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Wilfried*- Matrice

Wilfried* - Matrice

Wilfried*, notre M. Kaplan français, a accouché d’un bien beau bébé, un écrin pour ses chansons, nommé « Matrice ». Cet album est un concentré de pop de haute volée, réfléchie et réflexive, qui joue au billard à trois bandes avec les références, les idées, la littérature, le cinéma ; sans oublier les mélodies, l’immédiateté, voire le groove. Disons-le tout de suite, c’est un tel chef d’œuvre qu’on laisse (un peu) de côté le rejeton de la grossesse gémellaire, le pendant anglophone « Patrice ».

Prenons le joyau qui irradie l’ensemble, le tube krautrock « Matrice » et ses 7’45 qui nous entraînent dans un tunnel bleu nuit bordé par la basse caoutchouc de Jérôme Laperruque, grand amateur de virées nocturnes s’il en est. « Matrice », voilà le genre de titre puissant, couillu, qu’on aurait plutôt tendance à trouver outre-Rhin (outre canal à la rigueur). À l’écoute de « Matrice », on ne rigole pas. A priori. Et puis on écoute les paroles qu’on trouve d’abord rigolotes (comme un lointain écho des zazous Katerine/Burgalat). Et puis, finalement, on rit de plus en plus jaune. « Matrice », c’est l’angoisse nocturne qui prend corps.

« Dexterine » écrit par Chloé Delaume rappelle « Trouble Everyday » (peut-être même Dexter), convoque Lewis Carroll, tire, en passant, une petite crotte de nez sur Delerm  (« l’amour refroidit comme le thé », n’est-ce pas Vincent ?) et détourne les sons pour construire une ritournelle morbide nous évoquant rien de moins que celle qui conclut le « Voyage d’Hiver » de Schubert.

De ritournelle, cette fois deleuzienne, il semble être question également dans « La Revenante », ode-devinette fantomatique en mode new wave très élégante et tout à fait de saison. À chacun ses démons de minuit.

Tel un Katerine qui aurait cessé de jouer avec son caca, Wilfried* sait nous enchanter avec des objets du quotidien et fait chauffer le dance-floor avec « Mes Belles Tennis », un hymne synthétique post-situationniste qu’on aimerait entendre dans toutes les bonnes soirées. On y apprécie une production implacable portée par des cordes de harpe qui se diffusent au fil de la chanson. Faut-il y voir la harpe comme une métaphore musicale du spectacle diffus et la rythmique électro martiale en spectacle concentré ? Les deux mamelles de chaque bord ? Difficile de souscrire au programme « nous vaincrons le capitalisme par la marche à pied » tant les manifestations ressemblent de plus en plus à des processions de pénitents, mais on veut bien y croire.

C’est embêtant de relever des références pour un artiste qui n’aime ni les influences, ni le jeu des sept familles (il préfère le jeu de l’oie), mais le tube « Le Yoyo » nous fait immanquablement penser à Dominique A et à sa reprise des « Enfants du Pirée », dépolie par le « Kokomo » des Beach Boys. Bombinette pop, ce yoyo amoureux est un régal de jeu de langage et de jeu musical plein de petites trouvailles soniques à l’image de ce petit blip percussif, volé à la messagerie de facebook, qui réapparaît par moments !

Autre jeu, les je multiples du texte gnostique « Le tonnerre, intellect parfait » admirablement récité par la comédienne Anne Steffens sur un tricotage de percussions-pulsations électro/entrelacs de guitare. Le genre de titre à suivre pour son texte, pour sa musique ou pour l’ensemble, comme « The Gift » du Velvet.

On apprécie de se lover dans les cascades douces d’ »Un Baiser », titre programmatique de l’album, rythmé par son électrocardiogramme (surtout ne pas penser à Katerine) et ses douces transitions, reflet musical du train de paroles qui nous fait passer par toutes les formes du langage figé : formules toutes faites, conjugaisons (déclinaisons ?) et proverbes réversibles (puisque décidément tout est aussi son contraire).

« La langue des oiseaux », tout en écho psychédélique, porte le texte le plus chiadé sous la forme d’une variation pop dérivée d’ »Au clair de la Lune », contrepoint parfait du final et minimaliste « Dans les bois », son « Black Bird » à lui (les Beatles sont ici partout chez eux), modeste et rêveur.

« Matrice » concourt au titre du plus bel album de pop chanté en français, sérieux, réfléchi aussi léger que profond. Avec « Matrice », Wilfried* a gagné une nouvelle étoile.

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