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I Am Kloot – Interview

I AM KLOOT

Vers 21 heures ce lundi, un petit homme empoignait sa guitare devant quelques Parisiens, gentiment amassés face à une scène improvisée, au fond d’un bar. Nous sommes au Truskel, et John Bramwell débute son set acoustique sous les yeux complices des deux autres membres de son élégant trio I Am Kloot. L’ambiance est détendue, les chansons s’enchaînent dans une bonne humeur qui ne leur correspond pas forcément, et John Bramwell dévoile en avant-première quelques-uns des titres du dernier album "Gods and Monsters". Au programme également de ce mini concert figurent une version particulièrement chaloupée de "Twist", beaucoup de conviction sur chacun des morceaux ("From Your Favorite Sky" notamment sort plutôt grandie de ce minimalisme acoustique), de nombreuses plaisanteries entre les titres et une voix aussi impressionnante que sur disque. En moins de quarante minutes, la messe est dite. Les deux acolytes reprennent en mains les platines et, bientôt rejoints par le chanteur, les trois membres d’I am Kloot entament ensemble une nouvelle nuit où coulent la musique et la bière.

Trois heures plus tôt environ c’est à la table d’un petit restaurant chinois que les trois musiciens essayaient tant bien que mal de soulager leur faim (à 18 heures!) et de répondre à mes quelques questions. La première d’entre elles porte assez logiquement sur leur dernière oeuvre en date et s’est vu récompensée d’une réponse relativement attendue. "Nous avons pris beaucoup de plaisir à enregistrer cet album et aimons à penser que ce n’est que le début d’une histoire qui reste à écrire pour le groupe. Je pense que nous avons parcouru beaucoup de chemin avec ce disque, qui est plus étoffé, plus riche que ce que nous avions fait précédemment, et nous sommes assez contents du résultat" commence John Bramwell.
L’évolution du groupe, depuis le premier album, existe bel et bien même si le trio s’accorde à la voir comme une histoire naturelle. "Nous ne faisions pas de pronostics au moment où nous enregistrions "Natural History". C’était certainement difficile de prévoir le succès atteint par nos deux albums, à l’époque de nos premiers concerts, mais les choses se sont manifestées de façon progressive, et assez lente. Nous n’avons jamais eu le sentiment que notre histoire nous échappait. Dans la mesure où il permet d’établir des contacts, de rencontrer des gens, je pense que le succès a quelque chose de positif, et je ne pourrais pas dire que cela me soit indifférent. Nous jouons des chansons pour qu’elles soient entendues, nous n’allons pas être hypocrites au point de renier complètement cet aspect de notre musique."

Originaire de Manchester, le trio assume totalement avoir préféré la musique au football pour parvenir à cette fin, même si John garantit être un joueur confirmé. Si les membres d’I Am Kloot connaissent bien les groupes issus de cette scène de Manchester pour la côtoyer depuis plus de cinq ans, (Elbow fait notamment partie de ceux avec lesquels le trio se retrouve régulièrement au pub), le bassiste Peter Jobson confirme l’impression que l’on pouvait se faire de cette situation. "Je pense que nous sommes assez différents. Il me semble que personne ne fait ce qu’on fait là-bas."

Ce ne sont pourtant pas les racines américaines du groupe qui font cette différence. I Am Kloot refuse à l’unanimité d’assimiler quelque aspect de sa musique au nouveau continent. Peter ne s’avoue d’ailleurs aucun modèle américain, même s’il concède, au vu de mon insistance, apprécier Hüsker Dü et la musique Blues. "Nous ne jouons pas du Folk. Dès que les gens entendent de la musique acoustique, ils veulent la cataloguer comme folk. Ce n’est pas ce que nous voulons, ce n’est pas du tout notre propos" insiste John. Quant aux racines jazz de leur musique, les Mancuniens préfèrent l’envisager comme un élément rythmique supplémentaire, qu’ils appellent plus volontiers swing ("Le jazz peut être assez chiant" avoue Peter). De là à affirmer que leur musique puisse être influencée par certains standards américains, il y a visiblement une distance que chacun des membres répugne à franchir.
Leurs modèles se situent ailleurs. Là où on ne les attend pas forcément. Le batteur Andy Hargreaves me confie notamment son admiration pour John Barry alors que, dans un tout autre domaine, Peter se déclare un aficionado des films de John Carpenter : "Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est quelque chose qui nous inspire, mais je pense que c’est révélateur de certaines atmosphères, de certains climats qui peuvent mériter l’attention."

Quant aux véritables sources d’inspiration, elles sont, comme le confirme tour à tour chacun des membres du trio, pour la plupart, le fait même des relations spéciales qu’ils entretiennent. Il est vrai qu’à voir l’esprit de communion qui règne entre eux, à les entendre simplement discuter autour de quelques bières et de trois assiettes de nouilles sautées, on comprend sans peine comment les membres d’I am Kloot peuvent prétendre s’inspirer les uns les autres. Il y a dans leur attitude une désinvolture plaisante et un véritable sens du groupe, plutôt réjouissant. "Nous passons trop de temps ensemble, à discuter, à boire des bières, ça devient la seule chose dont nous puissions vraiment parler finalement" surenchérit John en souriant, avant d’ajouter : "Ce serait certainement difficile de dire de quoi parlent nos chansons de manière générale… mais je pense qu’il y en a un certain nombre qui tournent autour de l’idée de la contradiction, du non-sens, que les gens introduisent eux-mêmes dans leur vie." Ce n’est certainement pas ce qui se fait de plus léger en matière de paroles, pourtant le groupe, selon eux, ne compose pas de chansons tristes. "Nous n’avons jamais réussi à en écrire" plaisante Peter. "Nos chansons sont certainement plus sombres que tristes", précise John. "Généralement nous faisons en sorte que si les paroles tirent la chanson vers le bas, la musique soit là pour contrebalancer et la tirer vers le haut."

I AM KLOOT

J’hésite un peu avant de leur poser ma dernière question, sur leur rapport à Dieu, et éventuellement à la foi. Je n’ai sans doute pas tort car elle a pour premier effet de les désarçonner. La surprise prend toute son ampleur quand je leur explique les raisons de cette question (basée essentiellement sur des citations de leurs albums). "Jesus !" s’étonne Peter.
S’ensuit une conversation assez intéressante sur le sujet, menée principalement par John "Nous ne sommes pas chrétiens. Et bien que le sujet ne soit pas du tout anodin à mes yeux, je serais bien incapable de dire ce que j’en pense réellement. Qui peut le dire avec certitude ? Je pense que nous en parlons parce que, que nous le voulions ou non, cela fait partie de la vie des gens, et nous parlons de cette vie là. Maintenant, il y a quelque chose de fascinant dans le fait de croire. J’aime bien l’idée que la Foi consiste à croire en quelque chose qui n’est pas là, et dont on ne pourra sans doute jamais avoir la preuve. J’aime bien aussi l’idée de la prière. Outre le fait que ça puisse aider les gens, que ça puisse se révéler utile en quelques circonstances particulières, il y a quelque chose de très intrigant dans l’attitude même de la prière. Je ne prie pas et je ne suis sans doute pas croyant, mais c’est quelque chose qui m’interpelle raisonnablement. En tout cas, c’est sans doute un sujet qui nous touche, et sur lequel tu remarques que l’on peut discuter assez longtemps, même si nous ne sommes pas directement concernés. C’est marrant, on ne nous avait jamais posé cette question."

Sur le trottoir du retour, je profite des quelques minutes à disposition pour entreprendre de poser au leader d’I am Kloot la vraie question, celle qui me tenait réellement à coeur, celle que n’importe quel fan aurait posé à ma place. Mais John me prend de court: "J’aime bien faire de la promo quand les choses se passent comme ça, quand on discute autour d’une table, en buvant une bière. Mais parfois les journalistes posent vraiment toujours les mêmes questions débiles… Alors pourquoi ce nom "I Am Kloot?" ce genre de conneries." Bon, tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Propos recueillis par Jean-Charles Dufeu
Photos de Guillaume Sautereau (Route du Rock 2001)

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