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Concerts

The Apartments – Théâtre de Saint-Lô, 20 octobre 2018

« Vraiment, tu vas à Saint-Lô samedi ? » Certes, cette petite ville de la Manche presque entièrement reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, “capitale des ruines” dont le charme ne saute pas vraiment aux yeux – les locaux eux-mêmes en conviennent –, peut sembler une curieuse destination pour le week-end. C’est pourtant un havre pour les amateurs de musique, grâce notamment à l’impeccable programmation de “Au hasard des rues” concotée par Gilles Perrotte – alias Meursault –, adjoint à la culture, et son équipe. Ce week-end-là, donc, ces bienfaiteurs de nos oreilles faisaient revenir The Apartments, déjà passés par là sur les précédentes tournées, et je ne pouvais pas manquer ça.

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Arrivé en fin de matinée, j’ai le temps de flâner par un temps radieux avec mon hôte (un autre Vincent) dans le centre-ville et sur les remparts avant de rejoindre le groupe, venu de Lesquin (près de Lille) où il jouait la veille, pour sa balance au théâtre. Si l’endroit est plus habitué aux pièces et aux one-man shows comiques, les techniciens accomplissent avec beaucoup de patience et de professionnalisme les réglages son de Peter Milton Walsh, Natasha Penot et Antoine Chaperon, qui interprètent plusieurs morceaux complets ou presque pour mon plus grand plaisir. Un mini-concert avant le vrai, dont profitent une demi-douzaine de personnes… La fatigue de la tournée se lit un peu sur les visages (le trio franco-australien se produit tous les soirs, ou pas loin), mais c’est l’enthousiasme et l’excitation qui dominent en cette avant-dernière date en France – le lendemain, The Apartments s’exposent à 17h au musée d’Arts de Nantes.

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Un burger-frites au Grand Balcon, brasserie bien connue des Saint-Lois, en compagnie de deux fans venus de Rennes et Saint-Brieuc, puis retour au théâtre un peu après 20h. Le concert, gratuit, n’est annoncé que pour 21h, mais déjà les spectateurs se pressent pour retirer leurs billets au guichet. Parmi le public, assez différent de celui de Paris l’avant-veille, un peu plus âgé dans l’ensemble (même s’il y a aussi des enfants), on repère quelques représentants de la riche scène rock locale. Ce soir, The Apartments ne jouent pas devant leur fan club, plutôt devant des spectateurs curieux et sans à priori, qui ont pensé qu’il y avait mieux à faire que de passer sa soirée devant la télé – et ils ont eu bien raison.

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Je retrouve la place que j’occupais lors de la balance : premier rang, pile au milieu, l’idéal pour prendre quelques photos sans trop déranger. La salle, sobre et confortable, est plutôt bien remplie. Après une brève pérsentation par Gilles, le trio entre en scène sous les applaudissements. Comme d’habitude, Peter est en noir : lunettes, chemise, costume, chaussures. Un simple « Bonsoir Saint-Lô » (en français), et le concert débute par l’un des morceaux les plus culte de son répertoire – grâce notamment à la reprise de This Mortal Coil –, “Mr Somewhere”, comme toujours bouleversant.

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Il faut avoir de sacrée cartouches pour placer d’emblée la barre aussi haut, mais tous ceux qui connaissent le répertoire en question savent que c’est le cas. Pendant plus d’une heure s’enchaînent donc des merveilles de toutes époques, où l’apport de Natasha (chœurs, ou voix lead sur les duos, clavier, tambourin, melodica vintage) et d’Antoine (guitare Squire au son pur et magnifique) est à la fois discret et déterminant. Peut-être en raison de la configuration de la salle, bien différente de celle de Petit Bain, ou du son un peu plus doux, le concert me semble plus fluide, apaisé et harmonieux qu’à Paris l’avant-veille, tout en étant d’une égale intensité tout du long.

Les Apartments ne livrent jamais tout à fait le même concert d’un soir sur l’autre : Peter Walsh apporte souvent d’infimes variations à ses chansons, obligeant ses deux accompagnateurs à scruter ses moindres gestes et inflexions de voix. Celle-ci, patinée par les années, touche au plus profond, et chaque mot, chaque « sha la la », même, est à l’évidence chargé du poids d’une vie. Côté setlist, juste un changement : “The Failure of Love Is a Brick Wall”, morceau pour lequel son auteur avait eu toutes les peines du monde à accorder sa guitare à Paris, a été abandonné au profit de “Please Don’t Say Remember”.

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Après un “What’s Left of Your Nerve” qui ne nous laisse pas grand-chose de nos nerfs, et qui nous aurait tous mis à genoux si nous avions été debout, les trois musiciens quittent la scène pour y revenir au bout de quelques minutes. Peter, qui avait peu parlé jusqu’ici, adresse au public quelques phrases (en anglais) qui ne peuvent que lui réchauffer le cœur : « Je peux être capable d’une grande insincérité, mais Saint-Lô est vraiment l’un de mes endroits préférés en France, et où que j’aie joué, je n’ai jamais dit ça. Je ressens une sorte de connexion avec la ville. » Après un merci à Gilles, il annonce que la chanson qui va suivre devrait être la dernière de la soirée.

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C’est “The Goodbye Train”, toujours un morceau de bravoure, même dans une version forcément moins électrisée (mais aussi nerveuse, et plus longue) que sur “Drift”. Le concert se serait conclu ainsi si Peter n’avait finalement changé d’avis. Le groupe clôt donc comme à Paris par le terrible et très intime “Twenty One”, souvent terminé au bord des larmes – sur scène et dans le public. Sortie des trois musiciens, qui reviennent, visiblement heureux et émus, pour saluer sous les hourras. Et qui, un peu plus tard dans le foyer du théâtre, ne se feront pas prier pour parler avec le public et dédicacer affiches, rééditions vinyle récentes ou livrets de CD aujourd’hui difficilement trouvables apportés par les fans. Quelques verres, rires et anecdotes dans la loge prolongeront très agréablement quoique raisonnablement la soirée.

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Ce concert, et les autres que les Apartments ont donnés en France ces dernières années, avaient longtemps fait figure de fantasmes pour nous. Ce qui donne encore plus de valeur à ces moments de communion rares et exceptionnels, qu’on ne pensait jamais vivre. Comme d’autres artistes “à éclipses”, Peter Walsh semble vouloir rattraper le temps perdu. Merveilleusement entouré, il le fait avec une classe et un don de soi que beaucoup pourraient lui envier. Not lost or broken yet, vraiment.

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