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Disques

Jessica93 – 666 tours de périph’

Le retour de Jessica93 nous tombe dessus comme une chape de plomb ou une bière tiède bue sous la pluie en remontant le boulevard des Maréchaux après une zumba de l’enfer.

C’est un étrange souvenir que l’on garde de Jessica93. A Rock en Seine, seul sur une scène manifestement trop grande pour lui, Geoffroy Laporte alternait guitare et basse saturées sur une boîte à rythmes épaisse, enchaînant des morceaux dont l’ambiance générale dénotait parfaitement avec le cirque mercantile de ce genre de festivals. On se rappellera plutôt le premier concert que l’on a vu de lui, à l’Espace B où des gouttes de condensation commençaient à se former au plafond. On écoutait avec joie ce punk pour fin du monde, joué de préférences avec les cheveux longs qui collent au visage.

Entre ces deux moments, cinq années se sont écoulées, émaillées de trois albums. “Who Cares“ nous aura marqué à vie avec “Away“, son morceau de bravoure inaugural dont le riff fiévreux et grunge restera à jamais gravé dans nos mémoires. Plus poli, “Rise“ avait donné un tube à Jessica93 avec l’immense “Asylum“ dont on rêve secrètement d’une reprise par Robert Smith. Enfin, “Guilty Species“ prenait des inflexions plus métalliques, voire indus, sans pour autant trop s’éloigner des intentions punk initiales. Et puis on n’avait plus rien entendu de Geoffroy Laporte pendant huit ans, jusqu’à ce “666 tours de périph“ enregistré avec l’aide précieuse d’Arthur alias JC Satan. Signe du temps qui passe, l’album sort aujourd’hui chez Born Bad Records.

Boîtes à rythmes qui vous écrasent les tympans au marteau-pilon, lignes de basse dont les saturations évoquent un rouleau compresseur aplatissant toutes les fréquences profondes, guitares distordues comme jamais, tour à tour rock 90’s, cold wave et noise, voix noyées sous une couche de réverbération : on retrouve la musique de Jessica93 telle qu’on l’a toujours entendue et aimée. “Le Grand Remplacement“ et “L’Empire n’a jamais pris fin“ sonnent comme de gigantesques monolithes bruitistes qui emportent tout avec la violence d’un bourre-pif mal placé, et c’est suffisamment beau pour être souligné. Seul un élément change, et non des moindres : cette fois, Geoffroy Laporte chante l’intégralité de ces morceaux en français, et les textes sont à peu près intelligibles, sa voix étant moins noyée dans le mix que d’habitude.

Que ce soit pour imaginer une déclaration d’amour poignante entre toxicos (“La Colline du crack“) ou rendre un hommage à Julia Judet alias Missfist, décédée en 2017, avec qui il devait initialement enregistrer en duo “Bébé Requin“, Jessica93 dessine un monde aussi cauchemardesque qu’un trajet dans une vieille rame de RER au fin fond de la banlieue nord, aussi vide de sens que les tours nocturnes sur le périphérique du personnage du “Petit Bleu de la côte Ouest” de Manchette. Et si “Florence Rey“, du nom de la jeune femme dont l’équipée meurtrière dans et autour de Paris avec son compagnon Audry Maupin en 1994 avait fortement marqué les esprits, paraphrase Steve Albini sur le premier album de Big Black (“the only good policeman is a dead one“), c’est avant tout chez Booba, qui l’évoquait déjà sur “Temps mort“, qu’il faut aller chercher la claque assassine. Ayant vécu en Seine Saint-Denis, les premiers amours musicaux de Geoffroy Laporte furent le rap avant le rock. Il en reste quelque chose dans la musique de Jessica93, peut-être pas stylistiquement mais dans l’esprit, cette volonté de frapper fort et d’être un témoignage de son époque sans trop se soucier d’être aimable. Voici le chef-d’œuvre que l’on attendait pour survivre au milieu des ruines de notre propre existence.

(Avec V.A.)

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