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Patrick Eudeline – Interview

Nous revoici pour une troisième entrevue avec Patrick Eudeline dans son domicile parisien. Depuis notre dernière rencontre, à la sortie de son album, pas mal de choses ont bougé pour le dandy punk. Changement d’ambiance dans ses concerts, beaucoup plus intimistes, la direction d’une collection chez Scali, le nouveau roman qui va bientôt apparaitre et dont il nous donne des éléments en avant-première… Et beaucoup de questions qui me taraudent depuis… oh, peut-être sept ans ? Tout cela justifiait de retrouver Patrick pour cet entretien. Habillé comme Keith Richards en 1965, comme de bien entendu…

Patrick Eudeline par Julien Bourgeois

Il y a encore deux ans, tu donnais des shows très électriques, avec simplement un titre acoustique en ouverture. Aujourd’hui, ton set entier est axé sur des titres folk, avec des guitares acoustiques. Pourquoi ce changement ?

Il y a deux raisons qui se sont mélangées : d’abord j’avais envie de ça; il y a un côté, en acoustique, tu te plantes, tu es mort, il y avait un côté défi qui m’amusait. Et puis aussi un truc pratique que j’avoue sans problème : faire vivre un groupe, c’est l’enfer, j’en avais marre, avec des musiciens qui sont là parce que je sais qu’ils m’aimaient bien, toujours pleurer pour la thune, parce que quand tu joues à Paris, bon… Alors quand ce sont des trucs promotionnels, ça va, avec ton groupe, mais après, pour le reste… Et puis il y a un vrai désir d’acoustique à la base, j’écoutais beaucoup de folk à ce moment-là, enfin j’en ai toujours écouté, mais j’en écoutais beaucoup au moment où j’ai pris cette décision de faire ça. C’est vrai aussi qu’après, on peut gloser sur l’état du spectacle live en France, des conditions, tu n’as plus d’intermédiaire avec le tourneur, tout ça, le gros système, c’est assez compliqué comme ça. Donc là, ça a un côté agréable, tu te balades en voiture, du coup tu gagnes plus parce que tu ne partages pas (rires). Mais il y avait un truc de folk à la base, et puis en plus le rock me gonfle. Ce qu’on appelle aujourd’hui « le rock » en général, je préfère encore écouter Michèle Torr, ou n’importe quoi de préférable à ce que les gens appellent « rock ». Des trucs comme Silmarils ou Rage Against The Machine, pour moi c’est martien. J’avais tellement peu d’affinités avec ça que les guitaristes finissaient par m’énerver. Pour moi, c’était affilié à tout un monde qui me déprime, et quand je dis « déprime », c’est le mot réel. Quand j’allais dans une boutique d’instruments de musique à l’ancienne, qui vendent des saxophones, des trucs pour les étudiants du conservatoire, j’en ai encore vu récemment à Barcelone, j’étais content. Mais quand je rentre dans une boutique avec plein de guitares pointues, déjà je suis paumé d’avance. Donc, en prenant la guitare acoustique, il y avait aussi un côté manifeste contre tout ça. Je suis écarté entre la pop et le blues, pour faire court, qui sont vraiment les deux choses qui comptent, je peux aller de Robert Johnson à Chantal Goya, si personne ne voit le rapport, moi je le vois (sourire). Mais le rock, non… bien évidemment, je ne parle pas des Small Faces ou des choses comme ça, mais ce qu’on appelle rock aujourd’hui, des Hush Puppies aux Zutons, je m’en fous. Ce n’est même pas que je m’en fous, c’est que ça m’énerve.

On y voyait aussi un réflexe de Mods, à partir du moment où ce qu’on a aimé a été démocratisé, on part un peu dans la voie folk, pour rester pur et intègre…

Bien sûr qu’il y a un truc comme ça, même si c’est inconscient, ça existe, c’est vrai. Je crois que c’est un réflexe normal. Mais je crois qu’il y a un truc dans la guitare acoustique qui me fascine depuis que je suis adolescent, lorsque tu la prends et tu joues, c’est que tu ne peux pas mentir. En électrique, tu oublies les paroles, tu chantes en lavabo, tu es désaccordé, tu appuies sur la fuzz, tu as toujours des manières de tricher, sauver la salade. En acoustique, tu es vraiment à nu. J’ai fait récemment un concert à Reims, dans une sorte d’immense cave, qui fait aussi galerie d’art, où on vendait des fringues mod et tout. Il y avait la sono, mais il y avait aussi une telle réverbération naturelle que j’ai carrément quitté le micro et je me suis mis devant les gens pour jouer, sans aucun artifice… Il y a un désir de vérité, complètement à l’opposé de toute la direction que prend la musique, le système, le business, et je pense qu’il faut lutter contre. Ce n’est même pas une question d’appréciation personnelle, je pense qu’il faut lutter contre de manière générale. Et puis, tous les bons savent faire ça, pour moi c’est ça qui fait la différence. J’ai participé à un truc il y a trois-quatre jours, c’était censé être acoustique pour tout le monde, et j’ai entendu : « Ah ben oui, mais je peux ramener un petit séquenceur ». Ah bon, pourquoi, tu sais pas jouer ? En musique classique, tu sais jouer du violon ou pas, tu dis pas « je peux ramener un sampler, je vais ramener une partie de violon que j’ai enregistrée sur Beethoven. » (rires).

Tu commences aussi à composer pour les autres, comme Gainsbourg en son temps ?

Par superstition, je ne veux pas en parler, parce que les disques doivent commencer à sortir, et il suffit que j’en parle pour que ça ne marche pas. Mais c’est en effet une activité importante en plus d’un défi. Et si ça peut me permettre de gagner un peu de blé, ce n’est pas plus mal. Mais en plus, je commence à comprendre que ça ne peut pas arriver, c’est-à-dire que même si la chanson est bien, il y a tellement de choses qui rentrent en ligne de compte qu’il vaut mieux être cynique et machiavélique dès le départ, sinon tu n’arrives à rien, tu déprimes et tu te tires une balle. Vu comment ça se passe avec les problèmes d’édition, avec en plus le marasme des maisons de disques, tout un tas de raisons. Même lorsque c’est pour quelqu’un que tu adores, j’adore Nicoletta, mais je sais qu’elle ne pourra pas avoir d’album de blues splendide avec moi ou avec des amis que je lui présente pour plein de raisons. De la même manière, on ne pourra pas faire un chef-d’œuvre demain pour Chimène Badi, tout simplement parce qu’elle ne le prendra pas, elle ne comprendra pas. Par exemple, Dominique Walter a pris pour un tas de raisons « Plus dure sera la chute » de Gainsbourg, sans comprendre, ou « Les papillons noirs ». Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Ce qui arrive maintenant, c’est que tu en arrives à forcer ton « talent » entre guillemets en te disant « je sais le faire ». D’ailleurs j’ai dû m’arrêter en route à un moment pour une chanson, parce que je suis dit « si ça continue tu vas faire un reggae pour danser sur la plage en tongues », rien que pour prouver que je sais le faire (rires). Je me suis dit que ça pourrait être mal interprété, et il faut savoir ne pas pousser le paradoxe trop loin. Et puis, à l’arrivée, ce serait quand même une chanson de merde ! (rires)

Un nouvel album est en préparation ?

J’en ai envie, mais en même temps, je veux qu’un roman sorte avant, pour de pures raisons de business. Actuellement, tu es obligé de penser comme ça, sinon tu n’existes pas, sinon ça ne sert rien. Enfin, ça ne sert à rien, disons que tu vas plaire aux gens qui t’aiment déjà, en gros. C’est toujours mieux que de les décevoir, tu vas me dire. Ce serait presque un acte prétentieux de ma part, en disant, « je fais ce que je veux, je suis le meilleur et je vous emmerde ». Pour ma part, je n’ai jamais cru à ça. Donc j’attends un peu.

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