme qui ne saurait évidemment faire défaut au grand fan de The Apartments qu’il est.

The Apartments donc. Dès leur arrivée, on sent qu’on va assister à un grand moment. Le groupe déboule sans mise en scène particulière. Walsh, tignasse en pagaille, lunettes de soleil noires, fringues cintrées, rappelle immanquablement le Dylan de 1966. La grande classe. Et il n’a pas besoin de dire grand-chose pour déjà dégager une aura exceptionnel (ça doit être ça, le charisme) : « Good evening, we are the Apartments ». S’ensuit le très beau titre « All You Wanted » où la voix à la fois fragile et fière, douce et puissante, harmonieuse et stridente de Walsh est idéalement complétée par les contre-chants angéliques de la toujours élégante Amanda Brown des Go-Betweens (autre groupe australien culte). Ce mélange harmonieux des deux voix fait des merveilles sur toutes les chansons du concert, notamment sur les très jangle pop « The Shyest Time » et « On Every Corner ». « Thank You For Making Me Beg » ou « The Things You’ll Keep » sont – comment pourrait-il en être autrement ? – également interprétées magnifiquement et sublimées par un trompettiste au jeu aussi discret qu’efficace.

The Apartments

Certains titres sont joués dans des versions relativement différentes de celles gravées sur disque. « Knowing You Were Loved » est plus lent que de normal. Il n’en est que plus poignant. L’emblématique « The Goodbye Train » est au contraire plus vigoureux, sa fameuse ligne de basse sonnant presque heavy tout comme le chant de Peter, éclatant telle une déchirure quand il chante « you’re not lost or broken yet » en conclusion. Pour un groupe de scène plus ou moins improvisé (deux des 49 Swimming Pools prêtent main forte aux Australiens, au piano et à la basse), l’ensemble sonne merveilleusement bien, notamment grâce aux arpèges de guitare cristallins déversés par l’excellent guitariste Wayne Connolly. C’est cependant quand arrive l’interlude acoustique que le concert atteint son apogée. Simplement habillé de deux guitares, d’un violon et d’une voix féminine, le chant de Peter n’en est que plus touchant. « Word of Liars » et « Mr Somewhere » sonnent alors comme une confidence, faite par un Peter Walsh qui nous paraît tout à coup presque intime. Déchirant.

On a évoqué Dylan plus tôt, mais la manière qu’a Walsh de susurrer ses textes sans âge dans l’oreille de l’auditeur avec une grâce toujours pleine de retenue, rappelle aussi Leonard Cohen. Visuellement, c’est surtout le Velvet Underground de 67 que le groupe dans son ensemble évoque. L’élégante blondeur d’Amanda Brown, son violon, les lunettes noires de Walsh, le statisme fier des musiciens, les projections vidéo en fond de scène (une splendide image de Jean Seberg tirée d’A Bout de Souffle, déclinée de toutes les manières possibles, en écho à la cinéphilie avérée de Walsh) rappellent immanquablement la première mouture du groupe de Lou Reed (regardez la photo au verso de l’album avec Nico, cela donne une assez bonne idée de ce à quoi ressemble The Apartments sur scène).

Pas de passéisme cependant dans la setlist de The Apartments. A tous les impérissables classiques joués ce soir s’ajoutent deux nouveautés – ou presque : le luxuriant et très beau « Black Ribbons », seul morceau enregistré par Peter en 15 ans, interprété en duo avec Natasha Penot, chanteuse française du groupe Grisbi et, surtout, le très rare « Twenty-one », toujours pas gravé sur disque et absolument magnifique. Magnifique et aussi très triste, mais toujours digne et pudique, le morceau étant dédié au fils que Peter a perdu il y a une dizaine d’années. Malheur familial qui explique en grande partie le long silence artistique qui a suivi. Espérons que la tournée française de The Apartments redonne l’envie à notre Australien d’ajouter un chef-d’oeuvre à sa courte mais essentielle discographie.

Setlist The Apartments :

All You Wanted
Thank You For Making Me beg
The Shyest Time
Knowing You Were Loved
Things You’ll Keep
On Every Corner
The Goodbye Train
Word of Liars
Mr Somewhere
Black Ribbons
What’s Left of Your Nerve
Twenty-one

 

(Mickaël Choisi)

Que dire que Matthieu n’a pas dit ?

Si chaque concert est unique dans l’absolu, j’ai l’impression qu’il y a eu beaucoup de similitudes dans ce que nous avons vécu à deux jours d’intervalle. Aurait-il pu en être autrement, avec les mêmes acteurs impliqués ?

Car tout au long de cette soirée au salon de musique du Rocher de Palmer planait le sentiment que l’on assistait à quelque chose de rare, d’assez précieux – qu’il valait donc mieux se tendre vers un seul et même objectif : profiter au maximum de la soirée, de la présence de ce groupe que l’on retrouve de loin en loin, mais qui prouvera, si besoin était, qu’il n’a rien perdu de son élégance.

49 Swimming Pools

Et la sensation aurait assurément été différente si 49 Swimming Pools n’avait pas à la fois donc servi de merveilleuse introduction à ce qui allait suivre. Bien plus qu’un simple poisson pilote, 49 Swimming Pools est un immense groupe de pop, qui sait lui aussi se faire désirer. A l’écoute de ces magnifiques 45 minutes, je pense que je ne suis pas le seul (visiblement, Matthieu a aussi eu le même coup de foudre) à avoir retenu « A Notebook at Random », encore transcendée en live, mais aussi « Automatic Love », « Summer Is Coming » ou encore « The Goodbye Song ». Chaque titre démontre une plume toujours fine, élégante, avec une expérience chez les musiciens qui donnent à entendre un feeling pop qui prend au coeur. Des arrangements subtils, sur des mélodies au classicisme éprouvé : l’entrée en matière de la soirée fut donc splendide.

The Apartments

Ce qui est appréciable pour ce retour de The Apartments, c’est de voir ce mélange de générations, toutes unies dans le silence quand rentre le groupe. Personne n’a envie de parler. Personne n’a envie de se faire remarquer. Les applaudissements ne sont pourtant jamais loin : ils sont mérités, car c’est un moment magnifique que l’on vit. Il y eut tout, beaucoup de joie malgré la tristesse qui émane des chansons de Peter Walsh. La joie d’entendre « The Goodbye Train », la joie d’entendre un groupe qui suivait à la perfection chaque chanson, la joie d’entendre un « Every Corner » fougueux, la joie de voir un Peter Milton Walsh faire preuve de douce autodérision entre les morceaux (« For us, five shows is a big tour »). De la joie à tous les étages donc, qui se prolonge avec beaucoup de classe, tellement à l’opposé de tous ces artistes qui reviennent pour cachetonner. Ici, c’est le coeur qui parle, la générosité d’offrir des chansons qui se révèlent totalement intemporelles, fragiles et fortes à la fois. Grandes, tout simplement, à l’image de ce concert, qui se termine dans un calme quasi-total, comme si chacun voulait prolonger quelques secondes de plus cette belle soirée…

The Apartments

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