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Disques

Ensemble In(dé)fini – Soufflements cardinaux

Hervé Boghossian constitue un collectif varié autour de pratiques musicales obliques et ouvre un nouveau champ dans la musique populaire alternative.

Hervé Boghossian aime les rencontres musicales et a un goût très sûr pour apprécier les singularités (je ne compte plus les tentatives pour le débaucher et le pousser à écrire…). En cela, ce nouveau projet multiforme, cette formation à géométrie variable qu’est l’Ensemble In(dé)fini, amené à se reconfigurer et à proposer des explorations collectives différentes est une excellente nouvelle.

“Soufflements cardinaux” est donc l’incarnation musicale de la rencontre entre différentes figures de la scène improvisation/musique contemporaine/alternative/etc. réunies par le directeur musical Hervé Boghossian, quasi commissaire d’exposition mettant la main à la pâte.

On retrouvera, excusez du peu, à la guitare électrique microtonale, Owen Gardner de House Lords (dont on a peu parlé sur POPnews mais dont tous les albums sont un merveilleux croisement entre musique contemporaine, populaire et improvisée), Merve Salgar au tanbur (ayant joué notamment avec l’Orpheus XXI de Jordi Savall), Felix Chaillou-Delecourt, à la vielle à roue et orgue d’église (membre de Dreieck comme Merve Salgar) et bien sûr Hervé Boghossian, infatigable explorateur des possibilités sonores de la guitare.

“Soufflements cardinaux” est le fruit des concerts et résidences entre le festival marseillais JEST (Jamais D’Eux Sans Toi) de l’AMI (Aides aux Musiques Innovatrices) et le GMEA (Groupe de Musiques Electro Acoustiques) d’Albi, sorti sur le label de ce dernier, Montagne Noire.

Et c’est effectivement une randonnée sur des crêtes extrêmes, un arpentage des possibilités musicales d’instruments pratiqués en dehors des sentiers battus, avec, bien sûr, une écoute et un sens du jeu collectif. Comme souvent dans les pièces d’Hervé Boghossian, on retrouve une attention à la couleur, aux vibrations, bien loin d’un chaos attendu et prévisible dans ce genre de rencontre.

Essai de compte-rendu d’écoute.

Face A

Le disque ouvre par des larsens divers, des éclats de cordes, des brillances de percussions et c’est d’emblée un arc-en-ciel de couleurs, de vibrations. De profondeur aussi.

Et puis une mélodie de guitare, presque africanisante, fait basculer la pièce vers quelque chose de plus organique, presque pop. Dans le sens de Gastr Del Sol, s’entend…

En tout cas, de la lumière et une base nouvelle, avec des vibrations inattendues qui donnent de la 3D à la nouvelle tournure.

Surviennent alors des percussions lointaines, très métalliques, hors cadre, hors habitudes pour des sonorités moins concrètes qu’inhabituelles, proches des cordes non plus frottées mais martelées.

Puis des vibrations, lourdes, graves, souterraines avant que ne s’échappent d’autres, plus légères, en tout cas lumineuses. Comme un ensemble coloré de possibles. La musique d’Hervé Boghossian est, il est vrai, toujours magnifiquement colorée.

Et encore un retour vers la (ou les) guitare(s) aussi bien comme possibilité mélodique qu’échantillon de textures, avec de très belles résonances, des effets d’écho (sans doute à l’orgue), des irisations qui pétillent et s’exhalent. Un véritable bouquet final.

Face B

Sur la face B, des riffs s’invitent, plus percussifs que mélodiques (cf. le disque « Mouvements » d’Hervé Boghossian pour Raster Noton en 2004) mais jouant, comme toujours, sur les échos, le feedback, avec d’autres créations sonores qui surgissent en plus, connues et maîtrisables mais devant être apprivoisées dans l’instant. Sauf qu’ici, c’est un ensemble, et non plus Hervé Boghossian seul maître à bord, d’où des possibilités de jeu nouvelles et des échappées belles de chaque participant.

Après une brève accalmie, on bascule dans une atmosphère remontée d’Europe centrale ou méditerranéenne, toujours sur la piste des musiques vraiment populaires (pas populistes) dans leur champ large.

Des percussions nous font virer vers l’Asie, pour un théâtre sonore nouveau, avec toujours une mise en son qui sent son espace d’exécution, plein d’air, écho, jeu avec l’espace, l’ici et maintenant, en dehors des triturations de studio.

On frôle la musique contemporaine avec des jeux de timbres et de percussions mais on reste toujours dans le ludique, la surprise.

Retour sur les grondements, les vibrations, les irisations dans lesquels on perd singulièrement de vue la source, ce qui démontre la maestria des protagonistes à l’aise dans différents champs, différentes palettes.

Enfin, on bascule dans un champ sombre, une désolation qui s’étend, de maigres feux qui s’échappent (ici l’orgue) mais des hurlements, des grondements qui m’évoquent des pièces récentes de Jim O’Rourke. Avant une sorte de lente agonie sonore, qui suit une avancée dans un monde nouveau et qui fait penser à celui de Ligeti utilisé par Kubrick dans 2001.

 Et si cette musique était un programme politique ou une vision d’un monde proche ?

Quoi qu’il en soit, la rencontre entre les musiciens est riche et fait réellement œuvre commune dans l’exercice de leurs possibles et de leurs singularités, d’où une pièce étonnante et passionnante, loin d’un chacun pour soi stérile. Premier essai et coup de maître, d’un patient maître d’œuvre, à qui les institutions devraient plus faire confiance, et dont on attend les prochaines réalisations et les futurs concerts.

Avec l’aide de Johanna D, Deuxième souffle au cœur.

“Soufflements cardinaux” est sorti chez Montagne Noire en disque vinyle et numérique.


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