Belote, rebelote et dix de der. Ellah A. Thaun rafle la mise une fois de plus avec son gloubiboulga métalo-pop à la sauce bruitiste proprement inouïe. Les graines du futur sont fécondes et la récolte de merveilles, après “Arcane Majeur Deux” (2022), continue. Pour une fois que le présent nous réjouit…
Et revoilà Ellah A. Thaun, groupe monstrueux, à la croisée de tout ce que l’on aime, de la pop à l’expérimental en passant par le métal, puisant dans le passé tout en s’inscrivant dans un présent irréel, en tout cas unique. Disons-le sans crainte, Ellah A Thaun n’a pas d’équivalent dans le rock de France et devrait prendre sa place auprès des plus grands, si son destin était états-unien plutôt que… rouennais. C’est donc avec beaucoup de joie mais aussi un peu d’amertume que l’on se plonge dans ce magma sensuel de la musique chercheuse et populaire pour y retrouver tout ce que l’on aime et n’attendait pas de voir réuni.
On avait déjà apprécié et décrit par le menu, pour l’album précédent “Arcane Majeur Deux”, cette conjonction des astres musicaux rouennais cousus par le Dr Frankenstein Nathanaëlle/Ellah A. Thaun. On aurait pu croire la formule épuisée mais le fluide est bien là, une fois encore, et nous impose de chercher des pistes pour élucider les raisons de notre bonheur, malheur d’un esprit trop critique, alors que la joie de l’écoute n’a pas besoin des raisons de la tête. Creusons donc dans notre géographie personnelle.
Tout commence avec Time. Again. Allergic., une alliance pop et métal presque Weezer, la mélancolie rageuse des premiers albums rock de Radiohead mais avec une lourdeur accentuée, une odeur garage, un air (hurlé) de screamo et des petites magouilles de production dans les détails de samples pour amuser la galerie, voire salir le propos strictement musical, ou l’enrichir, c’est selon…
Avec 1999, single fabuleux, c’est la mélodie tubesque, nirvanesque qui prend le dessus mais on est happé par le grondement sourd et les samples qui surnagent dans la tempête. Ella se fait un peu Perry Farrell de Jane’s Addiction, dont on a ressorti les disques pour l’occasion, pour comparer et pour le plaisir. Et si le plaisir émanant de “The Seminal Record of Ellah A. Thaun” était purement nostalgique ? Avec la formule secrête et tarabiscotée qui permet de retrouver la joie et l’énergie de l’adolescence qu’Ella A. Thaun semble avoir captées, pour toujours, et infuse à l’envie dans ses enregistrements. Contrairement à Jane’s Addiction, qui nous semble bien minimal devant le déluge sonore de Ella A. Thaun, on est ici dans une épaisseur lourde et serpentante.
Et puis – qui aurait pu le prévoir ? –, cette guitare twang qui conclut presque, avant une ultime montée de brouillard mauve épais.
Sur UFO’s Sky Alphabet, c’est la touche de claviers qui fait tourner la sauce pimentée vers Smashing Pumpkins ou Echo and the Bunnymen, suivant le penchant maladif ou l’âge de chacun.
Bonfire Rehearsal se fait screamo sur toms basses, un peu Nine Inch Nails des débuts dans l’idée mais ici plus organique, moins clinique. Et toujours des bizarreries de production finales qui viennent donner de l’épaisseur et de la profondeur.
The Dollhouse pourrait être un carrousel gentillet, Beatles ou Pink Floyd sous acide, mais se révèle très étrange dans les percussions lointaines (sans compter les traficotages).
Sur la face B, Tératome (quelle monstruosité !) se la joue cold wave et matraquage avec, surtout, des éclats suraigus finaux, comme une perceuse à la pointe de diamant. Quelle composition mosaïste ! C’est de la noise, c’est de la sculpture à la roulette dentaire.
Toujours au rayon cocktail, Copelandia est une batucada de toms basses sur surf rock alors que The Thing Inside est forgé dans le métal le plus pur (production batterie, surtout cymbales) virant à la divagation vocale sur le dernier tiers, avec un gros travail de grisaille à la guitare. Art brut, art sonore sans rien lâcher sur la pop.
Enfin When I Was a Vampire est encore presque new wave, suivant les traces d’Echo and The Bunnymen, et Suburban Steel Fuck the Girl donne dans la heavy pop pour terminer le voyage.
L’opération décorticage est finie, et pourtant le mystère reste entier et tient à la fois dans la pâte visqueuse et mouvante ainsi que dans l’énergie de ces membres distincts, maîtres de leur art, œuvrant de concert sans rien renier de leur individualité.
Dans un monde idéal, Pitchfork leur mettrait une note absurde, 9.8, encore une fois, et Ella A Thaun serait le plus grand groupe du monde, Coachella et chais pas quoi.
Hors de question pour autant d’ajouter Ellah A. Thaun à la liste des losers magnifiques que l’on aime tant chérir. Ils sont au-dessus de tout cela et l’avenir le prouvera.
Avec Johanna D., tératome sweet home.
“The Seminal Record of Ellah A. Thaun” est sorti en LP, K7 et numérique le 16 mai 2025.