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La Souterraine – Interview

Depuis un peu moins d’un an, Laurent Bajon et Benjamin Caschera animateurs de l’excellente émission de radio Planet Claire sur Aligre FM (et également responsable du label Almost Musique pour le second) se sont attelés à la fabrication de compilations « d’artistes francophones sous exposés ». Ces compilations se présentent sous deux formes : les Mostla Tapes faites par un artiste ou un groupe autour de ses propres compositions; ou les compilations de la série La Souterraine, qui rassemblent à chaque fois une dizaine d’artistes différents avec des inédits, des versions alternatives de chansons déjà parues, ou des titres injustement oubliés.

Dans tous les cas, ces petites pépites du french pop underground sont proposées gratuitement à l’écoute sur le bandcamp de La Souterraine, et en téléchargement à un prix fluctuant entre gratuité et 1€ (selon les quotas de téléchargements gratuits autorisés par le site Bandcamp). Très intéressés par cette démarche, et par les artistes présents sur ces compilations (c.f. notre sélection subjective ICI), et pour essayer de comprendre ce qui a pu les motiver à se lancer dans cet exercice audacieux, nous avons posé quelques questions à ces deux passionnées de musique.

La Souterraine

Comment vous êtes vous rencontrés, et comment est venue cette idée des compilations « La Souterraine » ?

Benjamin Caschera : Dans une autre vie, j’étais attaché de presse pour le distributeur Differ-ant, j’ai connu Planet Claire (ndlr : émission de radio sur Aligre FM) comme ça, en leur envoyant des disques et en venant avec des groupes en session (My Brightest Diamond, Besnard Lakes, Okkervil River, Loney Dear, etc.). Quand en 2009 j’ai monté Almost Musique, Denis Prévot (le canal historique de Planet Claire, depuis plus de 30 ans) m’a proposé de rejoindre l’émission, où Laurent est animateur depuis 1996. Dans cette émission, on diffuse essentiellement des groupes underground, qui ne sont pas vraiment joués ailleurs. Avec Almost Musique, c’est aussi notre fond de commerce, commencer à travailler avec des groupes le plus tôt possible dans leur développement. Avant qu’on ne les signe, Shimmering Stars avait trois demos enregistrées, Arlt avait sorti un EP autoproduit et son album sous le manteau, le premier disque de the Daredevil Christopher Wright n’était disponible que dans cinq magasins de disques du Midwest, par exemple.
L’idée de la Souterraine, c’est donc de mutualiser les recherches, et puisque Laurent est un des plus fins chercheurs de nouveautés que je connaisse, je lui ai proposé de lancer cette série de compilation, avec comme champ de recherche les groupes qui chantent en français – qu’on diffuse et qu’on reçoit par ailleurs dans l’émission.
On veut tordre les a priori ambiants sur la morosité globale du milieu de la musique en France : notre postulat de départ, c’est qu’il y a beaucoup de groupes super-funs, étranges, ultra-pops, passionnants dont personne ne parle. Les rendre accessibles à tout le monde, grâce à la gratuité (même si on a pas mal de don aussi), c’est aussi un sacerdoce. La Souterraine, c’est un appel à la curiosité, la défense du pas de côté, une ode à l’autoprod, favoriser les chemins de traverse. Notre but, en fait, est d’aller voir ailleurs, en documentant l’activité souterraine en gestation.

Laurent Bajon : Précisons que l’idée des compilations, dans ce format là, a moins d’un an.

Que ce soit sur Planet Claire, ou pour Almost Musique, vous ne faites ni l’un ni l’autre exclusivement dans le  francophone, alors pourquoi ce parti pris cette fois ?  

Benjamin : Go Local !

Laurent : Dans Planet Claire, on a longtemps été orientés pop et rock indé anglo-saxon, c’est vrai, même si on passait aussi déjà des groupes français, parfois chantant en français (toute la « clique » Lithium correspondait bien à nos standards). En fait, on a juste changé l’angle du prisme à travers lequel on écoutait/regardait la musique… Et oui, le message derrière ça, c’est « Go Local », une réponse à la mondialisation de l’indé (ce qui ne nous empêche pas de regarder ailleurs, évidemment). On veut nous aussi œuvrer au redressement productif de l’indie française/francophone !

Benjamin : En ce qui me concerne, c’est aussi plus facile, pour des raisons évidentes de disponibilité et de motivation, de bosser avec un groupe français plutôt qu’un groupe étranger. Le local d’abord, et un jour le global – dans ce sens, Born Bad, qui signe quasi-exculsivement des artistes français pour les exporter outre-mer, est une inspiration (d’ailleurs Julien Gasc qui est sur le Vol. 1 de la Souterraine a depuis ressorti son album chez Born Bad).

Laurent : Oui, et c’est aussi plus facile de faire venir des groupes français, voire parisiens en session dans Planet Claire !

La présence de certain des artistes sur ces compilations (Julien Gasc justement, ARLT, Moke, Hyperclean ou Facteur Chevaux pour ne citer qu’eux) parait évidente, mais comment avez vous découvert ceux qui sont moins connus, non signés, etc.

Benjamin : via Almost Musique, on a un réseau assez dense d’artistes avec lesquels on travaille et qui ont des amis artistes et qui nous les recommandent. On reçoit aussi pas mal de propositions d’artistes non-signés (c’est le cas de Facteurs Chevaux ou de Nicolas Paugam de Da Capo, par exemple). La Souterraine c’est aussi pour répondre à ça, on ne peut pas travailler avec tous les groupes qu’on aime, c’est donc une manière de commencer, même de loin, une relation, professionnelle ou pas. Le réseau Planet Claire fonctionne dans le même sens, on est pas mal sollicité (on a trouvé Arnaud Le Gouefflec via un artiste de son label, « L’église de la petite folie », qui nous avait contacté pour qu’on le diffuse). Et puis on cherche, on creuse sur les sites des labels underground, sur le tag « chanson » de Bandcamp, sur Soundcloud. On est toujours à l’écoute quoi.

Laurent : Je suis « tombé » sur Arnaud Le Gouëfflec par le biais de Garden With Lips, qui a sorti un LP sur le label d’Arnaud en début d’année et qui nous a contacté via la page Facebook de Planet Claire. Même si on ne raisonne pas en « scène » locale (comme pour Bordeaux ou Rennes, pour ne citer que ces deux là) on se rend compte, parfois fortuitement, des connexions. C’est toujours étonnant.
La Souterraine, c’est aussi cette idée de fédérer des synergies pour les mettre en avant et faire en sorte qu’elles soient plus audibles… Et on fouille beaucoup, on avait Myspace, on a effectivement maintenant Soundcloud et Bandcamp. On a aussi la chance en France d’avoir beaucoup de micro-labels (comme SDZ, chez qui on a repéré Pierre et Bastien…) ou des webzines qui font aussi des compilations, qui peuvent faire de bonnes sources. Pour ma part, je « rebondis » beaucoup : un nom sur un flyer ou une affiche d’un groupe sur lequel je viens de tomber et qui me plait bien (ça vient de m’arriver avec Entoine, qui a partagé une date avec Taulard, sur lequel on a beaucoup accroché), un groupe cité par un autre dans un post ou dans une interview… Tout est bon !

Benjamin : On recoupe ensuite toutes les informations et on fait nos tracklists ensemble, à base de compromis, pour essayer d’équilibrer la sauce et les styles, entre les artistes identifiés et les découvertes totales. On a pas mal de titres qui sortent directement des disques durs des groupes, aussi. La Souterraine, c’est un passeur qui fonctionne quasiment comme un label, sans en être un. C’est plutôt un médium, l’extension de la programmation de l’émission aussi. Une sorte de vecteur du bon en chanson.

Laurent : Notre ambition, c’est de lancer des pistes pour l’archéologie du futur, c’est de trouver des groupes que d’autres rééditeront dans vingt ans. C’est un peu « égotique », mais après tout, pourquoi pas !


Souterraine_team
(Laurent Bajon, Denis Prévot et Benjamin Caschera. Photo : Frank Loriou)

Il y a  des groupes ou des chanteurs que vous avez découverts vous deux en préparant ces compilations ?

Laurent : Oui et non… Je ne crois pas qu’on fasse de « vraies » découvertes l’un ou l’autre lors de la mise en ligne, non, parce qu’on discute beaucoup du tracklist final en amont. Mais dans les propositions qu’on se fait quotidiennement, comme nous n’avons pas complètement les mêmes réseaux et références, on découvre tous les deux des choses, évidemment.

Benjamin : Exactement. Par exemple, on a d’abord diffusé Gontard!, vu qu’il avait dix ans de musique enregistrée, on en a fait une Mostla tape, puis on s’est rendu compte que Chevalrex était son frère (on l’a mis sur le Vol. 2 et on a fait une Mostla Tape avec lui), puis que ce même Chevalrex avait organisé un concert d’Arlt à Valence. Bon, d’ailleurs, avec Rémy / Chevalrex, on en est a lancer une extension physique de la Souterraine, via Objet disque, son nouveau label, avec un split 45 tours Hyperclean / Chevalrex et le premier album de Mocke en vinyle (avec sept titres déjà présents sur la « Sandwich Mostla Jojo Tape« ).

Laurent : Oui, les fils qu’on tire nous dévoilent souvent des choses qu’on ne voyait pas immédiatement. C’est aussi le cas de Glockabelle, qui est arrivée dans le Vol. 2 par le biais d’un micro-label, With a Messy Head, et qui avait organisé un concert d’Arlt à New-York en 2009…

Cela ne m’étonne pas que les frères Nubuck (Chris Gontard et Rémy Chante / Chevalrex) participent à l’aventure : ils avaient également initié ce genre de compilation (physique) avec leur ancien label (Sorry But Home Recording Records).

Benjamin : Oui, les Frères Nubuck, c’est une découverte a posteriori pour nous. Sorry But Home Recordings Records n’est plus. Objet Disque en est un peu le prolongement, auquel on s’associe très volontiers, Rémy / Chevalrex a un savoir-faire DIY, il est un super graphiste également (cf. son travail dans Brest Brest Brest), donc voilà, la mutualisation des forces quoi. Possible qu’on fasse une Mostla tape best of des Nubuck dans l’avenir d’ailleurs. Exhumer des autoprod des années 2000 (ou d’avant) c’est aussi notre but. Par exemple, on a mis le morceau LouisEville de Louisville sur le Vol. 1, un titre qui était passé quasiment inaperçu à l’époque, sauf pour POPnews et Planet Claire. Dans le même genre, sur le Vol. 3, le titre « White Spirit » d’Eddy Crampes & le No Moustache Orchestra date de 2008, et n’est jamais sorti nulle part, même pas en CDR ou quoi.

A part cette bonne nouvelle des vinyles labélisés « La Souterraine », vous préparez déjà la #4 avec de nouveaux groupes ? D’autres MOSTLA tapes ?

Benjamin : On a déjà les deux prochaines Mostla Tapes qui sont prêtes : le Vol. 2 des mixtapes Gontard!, « Sauvagerie Tropicale » (ndlr : paru ce lundi), avec pas mal d’inédits, et celle de Taulard, des punks grenoblois, sorte de Fugazi qui ont remplacé Guy Picciotto par un synthé pourri. J’ai écouté ça en boucle tout le weekend. Pour le Vol. 4, on ne sait pas trop, on a pas mal de titres en réserve, on va voir ce que ça donne. L’intérêt d’agir en mode souterrain, c’est qu’on a aucune contrainte, aucune deadline, la liberté quoi.

Laurent : Comme nous n’arrêtons jamais de découvrir, défricher, on aura toujours de la matière, pour la Souterraine ou pour les Mostla Tapes. Pour les « tapes », on veut aussi remettre en lumière des « oubliés » (comme Le Gouefflec, Paugam…) pas seulement mettre en avant des petits jeunes dont personne ne sait rien ou presque, et là, il y a aussi un bon potentiel ! Et oui, on pense à un Vol. 4, mais on se laisse le temps de digérer l’ensemble. Pas d’obligations, pas de termes définis… Nous sommes les traines-savates (aux dents longues…) de l’indie-pop française, on ne va quand même pas jouer les pros ! Et le coup de cœur joue beaucoup, pour Taulard dont Benjamin parlait, on les a découvert il y a à peine quinze jours, on leur a proposé de faire une tape dans la foulée. On fonctionne énormément comme ça.

Benjamin : là on est aussi sur une Souterraine instrumentale, et une canadienne…

Tu veux dire des Mostla Tapes ?

Laurent : Non, non, Benjamin parle bien de compilations La Souterraine, plus thématisées donc, une Souterraine instrumentale et une Souterraine canadienne…

Benjamin : Oui, une souterraine avec dix groupes canadiens et une avec dix titres instrumentaux.

Pour finir, est-ce que tout cela a à le moindre rapport avec le village de La Souterraine dans la Creuse ?

Laurent : Non, pas de rapport direct avec le village de la Creuse, au départ. Même si on aime bien l’idée, et que ça nous sert d’artwork (très beaux et réalisés par Sébastien Trihan). On sait aussi que Stuart Staples y est installé, et qu’il a chanté un titre en français (qu’on mettra un jour sur une Souterraine ?)… En fait, l’idée était plus d’utiliser l’équivalent français d’ « underground »…

Benjamin : Oui, la Souterraine, ça a l’avantage d’être assez drôle comme nom, et ça correspond bien au concept démocratique et décentralisé de nos compilations accessibles à tous (gratuite, en somme). 


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