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Nova Heart – Interview

Nova Heart est le projet d’Helen Feng, artiste au CV bien rempli, qui sort un premier album sombre et profond. Interlocutrice passionnante et affable, elle nous parle de la lente création de l’album, de ses doutes et de sa passion pour le storytelling.

 

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L’album a été produit par Ed Rodion, un producteur italien, ce qui parait plutôt inattendu puisque vous habitez très loin de l’Italie ! Comment en êtes-vous venue à collaborer ensemble ?

Je sortais d’une grosse tournée en Europe avec mon groupe précédent (Pet Conspiracy, NDLR). J’avais une série de morceaux que je ne me voyais pas enregistrer avec eux, j’ai donc décidé de quitter le groupe. C’est à ce moment que l’idée de me lancer en solo et de travailler avec des gens loin de la Chine a commencé à germer dans ma tête. Ne restait plus qu’à trouver les bonnes personnes (rires). Après des recherches peu fructueuses, j’ai fini par me rendre à Istanbul pour une dernière tentative. La ville ayant une scène nocturne très animée, je me suis retrouvée à une soirée où Rodion était DJ. Je connaissais déjà Gomma, son label. Sa mère habitant là-bas il fait beaucoup d’aller-retour entre l’Italie et la Turquie. Bref nous avons discuté pendant cette soirée et tout est parti de là. C’était une chance inouïe de le rencontrer.

Ton premier EP “Beautiful Boys” est sorti en 2012. Depuis, tu as recruté deux membres (Bo Xuan et Shi Lu) et donné beaucoup de concerts, mais vous n’avez rien publié avant ce premier album. As-tu travaillé sur le disque pendant ces trois années, ou t’es-tu laissée absorber par d’autres projets ?

Je m’occupe également d’une agence de booking en Chine, mais cet album et les tournées du groupe ont occupé la majeure partie de ces trois années. Nous avons modifié le projet tellement de fois. Nous avons travaillé avec des gens de l’extérieur, creusé différentes pistes. Il fallait jongler avec les agendas de chacun, les coupures liées aux tournées. A chaque pays visité, nous nous inspirions de la musique locale et avions envie de tout reprendre à zéro (rires). Et va savoir pourquoi, soudainement tout a pris sens, comme si toutes nos idées avaient été résumées en une seule. A partir de ce moment, tout est allé très vite.

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Justement, le passage du groupe à Madagascar semble avoir changé profondément le groupe, pourrais-tu nous dire pourquoi ?

Nous avons eu l’occasion de jamer avec Silo, un artiste très influent là-bas. Sa section rythmique puise ses influences en grande partie dans les musiques africaines et asiatiques. Les sonorités étaient tellement organiques. Nous étions ébahis, comme des enfants qui découvraient quelque chose de merveilleux pour la première fois. Même si nos rythmiques étaient déjà enregistrées, quand nous sommes rentrés à la maison, nous avons tout mis à la poubelle car nous voulions qu’elles sonnent plus africaines et caribéennes. Ayant grandi à la Nouvelle Orléans, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau car soudainement, toute la musique que j’avais écoutée enfant imprégnait mes morceaux. Quand Rodion, notre producteur, a entendu ces modifications il nous a dit :”C’est quoi ce bordel, vous avez encore tout modifié !” (elle explose de rire).

Le groupe a beaucoup voyagé grâce à ses tournées !

Nous avons un avantage énorme par rapport à des groupes européens ou américains, c’est que nous sommes Chinois et ça nous ouvre beaucoup de portes. Nous sommes une sorte de groupe exotique pour le reste du monde (rires). Quand d’autres sont forcés de se plier aux règles de l’industrie du disque et d’enchaîner les concerts, on nous autorise toujours à passer un peu de temps pour découvrir les pays où nous nous rendons. Ce temps libre apporte beaucoup au groupe musicalement et spirituellement.

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Tu as affirmé récemment te considérer plus comme une “Storyteller” qu’une musicienne. Pourrais-tu nous en dire plus ?

Je voulais devenir écrivaine quand j’avais 18 ans. Mon père m’a dit “Tu as 18 ans, tu ne connais rien à la vie, sur quoi vas-tu écrire ? Sur le fait que tu détestes l’école et que tu te sens oppressée par tes parents ?” (rires). Il savait de quoi il parlait. Il a grandi en Chine pendant la révolution culturelle, et son père a été assassiné pendant cette même révolution. Il a également été un héros de guerre. Il a été déplacé en Mongolie à l’époque où Mao Tsé Toung envoyait les enfants à la campagne. Il y est devenu éleveur de chevaux. Tout ça pour te dire qu’il avait raison, il me fallait une vie plus riche avant d’envisager d’écrire quelque chose d’intéressant. Le 11 septembre a été le moment où tout a basculé pour moi. Je vivais aux Etats-Unis à l’époque et j’ai vécu ce drame comme un traumatisme. J’ai plaqué mon job de bureau pour commencer à vivre comme je l’entendais. Cela fait maintenant dix ans que des chapitres de ma vie se retrouvent dans des chansons, le nouvel album est le reflet des trois dernières.

L’album a donc été abordé comme une histoire avec plusieurs chapitres ?

Oui ! Il a été abordé comme un thriller. L’album est très sombre car il est représentatif des personnes que nous étions pendant son élaboration. Nous traversions toutes et tous des moments sombres. Je ne souhaite pas rentrer dans les détails, mais on retrouve beaucoup de ressentis de nos dépressions et de la confusion qui en résulte (silence). Il y a beaucoup d’émotions enfouies dans chacun des titres. Dans ces conditions il était inenvisageable de faire un album classique avec trois singles très travaillés et 7 titres qui sont plus ou moins du remplissage pour mettre toutes les chances de notre côté avec ce premier disque. J’ai tellement entendu d’albums copiés sur ce modèle quand j’étais DJ… Nova Heart a été conçu comme un film. Le générique de début étant “Drive To Our End” qui parle de la peur de l’apocalypse que nous avons tous enfouis au fond de nous à cause des dérives de la société devant lesquelles nous sommes impuissants. Ce qui se passe en Syrie en est le parfait exemple. “LacklusterNo” introduit le personnage principal avec une musique minimaliste pour que l’on se focalise sur ma voix. Et ainsi de suite jusqu’au dernier morceau “Dancing Barefoot”. Nous savions comment l’histoire commençait et se terminait. Nous avions aussi l’interlude en tête pour laisser le disque respirer avant d’attaquer la deuxième partie du film. Nous avons construit le reste autour de ces fondations. J’ai eu la chance d’être entourée par une équipe vraiment créative pour concrétiser ce que j’avais en tête. Chacun apportait sa pierre à l’édifice.

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Serais-tu tentée de composer une musique de film plutôt qu’un autre concept album ?

On me l’a demandé à plusieurs reprises, mais je ne sais pas si j’en suis capable car je n’ai jamais travaillé sur des orchestrations. J’aime aussi avoir un contrôle total de mon travail, et une musique de film demande des concessions. Une bande originale de film demande énormément de travail, et je peux me transformer en véritable terreur, mais de façon professionnelle je te rassure (rires), si je m’affronte avec quelqu’un de l’extérieur pour défendre mes idées. De plus comment s’assurer que le film sera bon avant de s’engager ? Si l’on retrouve un Kubrick inédit je me porte volontaire. Mais je devrais alors mener une bataille entre mon égo et la peur de ne pas être à la hauteur (rires).

Tu as dirigé toi-même la vidéo du single “LacklusterNo”, pourrais-tu nous parler de cette expérience ?

C’était fantastique, une des plus belles expériences de ma vie. Je n’ai travaillé qu’avec des femmes. Nous étions une équipe de quatre, dont Solveig Suess qui a créé la pochette de l’album. Des gens ont commencé à entendre parler du projet et nous avons reçu plusieurs sollicitations pour se joindre à ce noyau dur. Nous nous sommes donc retrouvé avec des bénévoles à tous les niveaux, production, design etc. Et en plus tout le monde avait déjà travaillé dans le milieu du cinéma. Je peux t’assurer que les clichés persistants autour des femmes soit disant moins professionnelles et résistantes que les hommes sur les tournages de films c’est n’importe quoi. Jamais je n’avais travaillé avec une équipe aussi compétente. Nous avions un budget quasi nul et nous avons pourtant réussi à donner l’impression que le clip a été produit à Hollywood (rires). Et tout ça en deux jours de tournage car nous avons réussi à mélanger créativité et efficacité. Je rêve de travailler avec eux à nouveau pour la vidéo de “Drive To Our End”, mais ils sont tous très demandés. Je vais essayer de réaliser une vidéo pour chaque titre du disque.

 

Crédit photos : Nina Airtz

Merci à Florian Leroy

 

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