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Jean-Louis Murat – Interview

JEAN-LOUIS MURAT

Jean-Louis Murat est un bavard. Il parlait déjà avec Fred Jimenez et son attaché de presse avant qu’on arrive. Il parlait encore avec les deux mêmes après qu’on soit reparti. Et si on ne lui avait pas posé de questions, il aurait parlé quand même. De tout, de lui, de l’amour, de la Route du Rock, de Jennifer Charles, du prix de l’orange pressée à Bastille. Par chance, il parle bien, Jean-Louis Murat. Dans sa bouche, les gros mots sonnent comme des vers. Alors on s’asseoit et on l’écoute. Au fait, son dernier album, « A bird on a poire », co-écrit avec Fred Jimenez et chanté avec Jennifer Charles, sort le 31 août.

Je suis rentré de la Route du Rock déprimé. Tous ces groupes avec leurs coupes Jacques Dessange qui singent la déglingue… Neil Young disait : « look, identification, pose ». C’est exactement ça. La musique est devenue secondaire. Tout le côté sanguinolent du rock a disparu. Ça ressemble à ces films gore où on fait du sang avec de la grenadine, et le foutre avec du lait Nestlé. Le seul endroit vraiment fun à Saint-Malo, c’était au milieu de la chair saoûle, au fond vers les bars car là, il y avait des bagarres, il y avait de la vie. Je me sentais bien au milieu des pochtrons fracassés parce que dès que j’avançais au milieu du public Télérama et que je les voyais se pâmer devant Air, ce n’était plus la vie ! La révolte, le rock’n’roll étaient au bar, avec ceux qui tournaient le dos à la scène. C’est curieux : la vie était à la buvette, pas dans les 50 premiers rangs.

Mmh. Une tournée est déjà prévue pour cet album ?
Ouais, octobre-novembre. Tous les trois. Jennifer (Jennifer Charles, d’Elysian Fields, qui chante sur l’album) viendra pour les six dates à Paris normalement, et puis la province.

Pourquoi avoir choisi sur scène la configuration guitare-basse-batterie ?
C’est pas un choix ! On serait mieux à quatre ou à cinq. Mais la tournée est déjà déficitaire à trois, alors… Si on prend un clavier, avec Fred (Jimenez, co-auteur de l’album), on doit prendre la moitié de notre cachet pour payer le mec. On bute sur une dimension économique. Quand tu amènes 500 clampins chaque soir, tu ne fais pas une tournée économiquement viable et équilibrée. Alors t’es obligé de serrer les boulons de tous les côtés, de tourner à trois et de te déplacer en bagnole, en conduisant toi-même.

Pourtant tes concerts sont souvent complets…
Oui, on remplit neuf fois sur dix. Mais vue l’économie de la musique actuellement, ça n’est pas suffisant. Tu as au moins quinze intermittents dans chaque salle, on ne sait pas ce qu’ils foutent, il faut payer tout le monde et à la fin, il n’y a pas de thune. Et nous on tourne pour 1500 balles chacun à chaque concert. Je ne pleurniche pas, je dresse simplement un état des lieux. Le public a besoin d’être informé sur la réalité du rock en France. Chaque tournée est déficitaire ! A cinq musiciens, pas un tourneur n’accepterait et la maison de disques dirait : « c’est trop cher ». Les gens pensent : « Jean-Louis Murat, ça marche », mais je vends trois fois moins que ce pensent les gens. Il a fallut que j’insiste comme un dingue pour avoir un éclairagiste sinon on tournait sans « light ».

Tu sors beaucoup d’albums, au risque peut-être de lasser le public, qui n’est pas habitué à une telle cadence. As-tu déjà cherché à ralentir ton rythme de production ?
Non, je deviendrais fou ! Je préfère mourir que de sortir un disque tous les quatre ans. Je porte au moins un album par an. Là, j’en ai deux d’avance. Regarde, j’ai écrit un album au printemps dernier et entre-temps, j’ai vachement changé, j’ai bougé. Arrive septembre et je suis déjà gros d’un nouvel album. Du coup, les chansons du printemps me paraissent étranges. Il faut que je les enregistre rapidement sinon c’est perdu. En fait, je porte un album par saison… C’est comme ça, il faut que ça sorte. Même si ça se vend à 300 000 exemplaires, je m’en fous, je ne peux pas garder ça sur la patate ! Mais on est dans un drôle de pays où être productif et créatif est vu comme une maladie mentale. On me traite de stakhanoviste, comme si j’étais détraqué. Les détraqués sont ceux qui sortent 12 chansons tous les quatre ans.

Les deux albums vont-ils sortir ?
Je vais les enregistrer. Personne ne voudra les sortir mais moi je n’ai pas à écouter ce que me dit le business. C’est ma vie, la musique. Je tiens une cadence qui me paraît normale. Je crèverais si je ne fonctionnais pas comme ça.

Alors pourquoi les autres artistes laissent tant de temps entre chaque album ?
Les Beatles c’était un album tous les 8 mois. Dylan, c’était minimum un disque par an, avec une tournée mondiale derrière. Tu ne peux pas imaginer des gars qui écrivent des chansons en 64 et les sortent en 67 ! De 64 à 67 la musique n’a plus rien à voir ! Le problème, aujourd’hui, c’est le business. La maison de disques te fait attendre parce qu’elle a 150 signatures, qu’il y a un planning de sortie et qu’il faut réserver sa place un an à l’avance. Une maison de disques devrait bosser sur dix artistes alors qu’aujourd’hui, elles travaillent sur 150 en se disant que sur le lot, il y en a bien un qui va passer.

Fred : les mecs ont le même rythme que dans le cinéma…

Jean-Louis : Chabrol écrit et tourne deux films pendant que les mecs font 12 chansons. Proust a écrit un amour de Swann en quatre mois. Toi, il te faut pas trois mois pour écrire un papier ? Un menuisier ne prend pas deux mois pour faire une chaise !

Oui… Mais les artistes semblent aussi prendre leur temps. Pourquoi ?
Parce qu’ils se calent sur le public. Le public a tellement de produits qu’il faut à chaque fois attendre quatre ans pour proposer quelque chose d’inédit, de neuf. C’est : « le retour de machin, trois ans après, qu’est-ce que vous avez fait ? ». « J’ai passé deux ans aux Seychelles, je me suis ressourcé au Tibet, je suis allé à New York ». « Ah oui, ça se sent bien dans votre disque… ».
La musique n’est plus une affaire d’artistes. Forcément, moi je suis complètement anachronique avec ma cadence. Et le pire c’est que le public est du côté des dirigeants. Ils disent : « il y en a trop ! » comme si Cabrel et Souchon, c’était le rythme normal pour faire des disques. C’est contre ça que je gueule tout le temps. C’est sûrement en prenant conseil chez Nestlé ou Danone que je pourrais comprendre comment a viré le business.

 

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