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Interviews

The Monochrome Set – Interview

S’il est un groupe qui mérite le qualificatif tant galvaudé de “culte”, c’est bien The Monochrome Set. Quarante ans après leurs débuts – avec deux longs hiatus, dans la deuxième moitié des années 80 et dans les années 2000 –, ces Anglais aux origines diverses continuent à sortir des disques (plus que dignes, notamment le dernier, “Spaces Everywhere”) et à donner des concerts (enthousiasmants). Même le départ il y a quelques mois de son guitariste d’origine, Lester Square, élément clé du son si singulier de la formation, ne semble pas l’avoir ébranlée.

Le Monochrome Set, c’est aujourd’hui plus que jamais Bid, chanteur, guitariste et auteur de la plupart des morceaux. Approchant la soixantaine, ayant connu ces dernières années quelques sérieux pépins de santé, l’homme affiche la sérénité amusée et le détachement de ceux qui ne courent plus après la gloire et se satisfont de ce que chaque jour leur apporte. En l’occurrence, une interview suivie de quelques dédicaces et d’une séance photo, une fin d’après-midi ensoleillée après plusieurs jours de pluie, dans un jardin public près de la Maroquinerie où le groupe doit donner un concert quelques heures plus tard. Des gamins tournent à vélo, des vieux papotent, et tout resplendit : le cadre idéal pour converser avec un modeste Midas de l’indie pop, qui porte un regard lucide mais sans amertume sur son parcours hors norme. (V.A.)

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Quand tu as commencé à écrire des chansons il y a 40 ans, t’imaginais-tu faire encore ça aujourd’hui ?

J’ai commencé à composer en 1974 ou 1975, quand j’étais encore au lycée. Je ne pensais pas au futur alors : tu ne t’en préoccupes pas quand tu es un artiste et que tu te concentres sur ton art. Au bout de quelques années, tu t’aperçois que tu n’arriveras jamais à t’échapper de cette “église” qu’est la musique. Tu vis au jour le jour en espérant ne jamais devenir banquier ou comptable (rires). La reprise de ”He’s Frank” chantée par Iggy Pop est ce qui m’est arrivé de plus étrange. Ce titre a relancé nos carrières respectives. Ce qui était plutôt inattendu et plaisant, car avec Lou Reed il était ma seule “semi-idole” aux débuts du groupe. Tous les compositeurs pensent qu’ils sont brillants et que tout leur est dû. Alors, quand un peu de succès arrive enfin, on ne va pas se plaindre car ça nous évite de rester aigri. (rires)

Tu as affirmé qu’aux débuts du Monochrome Set, tu ne prêtais pas attention à la scène musicale de l’époque. Est ce toujours le cas avec la scène actuelle ?

Oui. J’ai toujours préféré regarder dans le rétroviseur. Par exemple, le titre “Waiting for Alberto”, sur l’album “Platinium Coils”, contient un passage qui sonne très “Hot Club de France”. A nos débuts nous nous inspirions de beaucoup d’artistes différents car nous ne voulions pas avoir un son spécifique. Nous faisions partie du mouvement new wave qui cherchait à se distinguer du punk. Nous essayions de réévaluer la musique avec une approche et un angle qui nous étaient propres. Si tu as ces objectifs, la dernière des choses à faire est de t’inspirer de ce que font les groupes de ta génération. Tu dois trouver ta propre voie.

C’est peut être la raison pour laquelle la musique du groupe traverse aussi bien les époques ?

Je l’espère, mais il y a certainement d’autres groupes qui n’y prêtaient pas attention non plus à l’époque et qui sonnent daté aujourd’hui (rires). Il y a certainement une part de chance mélangée à une part de talent. Je ne me préoccupe pas vraiment de ce genre de choses, mais si certains de nos anciens disques sonnent comme s’ils avaient pu sortir le mois dernier, alors tant mieux. Je compose sans calcul, sans vraiment réfléchir. Vous savez, il m’arrive parfois d’être persuadé d’avoir écrit un titre au-dessus de la mêlée, que tout le monde va adorer. Mais quand le disque sort, je me prends la réalité en pleine face. (rires)

Même si cela était en grande partie ironique, le Monochrome Set était-il un groupe plutôt “middle class”, par opposition au punk qui se revendiquait davantage “working class” ?

Le plus ironique est surtout que la majorité de ces musiciens cachaient bien le fait qu’ils étaient des gamins issus de la classe moyenne. Oui, nous étions nous-mêmes “middle class”, mais je connaissais de toute façon très peu de gens issus de la classe ouvrière qui jouaient dans des groupes, simplement parce qu’ils étaient très peu nombreux. Il faut se rappeler qu’à l’époque, en Angleterre, on te payait pour aller à la fac. Beaucoup ont donc passé trois années en école d’art en se la coulant douce. Ils logeaient gratuitement dans des squats, jouaient dans des groupes. Une semaine avant leur examen, ils produisaient une oeuvre ridicule et on leur donnait leur diplôme ! (rires)

Tu as récemment communiqué le Top 10 de tes albums préférés au site Louder Than War. Pour rappel, voici tes choix : Yes, Genesis, Cream, Judy Garland, Lou Reed, Taste, le Quintette du Hot Club de France, Jacques Brel, The Monkees et le Velvet Underground. Yes et Genesis sont des choix plutôt inattendus ! As tu pioché dans certaines de leurs idées pour les adapter au Monochrome Set ?

J’étais récemment à un festival pendant lequel j’ai discuté avec Rat Scabies, le batteur des Damned. Il me parlait de son amour pour Genesis et du talent de Phil Collins en tant que batteur. Mais à l’époque, il n’aurait jamais osé me l’avouer. Quand je jouais dans Scarlet’s Well, j’ai dit un jour à un membre du groupe, lorsqu’il calait sur la façon d’aborder un titre vocalement, qu’il devrait le chanter dans le style des Eagles. Qu’est ce que je n’avais pas été dire là ! (rires). Je lui ai expliqué qu’il fallait écouter avant de critiquer. Si ces gens en sont arrivés à ce niveau, c’est aussi parce qu’ils avaient un certain talent. Certes, il y a à boire et à manger chez certains de ce groupes, mais il y a aussi des titres fantastiques. C’est comme un peintre qui se rend à une exposition dans une galerie. Plutôt que de juger de la qualité des tableaux, il y cherchera plutôt des idées qu’il pourrait exploiter dans son propre travail. Je n’ai aucune honte à dire que j’aime Genesis, même s’ils sont devenus ennuyeux par la suite. Mais tout le monde devient ennuyeux au bout d’un moment. A part moi ! (rires)

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Quand on écoute tes premières chansons, on a l’impression que Lou Reed, le Velvet Underground, et plus largement tout ce qui tournait autour d’Andy Warhol étaient de grosses influences.

C’était une partie de mes influences, en effet. Quand j’étais encore au lycée, j’écoutais un peu la même musique que tout le monde, du punk rock. Et tout d’un coup, j’ai découvert le Velvet Underground. Tu sentais que des personnalités fortes se cachaient derrière cette musique très simple. Il s’en dégageait une puissance incroyable. Tout d’un coup, j’ai réalisé que sans être un super musicien, tu pouvais créer de l’art de haut niveau. Il suffisait d’être créatif et d’apporter un peu d’intellect. On me parle souvent de l’influence que le Monochrome Set a eue sur diverses formations. En fait, il s’agit simplement de vieilles recettes qui se transmettent de groupe en groupe.

Quelles sont tes sources d’inspiration aujourd’hui ?

Beaucoup d’artistes te répondraient qu’ils ne savent pas d’où leur inspiration vient. Je sais d’où vient la mienne car j’ai eu une rupture d’anévrisme. Et quand je me suis remis à écrire pour l’album “Platinium Coils”, un an et demi après, j’ai eu des crises. Toute forme de langage ou d’expression te semble alors étrangère, mais pourtant tu comprends ce que représente chaque chose. C’est un sentiment très étrange. Tout ce qui est autour de toi t’es familier, mais tu es incapable d’y coller un nom. Tu n’as plus aucun repère car ton savoir a disparu. Quand j’avais ces crises, j’arrêtais de composer car j’étais vidé de toute mon énergie. Un jour, j’ai pourtant tenté de continuer à composer, même si je n’avais aucune idée de ce que je faisais. J’écrivais juste sur un bout de papier. Je n’avais plus aucun contrôle de ma main. Quand je suis redevenu moi même, j’ai relu le bout de papier, et le résultat était comparable à mes textes habituels. Je me suis rendu compte que de toute ma vie je n’avais jamais rien écrit de moi même, que c’était quelque chose d’autre au fond de moi, comme une identité alternative qui s’occupait de l’aspect créatif. Tu te crées cette identité artistique quand tu es adolescent, et tu perds un peu le contact avec cette partie de ton cerveau par la suite. Tu te reconnectes avec elle quand tu lui demandes de s’orienter vers quelque chose d’artistiquement nouveau. Tout ça pour dire que si tu me demandes d’où viennent mes influences, je n’en ai pas la moindre idée (rires). Tout vient naturellement quand je suis dans le bon état d’esprit pour composer. “Jet Set Junta”, par exemple, a été composé en quelques minutes alors que le titre donne l’impression d’avoir été travaillé pendant des semaines. Je ne sais toujours pas de quoi « Eine Symphonie Des Grauens » parle réellement car tout est venu d’un trait, sans réelle réflexion.

C’est peut-être un cliché, mais beaucoup d’artistes disent que pour écrire de bonnes chansons, ils doivent se sentir tristes, malheureux. C’est aussi ton cas  ?

Non, pas vraiment. Bon, il faut vivre sa vie et éprouver des émotions, bien sûr. Il faut faire des choses, être au contact de gens, on ne peut pas écrire des chansons en étant sur une île déserte. Il faut habiter en ville, ou connaître une séparation douloureuse, avoir une attaque, se faire renverser par une voiture, que sais-je encore ? Les artistes disent aussi souvent qu’ils arrivent mieux à écrire tard le soir, ou tôt le matin, parce que c’est quand la conscience est assoupie, et qu’ainsi les idées viennent. Quand votre esprit est occupé par des soucis comme les assurances, les factures à payer, ou le coup de fil de votre mère, l’inspiration vient plus difficilement, elle est reléguée à l’arrière-plan car ces choses vous prennent toute votre énergie. [S’animant soudainement] C’est la même chose dans le sport, en fait ! Quand Zidane a donné un coup de boule à Materazzi à la Coupe du monde en 2006, c’était comme s’il était une autre personne, comme s’il avait une identité alternative quand il jouait. Quand on évolue à un tel niveau, il arrive sans doute qu’on se sache plus ce qu’on fait. C’est pour cela que certains sports peuvent être aussi beaux, aussi fantastiques, alors que les joueurs sont au fond stupides, et seraient incapables d’expliquer comment ils ont accompli leurs exploits. C’est comme si une fois sur le terrain, ils n’avaient plus conscience de ce qu’ils faisaient.

La composition du groupe a beaucoup évolué depuis votre deuxième reformation en 2010. Le guitariste Lester Square, l’un de ses membres fondateurs du Monochrome Set, est parti il y a quelques mois. Comment décrirais-tu la formation actuelle, et qu’est-ce que les nouveaux musiciens apportent au groupe ?

Avant même le départ de Lester, nous avions décidé d’intégrer un joueur de claviers, et avions demandé à John Paul Moran d’enregistrer avec nous le dernier album. Puis Lester est parti et nous nous sommes retrouvés pour les concerts avec une formule inédite, et intéressante  : une seule guitare, à douze cordes, claviers, basse, batterie. Je crois qu’à part l’une des incarnations de Camel [un groupe anglais de rock progressif, ndlr] dans les années 70, aucun groupe n’a jamais tenté cette formation. Disons que pour l’instant c’est un demi-succès. Ce n’est pas évident, mais il y a un aspect un peu expérimental qui est intéressant. Je joue donc moi-même les parties de guitare lead au lieu de Lester, ce qui n’est pas un problème car j’en ai écrit une bonne partie. C’est assez excitant, finalement  ! (sourire)

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Quelques mois après sa sortie, quel regard portes-tu sur le nouvel album, “Spaces Everywhere” ?

Je le trouve très bon. On l’a mixé à Hambourg, et il est peut-être un peu plus commercial dans le son que les précédents. Oui, j’en suis plutôt content. Même si quand un album est terminé, il faut déjà penser au suivant  !

Le treizième album…

Oui, le chiffre qui porte malheur ! (rires)

Et enregistrer le prochain sans Lester Square, c’est quelque chose qui te préoccupe ?

Oui, dans la mesure où il est quand même un élément essentiel du groupe. Mais il n’a plus le temps, et il avait prévu depuis un moment de prendre du champ. Je jouais déjà beaucoup de parties de guitare lead sur l’album précédent, “Super Plastic Cities”, et sur le dernier aussi.

Votre dernier album est paru sur le label allemand Tapete. Pourquoi cette décision ?

Depuis notre dernière reformation, nous avions sorti deux albums sur notre propre label, Disco Bleu, que nous réactivons sporadiquement. J’étais obligé de m’occuper de tout moi-même, ce qui est vraiment très prenant. Sur la tournée de l’avant-dernier disque, nous avons joué à Hambourg et deux types sont venus nous voir. Ils nous ont dit qu’ils étaient allemands, ce qui semblait logique, et qu’ils aimeraient nous signer. Nous avons rapidement accepté, et cela a rendu les choses plus faciles pour nous. Nous avons eu pas mal de presse pour “Spaces Everywhere” car le label est bien distribué en Europe, et que quelqu’un s’occupe vraiment de la promotion.

Vous avez été sur de nombreux labels pendant vos trente-cinq années de carrière. Lesquels vous ont le mieux convenu  ?

Les meilleurs moments furent probablement les six premiers mois sur DinDisc [filiale de Virgin sur laquelle le groupe a sorti plusieurs singles et ses deux premiers albums, en 1980, ndlr], ensuite le label est devenu trop commercial. Et la première ou les deux premières années sur Cherry Red : on s’amusait beaucoup, il y avait une bonne atmosphère avec des gens comme Mike Alway [qui allait fonder le cultissime label él records, ndlr]. Les choses se faisaient très facilement, nous nous comprenions et nous sentions compris, étions d’accord sur tout. De bons souvenirs. Je crois que c’est en 82-83 que l’on a pris le plus de plaisir à faire de la musique, avec Cherry Red donc. Une courte période dorée, avec un groupe de gens qui partageaient les mêmes intérêts. Les derniers vrais indés, avant que ça ne devienne de la merde… (rires)

Quand votre single “He’s Frank” a enfin connu le succès il y a quelques années, dans une version chantée par Iggy Pop et réalisée par Fatboy Slim, as-tu ressenti cela comme une revanche  ?

Une revanche ?! (sourire étonné)

Le terme est peut-être mal choisi, mais tu comprends l’idée…

Non non, c’est le bon mot (rires). En fait, je crois que Norman Cook avait déjà eu le projet il y a longtemps de reprendre ce morceau avec son groupe d’alors, ce devait être les Housemartins. Finalement, le projet avait été abandonné, mais lui n’y avait pas renoncé. Quand il est devenu Fatboy Slim, il a eu la possibilité de travailler avec qui il voulait, et il a produit un album avec des reprises chantées par divers artistes. Dont “He’s Frank”… C’est vrai que c’est une histoire étrange ! On ne m’a pas vraiment demandé mon avis, personne ne nous a parlé. On m’a juste dit qu’il était fan de la chanson et qu’il allait en faire une reprise. Quelques mois plus tard, elle était prête, et j’ai vu une vidéo sur YouTube car sa version a été utilisée dans la série “Heroes”. Et c’est très bien, finalement.

Une question totalement anecdotique  : te souviens-tu avoir joué avec Lester Square dans un clip pour la chanson “La Saison des mouches” du groupe français Les Objets, vers 1990 ? Le réalisateur était Tony Potts [qui s’est longtemps occupé des images animées au sein du Monochrome Set, ndlr].

Les Objets, oui oui. Mais je n’ai pas souvenir d’avoir tourné pour ce clip. Ce sont les ex-membres du groupe qui te l’ont dit ? Peut-être que Tony a simplement intégré des scènes qu’il avait filmées dans d’autres circonstances, et dans lesquelles je figure ? Je me rappelle juste avoir rencontré Olivier [Libaux, qui a ensuite lancé Nouvelle Vague avec Marc Collin, ndlr] il y a quelques années quand j’étais venu jouer à Paris avec mon groupe Scarlet’s Well, c’est quelqu’un de très sympathique.

Penses-tu que malgré son manque de succès commercial, le Monochrome Set a finalement eu une grande influence sur toute la scène indépendante ?

Je pense, oui, mais quelle influence précisément, je ne sais pas… Nous avons toujours voulu faire les choses à notre façon. Nos chansons ne sont pas fondées sur un simple et unique riff, elles ont beaucoup d’éléments, de petites mélodies, une certaine variété dans l’instrumentation… Nous avons cherché à explorer toutes les possibilités du songwriting, toute la richesse du format chanson. En cela nous avons pu servir de modèle, certains ont dû se dire qu’ils pouvaient le faire eux aussi. Mais il faudrait leur demander ! (sourire)

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