Décidément, Vincent Bestaven sait être déroutant. En fin d’année dernière, il nous a enchantés avec un disque en français, avec plein de belles chansons pop toujours aussi séduisantes quelques mois après. Le revoilà avec un disque de piano, qu’il définit comme « le pendant nocturne » de ce “Géant quotidien”, et ces plages de piano instrumentales n’ont pas besoin de mots pour convaincre. Inspiré par quelques figures tutélaires qu’il évoque dans ce track by track, le songwriter fait surtout preuve d’un talent singulier, pour 10 titres qui accompagneront en effet idéalement une veillée sereine.
Chaque pièce baigne dans une grande douceur, avec parfois quelques cordes qui s’ajoutent au piano central, sans jamais se départir d’une belle sobriété, si ce n’est sur l’introductif “Tous les ponts” mené tambour battant et le flamboyant “Link, tu es mon seul espoir” qui referme ce disque. Entre ces deux titres, de la sérénité (“Bush”, “Surnom” et sa douce ascension) et même un peu de mystère (“Sacres”), et une cohérence d’ensemble qui témoigne d’un talent certain d’écriture, sous une forme qu’on ne connaissait pas à Vincent Bestaven. Il nous en dit un peu plus sur chacun de ces titres !
Tous les ponts
J’avais envie de réaliser un morceau basé sur la répétition et l’altération d’un motif, de retourner à mes premières expériences de home studio avec des superpositions de couches. Comme quand j’utilisais un looper, mais cette fois avec un piano. C’est physiquement un peu lourd à tenir sur la durée, ça s’entend sur certains passages mais ça crée des décalages étranges, qui m’ont plu. Un bébé polyrythmie que j’ai créé et qui s’éloigne en boitant de plus en plus, sa démarche chaotique rendant à mon goût l’ensemble plus intéressant et tendu.
C’est un morceau relié à une image précise : j’avais en tête un enchevêtrement de routes et de ponts vu du dessus, avec des voitures qui déclenchent les notes en passant aléatoirement au rythme du trafic, un genre de pool citadin. Les cordes amènent à la fois tension et mélodie à cet ensemble de ferraille effréné et de béton fissuré; dans un accompagnement plus narratif.
Sacres
Évidemment, on va chercher des choses du côté de Satie et Debussy. Et c’est valable pour pas mal d’autres morceaux, c’est donc la dernière fois que je le dirai ! Là on touche au cérémoniel, pour accompagner un rite païen dans une clairière gelée au solstice d’hiver. Les robes sont longues, les cœurs sont froids, les pupilles sont rondes, mort est le roi.
Rien à cirer
J’aime le côté un peu ringard de cette expression. C’est un morceau en trois parties : le premier thème reprend la couleur du morceau précédent puis le twiste jusqu’à arriver à la deuxième partie qui donne le nom au morceau, ou la même série est répétée assez longtemps, jusqu’à ce qu’on s’y perde, jusqu’à qu’on en ai plus rien à cirer. C’était mon sentiment en l’enregistrant, je l’ai répétée pas mal de fois, sans le souci de me dire : c’est trop, comme un mantra. Une fois que les nappes glaciales en fond sont retombées sur leurs pattes on se libère dans la troisième partie, avec une phrase semi-improvisée qui contraste avec l’aspect mécanique d’avant.
Glissière
J’ai longtemps été fasciné par la glisse, et j’ai voulu retranscrire ce plaisir simple qui, du toboggan aux vagues, abandonne l’être au profit de l’instant, quand tout est au ralenti et que la mine est extatique.
Bush
J’avais en tête un paysage décharné au crépuscule, sec, poussiéreux, avec un lampadaire qui clignote en fond et une vieille terrasse en bois qui craque. Au loin devant, il y a une ligne haute tension, derrière une route avec de rares passages. Dedans il fait frais, il y a des doubles cabines de marque australienne au frigo. On en boit toujours une dernière, qui vient s’empiler sur le tas de canettes déjà posées. C’est ce mouvement qui représente le dernier motif qu’on entend dans le morceau (chaque fois qu’il est repris, une note est ajoutée, jusqu’à plus soif).
Surnom
J’aime les surnoms car ils témoignent du nom qui nous tombe dessus au hasard des liens et de la vie. Parfois on le choisit, parfois non, c’est toujours une dénomination qui appartient à un temps, des gens et un lieu. On le perd quand on s’en va loin, on le retrouve en même temps que les personnes qui y sont liées. Un surnom nous libère pour nous enfermer aussitôt. Ce morceau, c’est un peu le voyage dans cet aller-retour perpétuel.
Galéjades
C’est un hommage aux histoires, à celles qui sont drôles, à celles dont on ne sait si elles sont vraies, à celles qu’on a le plaisir d’écouter ou de raconter et qui se suffisent à elles-mêmes.
Trop de tribord
C’est vraiment une référence à la politique de notre pays depuis quelques décennies. Maintenant qu’on finit par tourner en rond et que c’est bien mortifère, on peut virer à bâbord pour un bon moment je crois.
Pas une heure pour les souvenirs
J’ai fait un EP sur Bandcamp il y a quelque temps qui s’appelle “Que ça reste une fête”. C’était souvent la dernière phrase de ma mère quand je passais le pas de la porte familiale pour la soirée ou la nuit. Dans cet EP, il y a une chanson qui s’appelle “Glouglou ouin ouin” une référence au très sérieux syndrome de la cuite pleureuse que nous connaissons toustes. Certaines heures ne sont pas propices au souvenir, ces deux chansons sont sœurs et le reprennent en chœur.
Link, tu es mon seul espoir
C’est une fresque épique dédiée à mon fils et à ces moments passés à jouer à Zelda pendant le confinement.
“Piano piano” est sorti le 27 juin sur le label Les Disques du paradis.
Merci à Vincent Bestaven et Adrien Durand.