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Interviews

Money – Interview

Peu d’artistes renient aussi ouvertement l’œuvre qui les a fait connaître et qui a été accueillie avec enthousiasme par le public et les médias. C’est le cas de Jamie Lee, chanteur et parolier insatisfait du groupe Money, qui sombra dans la dépression et l’alcoolisme après la parution de “The Shadow of Heaven”. Une expérience qui a nourri “Suicide Songs”, un deuxième album venu du fond des tripes, forcément sombre mais troué de lueurs d’espoir. Cette superbe collection de morceaux à la fois amples et dépouillés, enluminés de cordes, affirme la place à part du groupe dans la musique britannique. A la fois tourmenté et affable, Jamie Lee nous raconte avec intensité la conception de ce disque et son amour pour les beautiful losers.

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Tu affirmes, avec le recul, ne pas aimer une partie du premier album du groupe. Qu’as-tu voulu apporter de différent avec le nouveau ?

Tout simplement de la meilleure musique. J’aime tellement peu “Shadow In Heaven” que nous n’en jouons plus que deux ou trois extraits sur scène. Je voulais que “Suicide Songs” garde l’esprit des maquettes enregistrées à la maison avec une simple guitare acoustique.

Le premier disque a pourtant été très bien accueilli, cela a-t-il rendu sa promotion difficile ?

Nous avons arrosé tous les médias pour qu’ils en disent du bien, à l’époque (rires). Recevoir des critiques négatives aurait était plutôt bon signe pour moi, car ça m’aurait conforté dans mon impression. Je ne vais pas non plus me plaindre car ce retour positif de la presse nous a donné confiance en nous, même si ça n’a absolument pas changé notre opinion sur le disque. Nous avons dû en assurer la promotion pendant deux ans alors que nous ne rêvions que de passer à l’étape suivante.

Si l’on se fie à la pochette du disque, au titre de celui-ci et aux paroles, peut-on considérer que ce disque a pu servir de thérapie ?

J’ai du mal à croire les gens qui enregistrent des disques et les présentent comme cathartiques. Ce genre d’annonce me rend immédiatement méfiant. Ma situation pourrait être pire, j’aurais pu devenir comptable et travailler dans un bureau. Mais j’ai fait le choix de devenir musicien, et j’en suis ravi. Par contre cela n’est pas sans incidence, car créer nécessite parfois de laisser entrer un peu de chaos dans sa vie. Quand tu traverses une de ces phases, tu n’es généralement pas l’homme plus heureux du monde. Parfois, quand j’ai l’impression d’avoir donné un mauvais concert, je passe le reste de la soirée complètement déprimé.

Pourtant tout, n’est pas totalement sombre et opaque dans ce disque. Cela semble être une spécificité anglaise que de toujours trouver une touche positive, une dose d’humour noir lorsque tout semble aller au plus mal. Es-tu d’accord ?

Pour moi, le fait de toujours donner une note d’espoir est profondément humain. La haine est déjà suffisamment présente dans la vie de tous les jours pour ne pas avoir envie d’en remettre une couche avec ses chansons. Je souhaite juste être le plus honnête possible dans mes textes. Les mélodies que je préfère sont celles qui alternent entre mélancolie et optimisme. Tu trouves parfois une sorte de soulagement dans la tristesse.

Ne te sens-tu pas en décalage avec la personne dont tu parles dans les textes de “Suicide Songs” ?

Je suis effectivement dans un état d’esprit différent depuis quelques mois. Je vais beaucoup mieux qu’à l’époque de la conception de l’album, même s’il me reste encore à travailler sur ma patience. J’ai perdu ma petite amie à cause des frustrations liées à notre premier disque et à mes problèmes de boisson. Le disque est marqué par cette période, mais ça fait partie du boulot d’en faire la promotion. Très honnêtement, ça ne me dérange pas du tout. Nous n’avons pas un sou de côté, mais nous adorons nous investir dans ce groupe.

Tu sembles passionné par l’écriture. N’envisages-tu pas de publier un jour un recueil de poésie ou de nouvelles, voire un roman ?

J’écris en permanence. A la fin de notre tournée, je vais prendre du temps pour faire du tri et regrouper mes écrits de façon cohérente. Une fois cette première étape effectuée, je vais réfléchir à ce que je pourrai en faire. Je suis littéralement passionné par les écrivains. Les mots m’obsèdent tellement que pour notre premier disque, la musique s’est retrouvée reléguée au second plan. Je dirige une petite société d’édition (Pariah Press, ndlr) et nous allons bientôt publier des poèmes d’une femme qui se promène dans Manchester en distribuant ses créations. Elle pourrait facilement passer pour une sans-abri et souffre de déficience mentale. Mais ses œuvres sont absolument superbes.

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Quel a été l’apport de Charlie Andrew, votre producteur, sur le son de l’album ?

Il a juste fait sonner mes maquettes comme des chansons (rires). Nous lui devons beaucoup. Nous n’avons pas dû être faciles à supporter car nous l’avons presque poussé à bout afin qu’il arrive à créer le son que nous avions en tête. Sans lui, nous n’y serions jamais arrivés. Il a aussi apporté la structure qui manquait à nos titres. Sa femme s’est occupée des arrangements de cordes. Ce sont avant tout ces sons orchestraux qui définissent l’identité de “Suicide Songs” et qui le rendent si particulier.

Tu as décrit l’album comme politique, ce qui de l’extérieur peut paraître surprenant. Pourrais tu nous dire pourquoi ?

Politique, mais avec un petit “p”. Les groupes politisés ont tendance à sous-estimer un peu l’intelligence de leur public. Comment peut-on se permettre de s’adresser à son public en lui affirmant qu’il agit de la mauvaise façon et qu’on va lui expliquer la vraie vie ? C’est l’opposé d’une conversation. On ne donne pas des leçons en tenant un monologue en assénant un discours. Quel manque de respect…

Quand tu affirmes que Money est un groupe à part, qu’il est difficile de le comparer à d’autres artistes, on ne peut que te donner raison. Comment définirais-tu le son du groupe ?

J’essaie de créer une distance entre nous et les auditeurs avec un son lo-fi. Nous y avons beaucoup travaillé avec Charlie notre producteur. Avant d’enregistrer, je lui ai fait parvenir des enregistrements des Dead Skeletons et de Darondo, un chanteur soul, pour qu’il se fasse une idée de mes envies. Charlie est un amoureux de sons de guitares contemporains. Nous avons donc travaillé dur pour arriver à une sorte de compromis entre nos envies et ses convictions. Il a su apporter de la clarté et ne pas rendre nos chansons trop opaques. C’est l’avantage des collaborations.

Tu as beaucoup écouté le troisième album de Big Star pendant la création du disque. Quel impact cela a-t-il eu sur “Suicide Songs” ?

Oui, et je regrette d’en avoir parlé car je me sens comme un magicien ayant dévoilé ses secrets (rires). J’adore le fait qu’individuellement ce soit d’excellents musiciens, chacun avec un style qui lui est propre. Ils semblaient animés par l’envie de remplir leurs chansons de vie, en se moquant des modes de l’époque. Les membres de Big Star n’ont jamais été des gens cool, et ils semblaient s’en moquer complètement. J’aime m’isoler et écouter de la musique la nuit. Big Star est le groupe parfait pour ce genre de moments.

Tu a également parlé de ton admiration pour Lawrence de Felt. Avec Alex Chilton de Big Star, ce sont deux artistes que l’on pourrait considérer comme des “beautiful losers”. Quasiment ignorés à leur époque, ils ont depuis influencé des générations de groupes et sont devenus cultes.

C’est vrai, et j’ai maintenant conscience du côté “romantique” de leurs échecs. Ils savaient qu’ils créaient quelque chose de particulier et de magnifique. Et pourtant, si l’on prend l’exemple de Lawrence, il habite aujourd’hui dans un logement social et sa santé mentale n’est pas au top. Il pensait qu’il méritait d’avoir du succès, à juste titre, mais ce n’est jamais arrivé. Comment veux-tu continuer à vivre normalement après ça… Quand tu penses à la beauté de ses textes : “If I could, I could change the world. But you know my visions, they’re absurd. And all my great plans get blurred” (extrait de la chanson “The World Is As Soft As Lace”, figurant sur l’album “The Splendor of Fear” paru en 1984, ndlr). C’est d’une honnêteté incroyable.

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Sur scène, vous êtes accompagnés sur la plupart des morceaux par une violoniste et un violoncelliste. Aimerais-tu jouer avec un orchestre complet, ou as-tu peur que cela ait un aspect trop pompeux ?

Non, je ne pense pas que cela arrivera un jour, ce serait effectivement trop pompeux !

En live, quand tu joues des morceaux seul, tu t’interromps souvent, parfois tu n’arrives pas vraiment à les finir. Est-ce parce que les émotions sont trop fortes, ou parce que tu réalises soudain combien le fait d’être sur scène et de jouer tes chansons pour un public est, au fond, bizarre ?

Je me considère comme un amateur. Tu dois faire référence au rappel du concert d’hier soir. Ce n’était que la seconde fois que je jouais ce titre (“Black”, qui clôturait le premier album, ndlr) depuis trois ans. Je tente souvent de nouvelles choses et ça passe ou ça casse. Hier, je n’ai pas été chanceux (rires). Si tu sens que le public est derrière toi, tu es plus enclin à prendre ce genre de risques.

Tu disais sur scène en plaisantant que vous étiez un énième groupe déprimant du nord de l’Angleterre, ou quelque chose de ce genre. Cela rappelle ce single des Smiths, “Heaven Knows I’m Miserable Now”, qui était assez ironique. C’est une préoccupation pour toi de ne pas tomber dans les clichés ?

Si je voulais écrire un essai sur ce sujet, je pourrais littéralement me descendre en flammes. Une des premières règles du songwriting est justement de ne pas tomber dans les clichés. Certaines personnes en écrivent pourtant et arrivent à leur donner de la profondeur. Comme “True Love Will Find You in the End” de Daniel Johnston. Quelle chanson !

Sur le premier album, tu chantais “God is dead”, sur le nouveau “I am the Lord”. Un commentaire ?

Je l’ai tué et j’ai pris sa place (rires). “God Is Dead” est une chanson tellement stupide. Je trouve intéressant que beaucoup de gens avec des problèmes mentaux ou vivant à l’écart de la société soient fascinés par Dieu. Sur “I Am the Lord”, je me mets en quelque sorte dans la peau d’un de ces beautiful losers, qui a envie de dire des choses, qu’on l’écoute. Alors je m’adresse aux gens pour leur demander de m’écouter car “I Am The Lord” ! Mais vous vous en êtes aperçu, je ne suis pas vraiment Dieu (rires).

Pourquoi avoir quitté Manchester ? Et d’ailleurs peut-on vraiment quitter cette ville, ne l’emmène-t-on pas partout avec soi ?

Ayant grandi dans le sud de Londres dans une famille de la classe moyenne, j’ai pu noter une nette différence dans les relations entre les gens selon les villes. J’adore Manchester car ses habitants sont très directs et vont à l’essentiel : “Je t’aime ou bien je te déteste”. Il y a une grande honnêteté dans les rapports humains, qui me manque depuis que je suis retourné vivre à Londres. Au niveau artistique, sans tomber dans les clichés, les gens de Manchester cherchent tellement à s’évader d’une manière ou d’une autre qu’il se dégage souvent un aspect absurde et mélancolique de leurs œuvres. Une certaine idée romantique, si l’on veut…

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