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Disques

Yasuaki Shimizu – Kakashi

Yasuaki Shimizu - Kakashi

C’était notre album de Noël. Toute la famille l’a adoré, les grands comme les plus petits. D’abord à cause de l’adorable chat peint par Shimizu lui-même, ensuite parce qu’il est irrésistible. Je ne suis naturellement pas porté sur le saxophone (je suis de la génération club des losers/doigts collants à la rose de sable en chocolat, près de la platine pendant que ça emballe sec sur « Careless Whisper », dans le garage, le samedi après-midi…) mais j’ai fini et débuté l’année avec Kakashi, comme, à la même période un an plus tôt, avec « Passé Composé Futur Conditionnel » de Le Ton Mité, deux albums qui avouent un sacré penchant pour le cuivre honni. Le rapport ne s’arrête pas là car Yasuaki Shimizu,  comme le Ton Mité, a sorti son album sur la division Made For Measure du label Crammed Discs (on écoutera/commandera « Music For Commercials de Shimizu » ici).

Cette réédition de 1982 commence par un funk, a priori froid comme l’azote liquide de son époque, un peu à la Bérurier Noir mais sans cesse réchauffé par des petites touches drolatiques, des saxos vicieux, des feulements et des changements à vue improbables, tel Kakashi (l’épouvantail, pas celui des films d’horreur dans les champs de maïs, plutôt celui du « Château Ambulant ») qui vient s’enchaîner et offrir un fade out étonnant au premier titre.  Marimba, caisses qui claquent, et qui partent en sucettes dub (oui, dub carrément. Promis juré, je ne cracherai plus jamais sur le dub, narcotique ou non).

On y trouve aussi des plages instrumentales, expérimentales mais sans souffrance (je vous vois plisser des yeux) : le genre qu’on peut faire écouter à nos parents ou à nos chats sans les déranger dans leurs siestes (les uns comme les autres d’ailleurs). On préfèrera sans doute « Kono Yoni Yomeri (sono 2) » et son solo de vents sur chants d’insectes peut-être encore meilleur à apprécier en streaming pour ne pas rompre l’enchaînement des titres entre les deux faces avec « Yune Dewa », l’autre tube de l’album. Pour faire un peu de jeunisme (d’il y a quelques années), disons qu’il nous fait penser à la fougue de Nissennemondai (pour le jeu de batterie) : « Yune Dewa », c’est des éructations de cuivres free jazz qui virent en fanfares sur un lit de percussions avec des virages gras en forme d’aplat de basses sans oublier des tripotages de bandes qui font vaciller un morceau déjà bien tourmenté et hautement addictif.

L’autre référence inattendue (le croiras-tu, cher lecteur ?), c’est la classe de Roxy Music. Roxy Music mais DIY dans un studio de luxe avec des touche-à-tout curieux, avides d’expérimentations (les notes de pochettes sont éloquentes et les étranges chansons sont traduites). Sur « Umi No Hue Kara » ce sont les basses moëlleuses qui descendent du château d’ « Avalon » et s’ajoutent à l’acidité d’instruments à maillets pendant que se déploient les anneaux infinis d’un serpent de clarinette. Détails qui tuent : les frottements aigus qui viennent émailler l’affaire, ou encore les souffles finaux.

On a beau être transgenre et résolument moderne, le Japon traditionnel n’est pas totalement absent et rejaillit sur l’ultime piste, « Utukushi Tennen », mélancolique à souhait et portée aussi vers l’autre pays du jazz, l’Éthiopie épique. Cette fin en beauté me fait immanquablement penser à « Récit d’un propriétaire » de Yasujiro Ozu dans lequel la bande des laissés pour compte se réunit une nuit pour parler de leur quartier et boire du saké. Chishu Ryu, l’acteur fétiche d’Ozu, y joue un diseur de bonne aventure au bout du rouleau mais, de mauvaise grâce et après s’être fait prier, il accepte de chanter une chanson. Le temps d’un instant, rythmé par les baguettes des invités sur les coupes, le film bascule dans la joie de l’art ancien retrouvé, du beau sortant des décombres de la guerre. Chishu Ryu, auparavant terne comme jamais, rayonne et c’est magique. Le Japon, pour moi, c’est les films d’Ozu, une théière qui bout sur une poêle en céramique, un cadre ras de tatami, une coupe de gyokuro, un chawan plein de matcha, Chishu Ryu et Setsuko Hara, et maintenant « Kakashi » de Yasuaki Shimizu.

Ce génial Shimizu, qui a collaboré avec Peter Greenaway (« The Pillow Book ») ou, plus inattendu, quoique, Juliet Berto (« Havre » en 1985) et joué avec tout le gratin (de John Zorn à Björk, en gros), a aussi enregistré un album divinement crossover, précédemment réédité mais déjà épuisé, « Utakata no hibi » avec son groupe Mariah. Si comme moi, vous êtes un peu nigauds et que vous débarquez, profitez bien de « Kakashi » et ensuite, seulement ensuite hein, ruez-vous sur le Mariah (et, en particulier, sur le titre « Hana ga saitara » pour les plus pressés mais c’est dommage).

En attendant, commandez votre exemplaire de Kakashi, pas chez les suisses de WRWTFWW, hélas, c’est épuisé, mais chez les américains de Palto Flats. Ils ont édité, pour l’occasion, un charmant sac en tissu sérigraphié qui portera avec élégance le goûter de la marmaille et/ou vos vinyles chopés chez votre dealer le plus proche.

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