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Disques

V/A – Tricatel Rare

V/A - Tricatel rare

Tricatel, le label de Bertrand Burgalat, fête ce mois ci ses quinze ans et publie pour l’occasion une compilation de raretés pleine à craquer de sucreries pop dont il serait dommage de se priver en ces temps de sinistrose ambiante. Car disons le clairement : si Tricatel n’avait pas vu le jour au milieu des années 90, la pop française de ces dernières années aurait été bien morose, manquant cruellement de fantaisie et d’originalité. Pour faire un peu d’autocitation et résumer brièvement l’aventure, disons que Bertrand Burgalat est peut-être l’un des derniers compositeurs-arrangeurs-producteurs français à posséder une véritable vision artistique de la pop music. Le mot d’ordre des productions de sa maison de disque idéalisée : « gravité profonde et légèreté sonique ». A ce jour, malgré sa situation économique précaire heureusement réalimentée en permanence par les droits d’auteur du patron, Tricatel a publié une trentaine de disques, du fantasmagorique « Triggers » d’April March aux déluges soniques et psychédéliques d’A.S Dragon, en passant par les poèmes sonores des écrivains Michel Houellebecq ou Jonathan Coe.
Cette musique populaire, à la fois naïve et référencée fait de Tricatel l’équivalent français de labels comme la Compact Organization créé par Tot Taylor en 1981 ou du méconnu él Records, dirigé par le « metteur en son » anglais Mike Always ; deux structures dont Burgalat est fan absolu. Ces fortes personnalités partagent la même ambition : produire une pop intemporelle et fantasmée, loin des canons habituels de l’indie rock. Plus clairement : être l’alternative de l’alternative. Il est d’ailleurs marrant de voir comment, depuis le début, Burgalat s’inspire de la vision de Mike Alway en multipliant les sorties autour de l’esprit du label (« Tricatel Initiation », « Au Coeur de Tricatel », « L’âge d’Or de Tricatel »…) comme le faisait él Records à l’époque (« él Legendary B-Sides », « Bellissimo ! él Singles », « Abracadabra él Rarities »).

Mais revenons à nos moutons : quinze années donc, l’heure du bilan. « La musique Tricatel a l’air superficiel mais elle est sentimentale, c’est « une caravelle aux voiles fléchies par l’Esterel, une féerie de nappes en papier et de cœurs qui chavirent sous les tonnelles de l’hédonisme » pouvait-on lire sur les pochettes des premières compilations du label. Alors qu’est devenu ce Tricatel des débuts, trop vite étiqueté « easy listening » et « kitsch » ? Et bien il n’a cessé d’évoluer sans jamais faire de concession aux modes passagères (successivement la French touch, le retour du rock rétro et la nouvelle chanson française), ni céder aux sirènes de la hype (les soirées du bowling de l’avenue Foch délocalisées à Saint-Ouen). Tricatel c’était et c’est encore une musique sophistiquée qui revendique ses influences et s’en sert sciemment pour créer quelque chose de nouveau. Tricatel, c’est aussi une certaine idée du show-biz hérité des seventies avec des personnalités qui gravitent autour de son astre, aussi bien journalistes (Yves Adrien, Philippe Manœuvre, Jean-Emmanuel Deluxe), qu’écrivains (Pascal Mounet, Mathias Debureaux, Elisabeth Barillé, Jacques-Jacques Schuhl) ou célébrités (Katerine, Helena Noguerra, Vanessa Seward, Robert Wyatt, Alain Chamfort).

On retrouve bon nombre de ces personnalités dans ce « Tricatel Rare » qui compile lives, inédits d’artiste maison, titres pour la publicité, remix, interludes et autres excentricités made in Tricatel. En première ligne, il y a l’égérie April March qui reprend de sa voix mutine le « Mon Ange Gardien » de Chantal Goya et Mickey Baker ou chantonne son irrésistible « Mignonette » en live. Puis il y a A.S Dragon, la charnière centrale du label que Burgalat a créé de toute pièce pour pouvoir disposer d’un groupe maison comme à la grande époque des écuries Motown ou Stax. Avec Natasha (« Everybody’s Got to Learn Sometime ») ou sans (« Agio »), le gang emmené par la furie Hervé Bouétard à la batterie était à l’époque une machine infernale qui renversait tout sur son passage avant d’exploser en plein vol. Plus loin, il y a l’ultra créatif Etienne Charry (ex-membre de Oui Oui avec Michel Gondry), les talentueux et honteusement ignorés suédois d’Eggstone, le mystérieux « russe noir » nommé Count Indigo, la malicieuse Valérie Lemercier que l’on ne présente plus (ex-girlfriend du patron) ou l’admirable Louis Philippe, très proche de Burgalat sur bien des points.

Justement, parlons de la musique de Bertrand Burgalat, bien évidemment très représentée dans la compilation. Un inédit en compagnie d’April March composé pour la promotion d’un parfum (le charmant « RosEros »), une ballade analogique avec Nicolas Dufournet baptisée « HLM » qui vaut largement le AIR de la période « Moon Safari », une relecture spatiale d’un titre de Ladytron (« He Took Her to a Movie ») ou un live planant époque « The Sound of Music »… on retrouve ce même mélange de sonorité vintage et de techniques musicales contemporaines ainsi que cette ambiance solaire et méditerranéenne, gaie en apparence mais mélancolique en profondeur, qui irradiait déjà les « Kim » et « Jalousies et Tomettes » du début de sa carrière. Sans oublier ce sacro saint groove blanc aux lignes de basse exquises. « J’ai tenté de reproduire ce que j’imaginais lorsque, enfant, je regardais les pochettes des disques de Sun Ra et Miles Davis… une sorte de space opera africain », expliquait Burgalat à l’époque, affirmant ainsi son goût pour les structures musicales complexes et les canevas harmoniques vicieux. Une véritable marque de fabrique.

 

Au final, seule fausse note dans cet ensemble assez disparate qui se veut pourtant cohérent : les – inutiles – nombreux remix, au son un peu tapageur, qui dénotent avec l’ensemble et qui semblent faire office de remplissage. Pour le reste, c’est du tout bon. On est à présent curieux de savoir vers quelle direction s’orientera à l’avenir Tricatel et si sa musique parviendra enfin à toucher un hypothétique « grand public », objectif affiché dès l’origine par un capitaine Burgalat qui, malgré l’inertie et le cynisme qui règnent dans l’industrie du disque et des médias, maintient le cap contre vents et marées. Chapeau !

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