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Madness – Interview

En 1999, les nutty boys de Madness sortaient pour la première fois d’un long silence avec un album globalement de belle tenue (« Wonderful ») et un single pop ouvragé et splendide, « Lovestruck ». Résultat des courses : un classique triomphe britannique, et une indifférence polie du reste du monde. Six ans plus tard, les revoici avec un disque peu convaincant en forme d’hommage à leurs racines reggae/rocksteady, uniquement constitué de reprises, et en guise de simple, une cover d’un titre de Lord Tanamo popularisé naguère par Sacha Distel. Bingo : le clip illustrant la chanson, racoleur à souhait, est diffusé en rotation lourde sur TF1 sous le sceau du proverbial « tube de l’été ». Voilà qui a de quoi décourager ceux qui, en une contrée où Madness reste déjà essentiellement associé à ses tubes ska de la fin des années 70, s’escriment à réhabiliter le groupe pour ce qu’il fut au début des années 80 : une formidable machine à pondre à des vignettes pop irrésistibles, aussi fines, drôles qu’imprégnées de cette mélancolie propre à tant de grands groupes anglais. Tentative d’éclaircissement de ces malentendus et changements de facette en compagnie de Suggs, chanteur, et Lee Thompson, saxophoniste volant :

A croire la pochette de votre nouvel album, vous n’êtes plus Madness mais un nouveau groupe du nom de The Dangermen. Pouvez-vous nous expliquer un peu les raisons de cette métamorphose ?
Suggs : On a remisé Madness au fond du grenier – sa carcasse se décomposait au fil des années. Sérieusement, on a donné quelques concerts dans un pub du quartier de Camden, à Londres, qui s’appelle The Dublin Castle, et on a décidé de ne faire que des reprises, exactement comme on le faisait à nos débuts il y a 25 ans. On jouait alors déjà dans ce même club. On a donc songé à prendre un autre nom de groupe, pour que les gens ne s’attendent pas à entendre tous les titres classiques de Madness, et qu’on puisse chanter des choses sortant de l’ordinaire. On a joué là-bas quatre soirs de suite, et à chaque fois, on testait de nouveaux arrangements, puis on a commencé à songer à une liste de chansons pouvant constituer un bon album. Tout est parti de là en fait. Après, l’histoire des Dangermen, avec cette idée d’incarner de nouveaux personnages, ça nous amusait, c’est tout.
Lee Thompson : A la base, l’album est parti de l’idée des Dangermen, elle-même provenant d’une excellente chanson intitulée ‘Danger Mouse’, qui n’a hélas finalement pas servi pour l’album. Les Dangermen, à proprement parler, font référence à cette fameuse série des sixties, ‘Le Prisonnier’, avec Patrick Mc Goohan. Lorsqu’on est parti en studio pour enregistrer les chansons, on avait envie de recréer un feeling live, vraiment. EMI nous a laissé du temps pour bien bosser à cet effet.

Vous avez travaillé d’une façon assez inhabituelle, manifestement, sans vos deux producteurs historiques (Clive Langer et Alan Winstanley), et au moyen de matériel d’enregistrement vintage, dûment détaillé au dos de la pochette…
Lee : Tout à fait. Même si en réalité, on a piqué la notice technique du dos de la pochette à un vieil album de Fats Domino. On l’a scannée et reproduite à l’identique, juste pour accentuer ce côté vintage.
Suggs : Le processus a été assez compliqué, car on a tout enregistré live, ce qui était certes agréable, mais nous laissait l’impression qu’il manquait quelque chose, sans qu’on puisse définir quoi. Puis j’ai rencontré ce producteur, Steve Dub, dont j’appréciais vraiment le travail. Il nous a énormément aidé, c’est un type qui a beaucoup d’idées originales.
Lee : Ca a été une forme de révolution pour nous. Un jour, il nous a carrément fait utiliser un magnétophone antique comme celui-ci (pointant du doigt notre vieille machine à k7) pour enregistrer. Ca s’entend par exemple sur l’intro de « Girl Why Don’t You »… En tout cas, l’album est très enjoué. Il n’est pas rétro, il est même un peu… dangerous ! (rires) Plus aventureux que d’habitude, en tout cas.

Ce qui est frappant, c’est que même lorsque vous reprenez une chanson d’un groupe typiquement anglais comme « Lola » des Kinks, vous l’accommodez à la sauce reggae. Ce disque marque-t-il vraiment un retour à vos racines jamaïcaines ?
Lee : Oui, il n’y a pas de mal, je trouve, à retourner aux musiques qu’on écoutait au départ. Ce n’est pas qu’on se soit lassés du style habituel de Madness, mais on trouvait l’idée de refaire du reggae plus exaltante que par exemple faire du sous-Duran Duran, façon…
Suggs : (ironique) « Wild Boys, Wild Boys, Wild Boys… ». (rires) Ca, du rock ? Une putain de daube, oui. Sérieusement, on aime le reggae et ça renforce notre sentiment de former un gang, vous voyez. J’espère en tout cas qu’on a été respectueux de nos modèles, c’était notre intention de départ. L’ironie de l’histoire est que bon nombre des chansons qu’on reprend sur ce disque avaient déjà été reprises en reggae, comme la chanson Motown « You Keep Me Hanging On » ou même « Lola ». Donc même si on les a un peu « madnessifiées », on s’est souvent basés sur les covers reggae de ces chansons, et non sur les versions originales.

Même si l’album est dans l’ensemble très festif et léger, il se clôt sur une reprise de Bob Marley, « So Much Trouble In The World », empreinte d’une certaine gravité…
Oui. Au départ, on cherche surtout à interpréter des chansons qu’on est capable de chanter et de jouer. Ca peut paraître un peu convenu de reprendre une chanson de Marley, mais pour paraphraser son titre, il y a « toujours beaucoup de problèmes dans le monde », non ? En tout cas, je ressens quelque chose de très fort en chantant ce morceau.

A la fin des années 70, la scène anglaise du revival ska comprenait des groupes beaucoup plus engagés politiquement que vous, comme The Selecter ou les Specials. Néanmoins, il vous arrivait aussi de dépeindre un certain malaise social avec Madness, dans « Grey Day », par exemple. Dans quelle mesure étiez-vous influencés par l’état de la société anglaise d’alors, les années Thatcher… ?
On se sentait concernés par tout ça, mais on était très naïfs, politiquement. Les Specials étaient à l’évidence plus éduqués que nous. On écrivait des textes sur ce que l’on observait autour de nous, sur le fait d’avoir recours aux préservatifs, par exemple. « House of Fun » est clairement une chanson parlant de ça, même si on ne se sentait pas capable d’écrire des choses très premier degré du genre : « protégez-vous des maladies sexuellement transmissibles ». Nul n’est parfait, mais à l’arrivée, nous ne sommes pas de mauvais bougres. On a toujours été assez réalistes par rapport au monde qui nous entourait. Et beaucoup de choses ne nous plaisaient pas à l’époque, ce qui nourrissait le propos de nos chansons.
Lee : On était politisés à notre propre façon. Bien sûr, il n’y a rien de très politique dans « One Step Beyond ». (éclats de rire) Par contre, sur l’album « Absolutely » (1980), une chanson comme « Embarrassment » commençait à parler de mélanges raciaux. « Baggy Trousers » aussi, c’était politique, non ? (rires) A la même époque il y avait le « Another Brick In The Wall » des Pink Floyd, mais ça ne valait pas tripette. « Baggy Trousers » (pantalons baggy), voilà qui était une vraie profession de foi !

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