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Interviews

The Chills – Interview

The Chills, l’un des plus beaux fleurons de l’indie-pop néo-zélandaise depuis le début des années 80, est de retour. « Silver Bullets » (chez Fire records), premier album studio depuis 1996 (il y a eu entre-temps un EP de démos et quelques compilations d’archives), montre que Martin Phillipps n’a pas perdu la main malgré un long passage à vide – dépression, drogues dures, alcoolisme, maladie. Portée par une voix toujours aussi passionnée et émouvante, ses nouvelles chansons oscillent comme les anciennes entre grandes interrogations existentielles et inquiétudes quant à l’état de la planète, espoir et renoncement, émerveillement et peurs primales, ombres et lumière, rage et douceur. Des sautes d’humeur aujourd’hui tempérées par la sérénité qui vient avec l’âge et qui s’exprime ici à travers une manière plus simple, un son plus clair, dans la lignée de “Heavenly Pop Hit” (leur seul petit tube, aux Etats-Unis du moins) ou “The Male Monster from the Id” plutôt que des tortueux “Pink Frost” ou “Water Wolves”, génialement produit par Van Dyke Parks.

Martin Phillipps était il y a quelques semaines de passage à Paris. Avant tout en touriste, mais il en a quand même profité pour donner quelques interviews. Loin d’une simple obligation professionnelle, ce fut l’occasion de revenir sur l’histoire d’un songwriter d’exception qui aura connu autant de gouffres que de sommets, et de corriger quelques malentendus sur la légende d’un homme qu’on a pu croire éternellement poursuivi par la poisse. Qui semble aujourd’hui simplement heureux d’être en vie et d’avoir la possibilité de faire entendre sa musique. (V.A.)

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Quand tu as débuté avec les Chills en Nouvelle-Zélande dans les années 80, était-il facile d’avoir accès aux nouveautés américaines et européennes ? Quels types de musique écoutais-tu ?

Il était difficile de trouver des disques ou des instruments à cause des taxes prohibitives à l’époque. C’est une des raisons pour lesquelles beaucoup d’instruments étaient fabriqués en Nouvelle-Zélande. Les plus chanceux avaient l’occasion de voyager et de rapporter des disques de l’étranger. Nous nous rendions chez eux pour écouter ces groupes auxquels nous n’avions pas accès. Nous enregistrions des copies sur cassettes audio. A titre d’exemple, il m’a fallu huit ans pour obtenir le troisième album du Velvet Underground. Il n’y avait pas réellement de cloisonnement dans ce que nous écoutions. C’est la raison pour laquelle les membres de Sneaky Feelings étaient plus portés sur la soul du label Atlantic, d’autres étaient plus intéressés par les Stooges ou le Velvet Underground. Il n’y avait pas d’équivalent de “Top of the Pops” à la télévision, mais nous avions en revanche accès à la presse musicale. J’étais fasciné par le look des artistes dans les magazines qu’achetait ma grande sœur, mais souvent je n’avais aucune idée d’à quoi pouvait ressembler leur musique. Quand Sweet est venu jouer dans la ville où j’habitais, je ne voulais rater le concert sous aucun prétexte, mais ma mère m’en a empêché car pour elle le rock représentait la musique du diable. Les choses ont commencé à changer progressivement à partir de la fin des années 70. Davantage de groupes sont venus jouer chez nous et l’accès aux disques était plus facile. A tel point que la Nouvelle-Zélande est devenue le pays où les groupes commençaient leurs tournées. C’était un moyen de tester leurs nouvelles chansons sur le public. J’ai donc assisté à des concerts des Talking Heads, The Cure, B-52’s, etc.

Tu as grandi à Dunedin. Pourrais-tu nous décrire la scène musicale de l’époque ?

C’est une ville au sud de la Nouvelle-Zélande qui a été fondée par des Ecossais. Elle compte environ 100 000 habitants, et plusieurs universités avec des spécialisations dans l’art. Je me suis retrouvé au bon endroit au bon moment car ma première année de fac a correspondu à une sorte d’année zéro de la culture musicale indépendante. J’ai rencontré des gens comme Chris Knox, les frères Kilgour, Robert Scott (The Bats), etc. Tous n’étaient pas à l’université, j’en ai rencontré certains par hasard. Chris Knox a joué dans plusieurs groupes, The Enemy en 1977, puis Toy Love qui s’est transformé en Tall Dwarfs. Il a été repéré par Roger Shepherd, fondateur de Flying Nun Records, alors qu’il effectuait la première partie de The Clean avec The Enemy. Personne n’imaginait que ce concert allait être le début d’une telle aventure. La scène de Dunedin est par la suite devenue le vivier de Flying Nun qui n’était pourtant pas basé dans cette ville, mais plus au nord, à Christchurch.

Es-tu d’accord si l’on décrit tes compositions comme un mélange de mélancolie et d’espoir, parfois à la limite de la naïveté ?

Oui. Comme le comportement des enfants, ma musique peut parfois être naïve, mais aussi sombre et effrayante. J’en étais très conscient au début de ma carrière. Mais si mes chansons ne paraissent pas toujours très optimistes, je suis pourtant quelqu’un de très positif. J’essaie toujours de laisser des portes de sortie.

Les Chills sont connus pour leurs changements fréquents de musiciens. Cela a-t-il pesé sur la carrière du groupe, ou au contraire cela lui a-t-il permis de garder une certaine fraîcheur ?

Les deux, sans doute. Beaucoup de musiciens du groupe se sont rapidement rendu compte à quel point il était difficile de faire carrière dans la musique quand on habite en Nouvelle-Zélande. De nombreuses chansons n’ont jamais été terminées car la dynamique du groupe était stoppée net lorsqu’un membre nous quittait. Il fallait alors répéter nos vieux morceaux avec les nouveaux membres, avant de se mettre à en composer d’autres. Le bon côté des choses, c’est que chaque nouvel arrivant apportait un regard neuf sur les compositions. Avec les nouveaux musiciens, les titres de notre back catalogue sonnaient parfois mieux en concert. Mais cette époque me semble lointaine car je travaille avec les mêmes depuis quinze années maintenant. C’est un immense plaisir de pouvoir évoluer avec les mêmes personnes. Nous nous comprenons sans que j’aie besoin de passer des heures à expliquer la direction d’un morceau. Je leur fais entièrement confiance car ils sont de bien meilleurs instrumentistes que moi. Je leur ai laissé une grande liberté pour le nouvel album, c’est un sacré luxe.

Y avait-il une part d’ironie dans le titre de votre compilation “Heavenly Pop Hits”?

Oui, car à la fin des années 80, tout semblait indiquer que le groupe allait avoir du succès. Et pourtant ce n’est jamais arrivé pour plein de raisons différentes. Le titre s’adressait à nos fans : la plupart de ces chansons n’avaient pas vraiment marché, mais pour eux c’était sans doute des “hits pop paradisiaques”. Par ailleurs, je me suis aperçu des années plus tard que j’avais volé cette idée aux Sparks et à leur chanson “Number One Song In Heaven”. Je la connaissais mais je l’avais oubliée. Et je ne sais toujours pas de quoi elle parle vraiment car je n’ai jamais prêté attention aux paroles…

T’est-il arrivé d’écrire une chanson et de te dire qu’elle pourrait devenir un hit ?

Je pensais qu’“Heavenly Pop Hit” avait toutes ses chances. Idem pour “Surrounded” sur l’album “Sunburnt”. Mais je n’étais pas entièrement satisfait de leurs versions studio. Je trouve toujours leurs démos bien meilleures. Ce n’est pas pour autant que je souhaite les réenregistrer. Depuis le début de ma carrière, seuls cinq ou six titres m’ont donné l’impression qu’ils pouvaient déclencher quelque chose. Au début des années 90, Warner, notre maison de disques aux Etats-Unis, a fait un gros nettoyage parmi tous les groupes qui vendaient moins de 100 000 exemplaires de leurs disques. Nous n’en étions pas loin pourtant, mais cela a nui à notre campagne de promotion. L’arrivée du trip-hop, de la Britpop et autres mouvements nous a ensuite fait passer de mode. Mais je ne suis pas du tout amer car nous avons vécu dans les années 80 des moments que je chérirai toujours. Et puis, nous avons commencé à avoir des relations sérieuses et des enfants dans les années 90, ce qui n’était pas forcément compatible avec une carrière dans la musique. Il était temps de passer à autre chose, de devenir adulte.

La musique des Chills a pu se trouver en porte-à-faux avec les tendances musicales du moment, mais elle n’a pas pris une ride !

J’en suis conscient. La raison en est certainement que nous n’avons jamais essayé de sonner comme les groupes de notre époque. Cela rend notre musique difficile à dater. Même “Silver Bullets”, notre dernier album, ne ressemble à rien de ce qui se fait en ce moment. On y retrouve l’esprit des Chills, mais ça ne sonne pas non plus tout à fait comme ce qu’on connaît de nous.

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Après votre période Flying Nun, vous avez signé sur un gros label de l’époque, London Records. Etait-ce agréable d’avoir de plus gros budgets, de pouvoir travailler avec des gens comme Van Dkye Parks, ou au contraire avez-vous subi davantage de pressions ?

J’étais content de vivre cette expérience de l’intérieur, d’avoir enfin les moyens de faire connaître les Chills à davantage de personnes. Nous voulions un entourage plus professionnel, et nous l’avons eu. Il y avait beaucoup de gens impliqués autour du groupe. Nous avions enfin tout ce que Flying Nun ne pouvait nous apporter. Je ne vais pas vous tenir le discours habituel de la mauvaise décision [de signer sur une major] car nous n’avons pas rencontré de gros problèmes avec London Records et Warner. Ils comprenaient notre vision de la musique et comme certains d’entre eux travaillaient avec R.E.M., ils voyaient en nous les prochains R.E.M. Ils nous avaient promis de développer le groupe sur sept albums, mais comme je l’expliquais, ils ont dû faire le ménage au début des années 90 et nous ont virés au bout de deux disques.

Le fait que vous habitiez en Nouvelle-Zélande a également dû peser dans leur décision, car faire tourner le groupe devait coûter une fortune !

Bien sûr, et encore plus maintenant. Nous avons tous des emprunts, des familles à nourrir, il faut que l’argent rentre toutes les semaines. Et faire une tournée d’un mois partagée entre l’Europe et les Etats-Unis demande un investissement de 100 000 dollars australiens (65 000 €) avant de commencer à gagner le moindre centime. Lorsque j’habitais à Los Angeles, tout était plus facile car il n’y avait pas de problèmes de communication avec les organisateurs de tournées. Je me rendais à leur bureau, on travaillait ensemble et on arrivait à organiser de grosses tournées. Maintenant, il m’est impossible de procéder de la sorte en Nouvelle-Zélande.

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Avais-tu le moindre plan de carrière lorsque le groupe a commencé, ou bien vivais-tu au jour le jour ?

Rien n’était calculé. Il y avait une scène post-punk vers 78-79 et j’étais déjà ravi à l’idée d’en faire partie, même si je ne savais jouer que quelques accords. Je n’en demandais pas plus. Quand The Chills s’est formé, au tout début des années 80, tout est allé très vite. John Peel a commencé à passer nos disques, il y avait des demandes de tournées à l’étranger. C’était une période excitante, et relativement insouciante.

Tu as toujours milité pour la cause environnementale, particulièrement pour la sauvegarde des océans. Des textes d’information sur le sujet figuraient même sur la pochette intérieure de “Submarine Bells”. Est-ce lié au fait de vivre entouré par la nature ?

Oui, mais je ne m’en rends compte que maintenant, avec du recul. Quand j’étais gamin, je me disais déjà que les pochettes de disques seraient un bon moyen de diffuser des messages pour Greenpeace ou d’autres associations. Il n’y avait pas internet à l’époque et si j’ai pu sensibiliser quelques personnes, j’en suis plus que satisfait. Sur le nouveau disque, ces thèmes sont encore plus forts. “Underwater Wasteland”, par exemple, traite de l’industrie de la pêche et des ravages causés par les passages illégaux de bateaux coréens et japonais, sans que nous ayons le moindre moyen de l’empêcher. J’éprouve une grande colère envers les politiques, les médias et les grosses sociétés détenus par les puissants qui taisent volontairement tous ces problèmes. Je ne veux pas rendre mes chansons trop politiques, mais les mots me viennent naturellement. J’ai la chance d’être un songwriter, alors autant s’en servir pour véhiculer quelques messages. Je fais attention à trouver le bon équilibre car je ne veux pas non plus assommer mon public avec un excès de revendications. Je sais que ça ne changera pas grand-chose et que quand je ne serai plus là le même cirque continuera, mais bon….

Pourrais-tu nous parler de la genèse de “Silver Bullets”, le nouvel album du groupe ? Avais-tu beaucoup de chansons en réserve ?

Nous avons publié un album live en 2013 grâce à David Teplitzky. Le soir du concert, pour le Nouvel An 2011, il était dans le public et s’était étonné du peu d’intérêt que nous portaient les maisons de disques en Nouvelle-Zélande. Il est entré en contact avec nous car il a créé un label pour promouvoir des groupes locaux et nous a proposé de publier l’enregistrement du concert. Il a ensuite passé un deal avec Fire Records pour la distribution. Tout d’un coup, on nous a proposé d’enregistrer un album studio, le premier depuis “Sunburnt” en 1996. Certains titres trottaient dans ma tête depuis très longtemps mais je m’étais refusé à les enregistrer dans de mauvaises conditions. Un bon tiers des chansons existaient déjà. “Warm Waveform”, par exemple, qu’on peut retrouver sur “Sketch Book : Volume One”, un CD de démos que j’avais publié en 1999. Le reste du disque a été composé sur une période d’un an. J’avais des centaines de textes rédigés au cours des dernières années, que j’ai écartés car je voulais absolument apporter des idées neuves.

Que penses-tu des rééditions du catalogue Flying Nun réalisées par Captured Tracks ? Les Chills vont-ils en faire partie ?

Pour l’instant, nous ne figurons que sur la réédition du EP collectif “Dunedin Double”. Je n’ai pas eu grand-chose à voir avec cette réédition car c’est Flying Nun qui a tout géré. Les gens de Captured Tracks semblent avoir fait du bon boulot. Ils vont ressortir “Kaleidoscope World” l’année prochaine en double 33-tours. Le vinyle original ne comportait que huit morceaux, et la version CD dix-huit. Là, il devrait y avoir de la place pour quelques titres supplémentaires. J’en ai souvent parlé, mais j’adorerais aussi remixer l’album “Brave Words”. Nous avions dû travailler très vite à l’époque, et je pense que les masters étaient supérieurs au résultat final. Je ne renie pas le son du disque, qui est représentatif du groupe à l’époque, mais je sais qu’il pourrait être largement meilleur. Je suis en train d’en parler avec l’équipe de Captured Tracks en ce moment. J’espère que le projet se concrétisera.

Arrive-t-il qu’un jeune musicien vienne à ta rencontre et te dise que les Chills ont été une grande influence pour lui ?

Oui, parfois, et c’est toujours un honneur d’entendre des groupes importants nous citer comme référence. Je me fais peut-être des idées, mais il m’arrive de penser que certains nous ont emprunté deux ou trois trucs. A contrario, la plupart des groupes de Dunedin n’ont jamais entendu parler de nous… Ma plus grande fierté, c’est qu’au bout de trente-cinq ans nous avons toujours un bon noyau de fans à travers le monde. Des gens qui s’intéressent vraiment à la musique et qui chérissent nos disques. J’espère vraiment que “Silver Bullets” marque le début d’une nouvelle carrière et que nous allons enregistrer d’autres albums. Car faire de la musique, c’est la chose au monde que j’aime le plus.

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