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Track by track – “oh do we” de Manuel Bienvenu

Depuis “Elephant Home” il y a vingt ans, Manuel Bienvenu livre à son rythme – en s’entourant de brillants musiciens et en changeant à chaque fois de (micro)label – des albums d’une “pop jazz” aérienne et sophistiquée, chantée essentiellement en anglais. Sa musique résolument à part dans le paysage actuel reste un secret bien gardé qui ne demande qu’à être partagé. Arrivant cinq ans après “Glo”, “oh do we” (Microcultures/Kuroneko), paru en mars dernier, décline en neuf nouveaux titres un univers à la fois singulier et accessible, toujours d’une grande richesse harmonique et mélodique. Leur auteur nous en fait faire le tour, avec force anecdotes et références à d’autres (excellents) groupes et musiciens entre ses deux pays, la France et le Japon.


“Combini” s’intitule ainsi pour une raison assez bête mais précise. Je n’ai pas l’intention de la dévoiler (ça n’apporte pas grand chose), mais si quelqu’un la trouve (c’est possible à la simple écoute, mais pas facile) et me la communique, je m’engage à lui offrir le disque (vinyl ou CD ou les deux). Je crois bien n’en avoir parlé à absolument personne à ce jour.

Ce sera tout pour ce premier morceau de l’album puisqu’il s’accompagne déjà d’un petite texte sous la vidéo (« Il n’y a qu’un seul combini au Japon et environ cinquante mille portes pour y entrer… », etc.)


“Minortom” s’intitule “Minortom” pour une raison assez bête aussi. D’abord, j’avais voulu accumuler un maximum d’accords mineurs à la suite sans déraper dans ce que ça évoque habituellement (mélancolie, étrangeté, ambiance cosmique, outre-monde). C’était ma piste pour le composer. Puis le texte, venu plus tard, s’est retrouvé à parler de l’espace. Il est inspiré du témoignage de William Shatner [acteur canadien notamment connu pour son rôle du Capitaine Kirk dans “Star Trek”, NDLR]. Après un bref vol dans l’espace en hommage à sa carrière, il est retourné sur terre en larmes, l’un des hommes les plus âgés (LE plus âgé ?) à être allé dans l’espace. Séquence émotion bien orchestrée. Sauf que ses larmes étaient des larmes de terreur. Il avait pris conscience d’un coup, en la voyant au milieu de rien, de l’extrême fragilité de la planète. C’est un choc connu des spationautes. Dans cette anecdote, la fiction américaine triomphante et conquérante reçoit une sorte d’uppercut. Une faille authentique s’ouvre, d’autant que non voulue par une contre-culture. Le jeu de mots sur la chanson de Bowie devenait un peu incontournable, d’autant que son Major Tom se perd aussi métaphoriquement dans l’espace après s’être injecté une overdose de fiction.

Ensuite, je me suis rendu compte d’un autre lien involontaire. J’ai rencontré Tomoko Yoshino qui joue sur “Minortom” (marimba et vibraphone), il y a un peu plus de vingt ans, d’une étrange façon. J’étais installé au Japon depuis une ou deux semaines, et je n’avais en poche que mon premier album, tout juste mixé et sorti sur aucun label. C’était à Tokyo. J’avais avec moi des copies CD-R et l’espoir de rencontrer des musiciens, voire un label (ce qui s’est passé finalement). En passant devant une maison, j’ai entendu un marimba, à l’étage. J’ai laissé dans la boîte aux lettres un CD-R et un mot en anglais avec mon adresse e-mail. Je n’ai pas eu de réponse.

Dix ans plus tard, j’ai reçu un message de Tomoko. Elle avait retrouvé mon CD-R dans un tiroir. Elle me demandait des nouvelles, et puis qui j’étais. Elle avait alors vingt-trois ans et commençait à travailler comme musicienne professionnelle. A l’époque où j’avais déposé le disque, elle en avait treize, pas d’adresse e-mail et encore moins l’autorisation d’en envoyer. Donc elle était encore mineure, et “Tom” est un diminutif usuel pour son prénom. En y repensant, je me suis mis à trouver le titre “Minor Tom” bizarre, tordu comme si je romantisais un fantasme sur l’adolescente que je n’avais pas rencontrée. Je lui ai demandé son avis. Elle m’a dit qu’elle trouvait le titre très bien, qu’effectivement j’étais un peu tordu d’avoir un tel scrupule.


Le groupe de Washington Beauty Pill est remercié dans l’album parce qu’en travaillant sur “Summer Rains”, je me suis soudain trouvé pris par l’obsession d’évoquer leur merveilleux “Goodnight for Real”. Ce genre d’idée absurde ne mène en général à rien de bon, mais il est difficile de s’en défaire. D’autant que le lien entre “Summer Rains” et “Goodnight for Real” n’existe que dans mon cerveau. De la même façon, j’ai toujours la ferme intention en commençant un nouveau morceau de tout simplement faire (enfin) un plagiat de Pinback, et puis les choses évoluent toujours de la même façon, je réalise que Pinback qui semble si intelligible pourtant est « implagiable », surtout par moi, et que de toute façon je suis en train de partir dans une toute autre direction.


Il y a ma nièce Louise, dix-huit ans, qui chante quelques mots, j’en suis très fier. Et aussi Fred Cortial, qui double ma voix de façon subliminale comme sur “Tango on the Sidewalk”, le premier morceau de mon premier album, il y a vingt ans. Ce morceau, “Dissipation”, n’est pas exempt de sentimentalisme, c’est sûr.


Un peu avant 2010, les bars parisiens qui avaient une arrière-salle ou une cave se sont équipés de sonos rustiques et se sont proclamés pour un temps salle de concert. Un groupe extraordinaire écumait ces salles : les Binoculars. “Here Comes” était leur hymne, séduisant et addictif pour moi, au moins autant que “Real Cool Time” par les Feelies [une reprise des Stooges, NDLR]. Puis le bassiste, Dan, a disparu, et le groupe s’est dissous. Dan avait un jeu de basse unique et élastique. Pour ne pas être tenté de le copier maladroitement, j’ai ajouté une partie des motifs de guitare dans la ligne de basse, comme quand on chante de mémoire un morceau à plusieurs voix et que tout s’agrège comme ça peut. Car cette reprise est avant tout un écho et un hommage.


“Dark Polychrome”, dans ma tête, n’avait rien à voir avec ce qu’il est devenu. Je ne sais plus comment peu à peu on en est arrivés là, mais tant mieux car c’est plus riche que ce dont mon imagination est capable. Comme pour tout le reste du disque, merci encore infiniment aux extraordinaires musicien.ne.s qui m’offrent leurs énergies et transfigurent des idées qui autrement ne serait pas allées bien loin.


“Nureta Bara” a aussi son paragraphe de présentation sous la vidéo, et je reçois régulièrement des remontrances de la part de ma fille qui trouve que ma traduction [du japonais au français] de son titre est complètement nulle. Pour elle, c’est (et ça a toujours été) “Rose rincée” et je ne sais pas ce qui m’a pris de ne pas l’écouter et de traduire par ”Rose détrempée” que je croyais plus passe partout. Quel idiot !


C’est le meilleur morceau de l’album mais ça n’engage que moi. Ça parle des abeilles. Ces petits cochons volants survitaminés piquent le boulot des pollinisateurs locaux, et le tout est vu à travers le regard désolé d’un Amérindien qui sait qu’elles annoncent aussi sa disparition. Ne pas me lancer sur ce sujet délicat si j’ai quelques verres dans le nez.


Si j’avais pu le faire chanter par Dua Lipa par exemple, “Sun Quiet” se serait peut-être retrouvé quelques places plus tôt dans la tracklist de l’album. Il est un cas de morceau qui n’a pas trouvé 100 % de son énergie ou de sa formulation alors qu’il était prometteur pendant toute la création du disque. Hop, en fin de tracklist. Et ça permet de finir l’album sur un hommage à Laurent Boutonnat, moins élégant qu’un hommage à John Fahey ou Arthur Russell, mais un album est une aventure dont on ne contrôle pas toutes les péripéties.

Ah… et c’est le moment de signaler que sur le CD il y a un morceau numéro 10, un morceau caché (pardon aux personnes qui ont choisi le vinyl :/).



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