Les Canadiens de Great Lake Swimmers poursuivent sur la lancée de leur précédent effort, Uncertain Country, avec Caught Light, un neuvième album en prise directe sur le folk-rock des années 70.
Nous l’avions évoqué dans un précédent article, Uncertain Country, le précédent album de Great Lake Swimmers, retrouvait l’inspiration des débuts du groupe : une grâce évidente se dégageait de ces onze compositions mélancoliques et rêveuses aux riches harmonies rappelant l’indie rock ouvragé de R.E.M. ou de Swell.
Tony Dekker étant l’artisan unique de Great Lake Swimmers, le personnel a été à nouveau renouvelé pour Caught Light : exit Kelsey McNulty, claviériste sur le précédent album, partie poursuivre l’aventure rétro-pop de son propre groupe Good Fortune (dont nous vous avions déjà parlé), ainsi que la chorale féminine Minuscule qui ponctuait certains titres. L’album bénéficie néanmoins de la présence de solides musiciens vétérans de la scène canadienne : Jim Bowskill (basse, contrebasse, mandoline, bouzouki, pedal-steel), Carry Craig (batterie), Steve O’Connor (clavier) et Colleen Brown (chœurs). Le mixage a été confié à Steve Marriner, multi-instrumentiste réputé, et la production, pour la première fois dans la carrière de Great Lake Swimmers, est prise en charge par Darcy Yates et non Dekker lui-même. Yates est un ancien bassiste du groupe qui a collaboré aux albums Ongiara (2007) et Lost Channels (2009), on reste donc en famille.
Uncertain Country était né durant une résidence dans la région du lac Supérieur. Pour Caught Light, les musiciens ont travaillé dans un studio situé dans la forêt de Ganaraska (Ontario). Cet isolement a été profitable à l’enregistrement de l’album puisque trois jours auront suffi au groupe pour tout mettre en boîte, suivis de seulement deux jours de mixage. En regard, Uncertain Country avait mis trois ans à se concrétiser, perturbé notamment par une pandémie dont on retrouvait l’écho dans plusieurs titres.
Il ressort de ces conditions d’enregistrements un album plus dépouillé et spontané que les précédents. Si Uncertain Country pouvait encore évoquer le son électrifié des années 90, le nouvel album semble poursuivre le voyage dans le temps entamé par Great Lake Swimmers et s’alimenter cette fois directement sur le folk-rock boisé de Neil Young ou Gordon Lightfoot circa 1970… ”One More Dance Around the Sun”, qui ouvre l’album, en est l’illustration parfaite. Dans cette chanson d’un retour aux origines, Dekker évoque un voyage vers le village de son enfance et manifeste clairement les sources seventies de son inspiration : « One more dance around the sun/To know where to start again/One more dance around the sun/To find the light again ».
L’album se poursuit dans cette tonalité intime et chaleureuse en dix titres impeccables. En interviews, Tony Dekker parle de chansons qui évoquent des balades en voiture, fenêtres ouvertes, sous un ciel d’été, et des paysages familiers que l’on découvre avec un regard neuf. Tout au long de Caught Light, Il est question de persévérance, de nouveau départ, de recherche de la sagesse dans un monde qui se délite… « ‘For You to Come Around’ is about being stuck at the station, in a state between being and becoming. It’s about the baggage we carry and the emotional lifting it requires for us to endure, and ultimately, it is about loneliness and longing, and the inability to truly know someone. It might be ‘Waiting For Godot,’ if that were a 1970s country-folk inspired story song.” (“Indie Music Review”, 14 octobre 2025).
[“For You to Come Around” parle de cette impression d’être bloqué en gare, dans un état entre l’être et le devenir. Elle évoque le fardeau que nous portons et l’effort émotionnel nécessaire pour le supporter, et finalement, elle parle de solitude, de nostalgie et de l’impossibilité de connaître véritablement quelqu’un. On pourrait la comparer à “En attendant Godot”, si c’était une chanson narrative country-folk des années 1970.]
Tony Dekker a également déclaré qu’il a abondamment écouté l’album Bless the Weather de John Martyn (1971) avant l’enregistrement de Caught Light et que celui-ci a guidé les choix artistiques, donnant une impulsion vers « a newly found zeal for not being precious and being more direct. » Bless the Weather était un album de transition pour John Martyn, enregistré loin de l’animation de Londres, dans la ville balnéaire d’Hastings. L’Anglais y trouvait une nouvelle approche musicale, travaillant rapidement, recherchant la spontanéité, la simplicité, la sérénité qui animera ses chefs-d’œuvre à venir, Solid Air (1973) évidemment et Sunday’s Child (1974). Souhaitons à Dekker et ses Nageurs de suivre la même voie, et que Caught Light soit l’entrée vers une nouvelle ère de la passionnante discographie du groupe.
