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Philippe Poirier – Interview


 Philippe Poirier, discret mais déterminé guitariste et saxophoniste de Kat Onoma, a souvent fait don de ses chansons à d’autres comme Françoiz Breut, Dani ou Zend Avesta. Sur « Qu’est ce qui m’a pris » il se les réapproprie, livrant ses propres versions de chansons telles que « La carte postale » ou « Le grand filtre ». Un univers tortueux qui aime jongler entre l’organique et l’électronique, le trivial et le surréaliste. A la veille de son concert parisien prévu le 31 mars à l’Européen, Philippe Poirier nous livre quelques clés pour mieux plonger dans son monde.

Philippe Poirier

Ce qui frappe à l’écoute de ton nouvel album c’est l’omniprésence du thème de la perte des repères, du renversement de l’ordre des choses…
Ce n’est pas forcément conscient. Ce que je veux c’est construire des images, des univers dans lesquels chacun peut reconnaître ce qu’il veut et y construire ses repères. Mais c’est vrai que j’aime cette idée que les apparences sont changeantes. Les choses détruites par exemple peuvent devenir belles.

Tu évoques cette notion d’une réalité changeante. J’avais justement fait un rapprochement entre ton écriture et la poésie surréaliste. Il y a une cette même volonté de s’arracher du réel. Es-tu très imprégné du courant surréaliste ?
Pas tellement. Mon écriture joue avec la recomposition mentale d’images réelles, ce qui peut effectivement rejoindre le processus surréaliste. Mais la poésie surréaliste n’est pas quelque chose qui m’a préoccupé, bien que je reconnaisse la proximité. Je n’ai pas le même positionnement. Je ne me considère pas comme un poète. J’essaye de faire des chansons, c’est-à-dire des textes chantants.

Tu n’as jamais envisagé l’écriture poétique sans musique ?
Non, j’écris d’abord des choses puis petit à petit j’isole des phrases, sauf pour la chanson « Qu’est-ce qui m’a pris ». Le texte a découlé spontanément de cette phrase. Ensuite tout s’est décliné depuis cette interrogation en parlant de choix qui auraient donné d’autres conséquences, une remise en question permanente des situations. Pour « La carte postale » je décris des photos. Ce qui m’intéresse dans les photos anciennes c’est la notion de temps. Les photos anciennes ne représentent pas seulement l’époque à laquelle elles ont été prises mais elles portent aussi les empreintes du temps d’encore avant. Certains détails architecturaux ou vestimentaires sont comme des résidus d’une époque d’encore avant, sont déjà désuets. On pourrait croire qu’une photo est l’expression d’une époque précise. Elle contient en fait plusieurs strates d’époque. C’était cette idée que je voulais exprimer dans la chanson. Ca me plaît beaucoup de partager cette impression avec l’auditeur.

Le rapport au temps est très présent dans l’album d’une manière générale : le temps passé de « La carte postale » ou « La Riviera » où tu chantes « C’est comme il y a vingt ans […] Est-ce possible rien n’a changé ». J’ai l’impression que tu confrontes souvent « l’inexorable écoulement du temps » à un certain immobilisme. Il y a quelque chose de l’ordre du cycle. Comment expliques-tu ces thèmes récurrents ?
Oui c’est très fort. Le temps c’est tout. C’est énorme. Je crois vraiment que tout vient du rapport au temps. L’idée que les choses avec le temps deviennent de plus en plus aiguës. J’ai l’impression d’être entièrement dans la mesure « temps », comme tout le monde d’ailleurs, j’imagine. C’est quelque chose de très intime. Ca m’intéresse beaucoup de comprendre comment le temps coule, la notion de temps différents. Mais je l’exprime peut-être de façon trop nostalgique…

Non, justement je trouve que c’est exprimé de façon très imagée, très poétique ça ne joue pas sur la nostalgie d’un passé révolu comme ça peut être le cas dans la chanson française.
Tant mieux alors. Je trouve qu’il y a une forme sacrée dans tout ça que j’essaye de célébrer. Ce que j’aime bien c’est traverser la nostalgie des choses pour en faire surgir un ravissement. Se laisser ravir par quelque chose du passé qui pourrait être négatif.

Quel regard poses-tu sur les versions de tes morceaux enregistrés par d’autres interprètes comme Dani ou Françoiz Breut ? Est-ce que ces chansons ont été composées en pensant à leur interprète ou les avais-tu écrites avant de les proposer ?
Je les avais déjà composées et il se trouve qu’elles ont plu à Dani et Françoiz. Je suis ravi des réappropriations de ces morceaux. Puis, moi, j’en ai fait mes propres versions sur mon album. Donc ça vit, ça change, ça me plaît assez. Ca prend de la distance. Maintenant je commence à composer en pensant aux interprètes. J’ai écrit un morceau pour le nouvel album de Françoiz Breut (ndlr : »La boîte de nuit » sur l’album « Une saison volée », paru chez Tôt ou Tard) en pensant à elle justement. C’est un morceau qui lui est directement destiné. Ca change la façon de travailler. Pour mes morceaux je suis seul, je bricole des choses dans mon coin. C’est un peu plus difficile. Là avec Françoiz il y a un travail collectif.

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