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Thierry Müller – Interview

THIERRY MÜLLER

Artiste discret et secret, qui compte parmi ses fans des gens comme Edward K. Spel des Legendary Pink Dots ou Lee Ranaldo de Sonic Youth (on ne va pas s’étendre sur le sujet car l’homme est également modeste), Thierry Müller nous a accordé une longue interview où sont évoquées ses multiples incarnations musicales : Ilitch, Crash, Ruth (mais si ! le fameux "Polaroïd Roman photo" qui illumine toutes les compilations eighties françaises sorties ces dernières années et que même agnès b. a passé dans ses boutiques !). Retour sur le parcours, plutôt hors norme dans le paysage musical français, d’un artiste qui n’a pas volé, loin de là, son statut de musicien culte.

Thierry Müller, par Julien Bourgeois

Ton premier véritable projet, c’est Ilitch avec l’album "Periodik Mind Troubles" constitué de longs morceaux, plutôt sombres, pour synthés et guitares. Déjà, on sent un univers particulier à l’identité très forte. C’était quoi, le concept de base ? Rien que le nom, déjà, c’est plutôt mystérieux!
J’avais fait des choses avant, que ce soit seul ou avec des amis des Arts appliqués, et puis à un moment j’ai voulu lancer mon propre projet avec cet album que j’ai conçu comme une sorte de musique de film. J’ai toujours aimé le rapport entre musique et images, qu’elles soient réelles ou imaginaires. De toute façon, je n’ai jamais su faire de la musique pour faire de la musique ; c’est sorti de mes états d’âme comme le titre de l’album l’indique. A cette époque, j’avais aussi sorti les "Ballades urbaines" (non publiées à l’époque mais rééditées depuis) qui est tout aussi gai (rires) et cinématographique. A part avec Ruth et l’album "Polaroïd Roman photo", et encore je ne suis pas sûr que ce soit un disque vraiment gai, je n’ai jamais été un grand hilare (rires), ce n’est pas ma qualité première ! Je peux l’être, mais pas en musique.

"Periodik Mind Troubles" semble être un album improvisé.
En effet, "Periodik Mind Troubles" était issu de sessions improvisées.

Ça rappelle un peu les disques de Fripp et Eno ou d’Heldon. C’étaient des influences pour toi ?
C’est sûr, j’étais très branché guitares avec de longues notes tenues, donc à l’époque, ça a été ramené à ces musiciens. Il n’y avait pas qu’eux et à la limite, ce n’est pas eux que je citerais comme influence majeure. Bien sûr, c’était ma culture musicale mais il y avait aussi les premiers Philip Glass, Cecil Taylor. C’est une sorte de mélange de tout ça qui m’a inspiré pour le disque.

Tu changes de cap avec l’album "10 Suicides", du moins dans la forme car c’est un album plus structuré, plus écrit, avec des formats plus courts, mais ça ne respire toujours pas la joie !
C’est vrai, mais il y a quand même de l’espoir dans ce disque (rires) ! En fait, à part sur "Elle voulait que je sois drôle", qui est un morceau au format chanson et le seul titre véritablement écrit, le reste du disque est aussi issu d’improvisations enregistrées sur un magnéto 4-pistes, comme c’était souvent le cas à l’époque, qui ont ensuite été coupées, plus ou moins retravaillées à l’aide de filtres ou de pédales d’effets.

Sur ces deux albums ou sur les morceaux d’Ilitch qu’on peut trouver sur la compilation d’inédits "Rare and Unreleased 1974-84", on a bien du mal à situer tes influences musicales.
Ma culture musicale de l’époque allait de la variété de qualité à la musique contemporaine en passant par des groupes de rock comme Pink Floyd. Mes amis des Arts appliqués avec qui j’ai commencé ont apporté leurs influences qui, elles, allaient du jazz aux bidouilles électroniques, etc. Quand on a débuté, on ne s’est pas dit qu’on allait aller dans un style particulier, on était entre tout ça.

Comment ta musique était-elle perçue ? A la lecture des chroniques dans "Rock and Folk" ou "Libération" à l’époque de la sortie des deux premiers albums d’Ilitch, on constate que les journalistes insistaient sur le côté solitaire, autarcique de ta démarche. C’était quelque chose que tu souhaitais susciter ?
Pas du tout ! Ce qui est sûr, c’est que je n’ai jamais été un grand opportuniste ni un grand communicateur. J’aurais peut-être dû, ça m’aurait permis de vendre un peu plus de disques et de faire plus de choses. D’autant qu’à l’époque il était possible, même pour un mec comme moi, d’envoyer des enregistrements directement aux maisons de disques, chose impossible aujourd’hui. Mais bon, j’étais comme ça !

Sur ces deux disques est créditée une certaine Ruth M. Ellyerie, qui est un anagramme de Thierry Müller. C’était qui, ce mystérieux personnage ?
C’était l’autre ! (rires). C’était un jeu pour exprimer une autre partie de moi, plus extravertie, plus pop et plus féminine. Je m’étais créé plusieurs anagrammes comme ça à l’époque, je n’ai utilisé que celui-ci qui représentait bien le côté de ma personnalité que je voulais exprimer. Peut-être qu’un jour j’aurai l’occasion d’utiliser les autres. Ce qui est marrant, c’est que ça a vraiment pris. Quand "Polaroïd Roman photo" a été réédité, de nombreuses personnes ont vraiment cru à son existence ! J’avais beaucoup joué avec ce personnage, l’album lui est dédié et dans les photos qui illustrent le livret, on voit Frédérique Lapierre, qui chante et a écrit pour le disque, qui se cache derrière un masque faisant croire à sa présence.

D’ailleurs, comment as-tu fait pour passer de l’univers angoissant et sombre d’Ilitch à celui plus pop de Ruth ?
J’avais envie de faire un tube ! A l’époque, j’adorais l’album de France Gall où il y avait la chanson "Si maman si". D’ailleurs, je faisais un peu de provocation auprès de mes amis musiciens car je le passais en fait plus que je ne l’aimais vraiment ! Et puis, j’avais envie de changer, de faire un truc qui danse, très différent des deux disques d’Ilitch. J’ai branché une petite horloge sur l’orgue en guise de séquenceur, j’avais un petit synthé-guitare Korg que je rentrais dans l’orgue, et puis c’est parti comme ça.

Tu étais influencé par la mouvance des "Jeunes gens modernes" ?
Non, car j’ai commencé Ruth juste après "10 Suicides" qui n’était pas encore sorti à l’époque, c’était donc au tout début des années 80.

Ce qui est fou quand on écoute l’album aujourd’hui, c’est qu’il n’ait pas fait un carton à l’époque !
C’est le moins qu’on puisse dire ! Ça a été assez long avant qu’il ne sorte car je m’étais mis en tête d’aller voir les majors. Logique, car si tu veux faire un tube, il faut forcément aller voir les majors ! (rires) Je les ai quasiment toutes faites et je me suis fait jeter à chaque fois ! Il n’y a que chez RCA que j’ai trouvé quelqu’un d’intéressé. C’était Francis Fottorino qui avait signé Kas Product, mais quand c’est arrivé au niveau du grand patron c’était terminé ! Ensuite, un ami a essayé de m’introduire chez Virgin mais sans résultat. C’est finalement sorti en 1985 sur Paris Album, un tout petit label. Il a été vendu à la Fnac quelque temps…

Cet épisode ne t’a pas rendu amer ? D’autant qu’il y a eu un engouement récent pour ce disque.
Amer, non, mais ça m’a quand même bien écœuré. On avait accompli un gros travail pour ce disque que j’aimais beaucoup, j’y croyais vraiment. Sans me jeter des fleurs, c’est un disque que je trouve bon, donc oui, ça m’a bien écoeuré.

Ces dernières années il y a eu pas mal de compiles eighties ("Bippp", "So Young But So Cold" …) sur lesquelles figure le titre "Polaroïd Roman Photo". Il a quelque chose d’encore très moderne dans le son et la production, très différent des groupes français de l’époque. Le contraste avec les autres formations présentes sur ces compilations est vraiment saisissant.
Je n’étais pas du tout dans le son des époques où je faisais mes disques. Déjà, au moment de "Periodik Mind Trouble" ou de "10 Suicides", même si on a pu rapprocher ces disques de Fripp et Eno pour le côté minimaliste ou de Throbbing Gristle pour les bidouilles électroniques – et franchement, j’accepte la comparaison ! -, j’essayais de faire quelque chose d’un peu à part. C’est peut-être pour cela que ces disques sont toujours appréciés aujourd’hui. Quand "Polaroid Roman Photo" est sorti, la mode était aux boîtes à rythmes Korg au son sec, "tchic tchic poum", que je n’ai jamais supporté. C’est ce qui fait qu’il ne sonne pas vraiment années 80.

En outre, ce titre détonne avec son côté ludique à l’opposé des poses austères des productions new wave françaises de l’époque.
C’est vrai, je voulais un truc sautillant et joyeux même si la fille (Frédérique Lapierre, ndlr) chante des choses très cruelles par moments !

One comment
  1. Born Bad réédite Ruth, génial artiste méconnu de new wave française

    […] À ce moment, Müller a déjà une bonne expéri­ence. Pas­sion­né de musique con­tem­po­raine et expéri­men­tale depuis son enfance, il monte son pre­mier groupe Arcane en 1977, en par­al­lèle de ses études d’Art Appliqué. Très expéri­men­tal, le groupe ne dure pas, et le musi­cien se lance en solo sous le nom Ilitch. Un pre­mier album en 1978 (sous influ­ence de Philip Glass ou Robert Fripp) le fait con­naître d’un cer­tain cer­cle expéri­men­tal. Il s’installe à Rouen, avec son ami Philippe Doy­er. Si la musique qu’ils pro­duisent sous le nom de Crash con­voque plutôt Cabaret Voltaire ou This Heat, Müller a envie de faire un disque pop. C’est là qu’il imag­ine son alter ego : Ruth M. Elly­eri (un sim­ple ana­gramme de son nom). « C’était un jeu pour exprimer une autre par­tie de moi, plus extraver­tie, plus pop et plus fémi­nine » expliquait-t-il en 2009 au site Pop­news. […]

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